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Jubilé de platine d'Elizabeth II : la monarchie britannique survivra-t-elle à sa reine ?

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
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Temps de lecture : 8 min
La reine Elizabeth II au palais de Westminster, à Londres (Royaume-Uni), le 18 mai 2016. (TOBY MELVILLE / AFP)

La santé fragile de la monarque de 96 ans et les scandales qui frappent sa famille suscitent chez les républicains britanniques l'espoir d'un changement de régime. Mais ce basculement est très peu probable, selon plusieurs spécialistes.

"Make Elizabeth the last". Alors que le Royaume-Uni célèbre, à partir du jeudi 2 juin le jubilé de platine de sa reine, des affiches anti-monarchiques* ont fleuri un peu partout dans le pays, appelant à faire d'Elizabeth II la dernière souveraine de sa dynastie. L'opération lancée par le mouvement Republic, qui milite outre-Manche pour un président élu comme chef d'Etat à la place du monarque, est loin d'être populaire.

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Mais ses soutiens espèrent que les célébrations des 70 ans de règne de la reine seront l'occasion pour les Britanniques de s'interroger sur l'avenir de leur régime politique. "Nous vivons dans un système où certains héritent de privilèges et de pouvoirs uniquement par leur naissance", dénonce James Armstrong, partisan de l'abolition de la monarchie. "Il faut mettre un terme à ce régime antidémocratique, mettre fin à l'aristocratie qui engendre de nombreuses inégalités", clame-t-il. 

En Grande-Bretagne, le mouvement républicain reste minoritaire. Toutefois, de récents sondages montrent que la monarchie est tombée en disgrâce pour une partie de la population. Plusieurs Etats du Commonwealth pourraient en outre envisager, après la mort de la reine, de s'affranchir de la couronne britannique. De là à imaginer un effet domino jusqu'au Royaume-Uni ? Rien n'est moins sûr, temporisent des spécialistes interrogés par franceinfo.

Une monarchie moins populaire chez les jeunes

Jamais aucun souverain britannique n'aura régné aussi longtemps. Pour fêter les sept décennies de règne d'Elizabeth II, les rues des villes et campagnes du Royaume-Uni ont été transformées, décorées de portraits de la reine et de façades aux couleurs de l'Union Jack. "Les habitants ont mis du temps à s'intéresser au jubilé, mais maintenant on sent une grande ferveur autour de l'événement", assure Joe Little, rédacteur en chef de Majesty Magazine. "C'est l'un de ces moments où le pays met de côté ses crises pour célébrer ce qui l'unit : la reine et la monarchie", ajoute Robert Hardman, auteur spécialiste de la famille royale britannique.

Répétition pour le défilé militaire du jubilé de platine d'Elizabeth II à Londres (Royaume-Uni), le 28 mai 2022. (RASID NECATI ASLIM / ANADOLU AGENCY / AFP)

Il n'est pas certain cependant que tous les sujets de Sa Gracieuse Majesté auront l'esprit à la fête. Selon un sondage YouGov* commandé en mai par le mouvement Republic, 54% des sondés déclarent ne pas être intéressés par le jubilé. Une étude* du centre de réflexion British Future révèle que 58% des Britanniques soutiennent la monarchie, tandis que 25% sont favorables à une république après Elizabeth II. La marge est bien plus faible chez les jeunes (40% contre 37% pour une république), les minorités ethniques (37%-33%) et en Ecosse (45%-36%). 

Pour Isabelle Baudino, maîtresse de conférences en civilisation britannique à l'Ecole normale supérieure de Lyon, ce désamour chez certaines franges de la population est la conséquence des scandales qui ont entaché la famille royale ces dernières années.

"L'éloignement du prince Harry et de son épouse Meghan, les accusations de racisme au sein de la monarchie, le prince Andrew accusé d'agressions sexuelles... Tout cela ne rejoint pas les valeurs de la génération MeToo et Black Lives Matter."

Isabelle Baudino, spécialiste du Royaume-Uni

à franceinfo

Quant aux Ecossais, leur soutien plus faible à la couronne paraît cohérent avec l'histoire de leur pays. "Depuis les années 1970, avec la 'Dévolution', l'Ecosse a obtenu davantage d'autonomie politique avec la création de son propre Parlement. Il y a toujours eu un plus grand détachement vis-à-vis de la monarchie", rappelle Isabelle Baudino. Un détachement constaté dans les urnes : en 2021, les indépendantistes ont remporté les élections législatives et promis d'organiser un référendum d'autodétermination.

Une couronne contestée dans le Commonwealth

L'avenir de la monarchie est une question encore plus pressante dans les pays du Commonwealth – l'organisation intergouvernementale composée de 54 Etats, presque tous anciens territoires de l'Empire britannique. En novembre 2021, la Barbade s'est proclamée république, ne reconnaissant plus la reine Elizabeth II comme cheffe d'Etat. En mars, les tensions entre la couronne et ses anciennes colonies se sont encore accentuées lors de la tournée dans les Caraïbes du prince William et de son épouse Kate. Le couple a dû annuler la première étape de son séjour en raison de protestations. Les habitants ont demandé au duc et à la duchesse de Cambridge de s'excuser pour le passé esclavagiste du Royaume-Uni.

Une femme porte une pancarte demandant des réparations de la part de la monarchie britannique pour son passé colonial, à Nassau, aux Bahamas, le 25 mars 2022. (POOL/SAMIR HUSSEIN / WIREIMAGE / GETTY IMAGES)

La Jamaïque pourrait imiter la Barbade. Le Premier ministre jamaïcain Andrew Holness a déclaré que la transition de son pays vers une république était "inévitable" et n'était qu'une "question de temps". "Le travail sur l'héritage de l'esclavage, les inégalités engendrées, est très présent dans les Caraïbes. Cela a permis à ces pays de demander des réparations", explique la chercheuse Isabelle Baudino. Toutefois, "en raison de la longévité de son règne, la reine détient toujours une autorité morale considérable dans les pays du Commonwealth", nuance Philippe Chassaigne, historien spécialiste de la famille royale britannique.

"Il est fort probable qu'à la mort d'Elizabeth II, la question du maintien du lien dynastique entre des pays du Commonwealth et la monarchie s'accélère."

Philippe Chassaigne, historien

à franceinfo

Ces mouvements d'indépendance des anciennes colonies sont aussi "naturels", juge Joe Little, de Majesty Magazine, et ont commencé peu avant qu'Elizabeth II n'accède au trône en février 1952. En 1947, le Royaume-Uni voyait déjà l'Inde quitter son empire, devenant une république indépendante. En 1968, l'île Maurice prenait à son tour son indépendance, comme Trinité-et-Tobago (1962), la Guyane (1966), l'archipel des Fidfji (1970) et la Dominique (1978).

"La sujétion à la monarchie est aussi débattue en Nouvelle-Zélande, au Canada et en Australie, où les courants républicains sont plus forts", précise Joe Little. Le 31 mai, le nouveau Premier ministre australien Anthony Albanese a nommé dans son gouvernement un ministre délégué pour la République, étape symbolique vers une sortie de la monarchie.

Un changement de régime difficile à appliquer

Mais le passage de la monarchie vers une république est loin d'être aisé. En 1999, les travaillistes australiens avaient organisé un référendum pour défaire la reine d'Angleterre de son titre de cheffe d'Etat, sans succès. "Les gens ne voulaient plus de monarque, mais ne savaient pas ce qu'ils voulaient à la place. Un président élu au suffrage universel direct, ou élu par des représentants ?", rappelle Robert Hazell, professeur spécialiste de la Constitution britannique.

En Jamaïque, la transition vers une république s'avère tout aussi compliquée. Elle nécessite d'atteindre une majorité favorable des deux tiers à la Chambre des représentants et au Sénat et d'organiser un référendum. En Grande-Bretagne, un tel changement paraît improbable à l'heure actuelle. "Il faudrait organiser un référendum, changer la Constitution. Aucun parti ni aucun élu n'y est favorable. Ce n'est pas la priorité du moment", résume Robert Hazell.

"Même si la monarchie a connu des hauts et des bas, elle reste globalement très populaire parmi les Britanniques. En 1 000 ans d'existence, elle reste un système politique stable, qui a connu très peu de contestations."

Robert Hazell, constitutionnaliste

à franceinfo

"Les Britanniques font aussi la différence entre leur souveraine, qui est la cheffe de l'Etat mais ne gouverne pas, et le Premier ministre qui prend des décisions", reprend Philippe Chassaigne. En 70 ans de règne, Elizabeth II "n'a manifesté aucune préférence politique, a su rester neutre. Une grande majorité de ses sujets lui en sont reconnaissants", estime l'historien. Selon un sondage Ipsos* publié le 31 mai, 86% des sondés se disent d'ailleurs satisfaits du travail de la reine.

Autre atout : son adaptation aux changements de société. "La reine a autorisé le remariage de son fils Charles avec une femme divorcée et le mariage du prince William avec une roturière, ce qui était impensable au début de son règne", soutient Kevin Guillot, journaliste fondateur du site français monarchiebritannique.com. Elizabeth II a aussi surmonté bien des crises. Lorsque la reine a accédé au trône, la Grande-Bretagne était le premier empire colonial au monde. Aujourd'hui, le royaume doit gérer l'après-Brexit et une unité fragilisée par la montée des indépendantistes en Ecosse ou en Irlande du Nord.

"Elizabeth II incarne la stabilité, la continuité. C'est un symbole culturel, politique, très important dans l'identité britannique."

Robert Hardman, spécialiste de la famille royale

à franceinfo

Surtout, peu de ses sujets se risqueraient à critiquer la monarque de 96 ans, dont la santé fragile fait l'objet de nombreuses spéculations dans le royaume. L'évocation de sa mort n'y est d'ailleurs abordée qu'à demi-mot. "On ne parle pas de ce sujet la semaine du jubilé ! Le prince Charles lui succédera, il a été préparé toute sa vie pour cela", évacue le biographe Robert Hardman. 

Des héritiers face à un immense défi

L'héritier du trône ne bénéficie toutefois pas de la même popularité que sa mère. Selon une étude YouGov*, le prince Charles ne recueille que 19% d'opinions positives, moins que son fils le prince William (55%).

La famille royale britannique lors du centenaire de la Royal Air Force au palais de Buckingham, à Londres (Royaume-Uni), le 10 juillet 2018. (MAX MUMBY/INDIGO / GETTY IMAGES EUROPE)

"Lorsque le prince Charles accédera au trône, il aura plus de 70 ans, alors que sa mère en avait 25 lors de son couronnement", rappelle Robert Hazell. Une partie de la presse britannique reste très critique à son égard depuis la mort de Diana. "Il est probable que la presse commande des sondages pour le mettre dos à dos avec son fils William pour la succession, et suggérer une abdication", suppose le chercheur.

"Le prince Charles a fait part de ses opinions sur plusieurs sujets, comme l'environnement. Il aura du mal à avoir une position neutre une fois roi."

Robert Hazell

à franceinfo

Dans l'optique de cette transition, le prince de Galles a assuré qu'il comptait réduire le coût de la famille royale pour les contribuables, en se concentrant sur le monarque et ses héritiers. Selon le Daily Mail*, le prince William voudrait, lui, faire de la monarchie une "force unificatrice" quand viendra son tour de porter la couronne. Pour Robert Hazell, ça ne fait aucun doute que "la monarchie résistera au départ de la reine". La question est davantage de savoir "quel héritier sera le plus à même de la faire perdurer".

* Tous les liens suivis d'un astérisque mènent vers des contenus en anglais.

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