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Référendum sur la souveraineté de l'Ecosse : les questions qui se posent après la victoire des indépendantistes aux élections législatives

Pour la Première ministre Nicola Sturgeon, la nation écossaise doit avoir le droit d'organiser un nouveau référendum sur son indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni. Une possibilité refusée par le Premier ministre britannique, Boris Johnson. Mais jusqu'à quand ?

Article rédigé par franceinfo, Fabien Jannic-Cherbonnel
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Lors d'une manifestation pour l'indépendance de l'Ecosse, le 1er mai 2021, à Glasgow (Royaume-Uni).  (EWAN BOOTMAN / NURPHOTO / AFP)

Faudra-t-il bientôt retirer le bleu de l'Union Jack ? Depuis la victoire du Parti national écossais (SNP) aux élections législatives du 6 mai, la question de l'indépendance de l'Ecosse est revenue de plus belle au Royaume-Uni. Avec les Verts, les indépendantistes écossais disposent désormais d'une majorité au Parlement d'Holyrood, à Edimbourg, en faveur d'une rupture avec Londres. Dès son discours de victoire, la Première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, a d'ailleurs rappelé, citée par Reuters*, "le droit pour les Ecossais de décider de leur avenir". Au grand dam du Premier ministre britannique, Boris Johnson, farouchement opposé à la tenue d'une seconde consultation (la première ayant eu lieu en 2014). Franceinfo fait le tour des questions qui se posent sur la possibilité de l'organisation d'un "indyref2", comme le nomment les médias britanniques.

1Que changent les résultats des élections parlementaires du 6 mai ?

L'Ecosse, qui possède un Parlement depuis le Scotland Act de 1998 (qui a transféré de nombreuses prérogatives à Edimbourg) votait pour renouveler ses députés et son gouvernement. Avec 64 sièges sur 129, le SNP n'a pas réussi à obtenir la majorité absolue à une voix près. Mais les députés pro-indépendance ont accru leur présence au Parlement écossais, grâce à la poussée des Verts, qui ont récolté huit élus.

"C'est très intéressant, parce que les médias britanniques ont dépeint le fait de gagner 64 sièges comme un pari perdu pour le SNP, alors que c'est une victoire très nette, souligne Coree Brown Swan, chercheuse en sciences politiques de l'université d'Edimbourg, interrogée par franceinfo. Il ne faut pas oublier que le système électoral écossais est proportionnel, il est fait de telle façon qu'une majorité est très dure à atteindre." Avec cette quasi-majorité du SNP et ce renforcement des écologistes, les partisans de l'indépendance sont en position de force. Logique, dès lors, que Lorna Slater, la codirigeante des Verts écossais*, déclare, dans le Canberra Times,  avoir obtenu avec le SNP "un mandat clair pour demander un nouveau référendum".

2Pourquoi la question de l'indépendance fait-elle de nouveau débat en Ecosse ?

Le thème de l'indépendance n'est pas nouveau. Il traverse la nation écossaise, qui s'est unie à l'Angleterre en 1707, depuis plusieurs décennies. La question semblait avoir été tranchée en 2014 "pour une génération", selon les mots* de l'ancien Premier ministre David Cameron, lors de l'organisation d'un premier référendum, où le camp pro-union l'avait emporté à 55,4 %. Mais le Brexit est passé par là, et les indépendantistes, au pouvoir depuis quatorze ans à Edimbourg, jugent qu'il rebat les cartes. "Le Brexit a changé la donne vis-à-vis de l'indépendance", écrivait ainsi Nicola Sturgeon, dans une tribune publiée par Politico* au début de l'année.

Il faut dire que, lors de ce référendum sur le Brexit, l'Ecosse s'est démarquée de l'Angleterre et du pays de Galles , en votant très majoritairement (à 68%) pour rester dans l'Union européenne. De nombreux Ecossais et Ecossaises se sentent depuis dépossédés de leurs choix devant l'entêtement du gouvernement de Londres sur la question. La déconnexion politique de la nation écossaise du reste du Royaume-Uni n'arrange rien. Alors que l'Angleterre penche toujours plus à droite, le SNP et sa ligne politique située au centre-gauche se trouvent souvent bien isolés au Royaume-Uni. "Les conservateurs sont détestés au nord de la frontière", souligne Mujtaba Rahman, un analyste de l'Eurasia Group, un cabinet de conseil en risques politiques, sollicité par franceinfo.  

3Quelle est la réponse du gouvernement britannique ?

Pour l'instant, le gouvernement britannique rejette la possibilité d'organiser un nouveau vote. Dans une interview au Daily Telegraph*, le Premier ministre, Boris Johnson, jugeait la tenue d'un vote pendant la pandémie comme un acte "irresponsable et imprudent". "Il y a un sentiment de soulagement temporaire à Downing Street [la résidence du Premier ministre britannique], note Mujtaba Rahman. Si Nicola Sturgeon avait eu une majorité, cela aurait créé un problème immédiat pour Boris Johnson, parce qu'il aurait fallu réagir tout de suite." Mais sur le fond, le SNP et les Verts ayant été élus sur la promesse d'organiser un référendum, "les choses ne changent pas", juge le spécialiste, pour qui "la question se posera de nouveau une fois la pandémie terminée"

Boris Johnson pourra-t-il refuser indéfiniment un vote ? Rien n'est moins sûr. "La question écossaise va être l'un des principaux défis de la mandature du Premier ministre britannique, souligne l'analyste. C'est vraiment le calme avant la tempête." D'autant qu'en refusant un vote, le Premier ministre conservateur semble valider les arguments de Nicola Sturgeon, selon lesquels Londres piétinerait la volonté du peuple écossais. La leader du SNP a d'ailleurs martelé* après sa victoire, comme le rapporte Associated Press, que l'organisation d'un nouveau vote "était une question de quand, et pas de si".

Il faudra bien, alors, trouver des arguments pour "vendre" l'union aux électeurs écossais. Pour l'instant, la stratégie du gouvernement britannique semble se limiter à "transférer de l'argent directement aux conseils locaux, sans passer par le gouvernement écossais", souligne Mujtaba Rahman. Une façon de rappeler que si Edimbourg gère certaines prérogatives, comme la santé, Londres est toujours aux commandes. 

4Que comptent faire les indépendantistes ?

Nicola Sturgeon n'est pas forcément pressée d'organiser une nouvelle consultation. "Je pense qu'elle va attendre, souligne Coree Brown Swan. Avec une majorité aussi large, il n'y a aucune raison de se presser à organiser un référendum." La cheffe du gouvernement écossais a d'ailleurs expliqué, dans son discours de victoire*, vouloir organiser un vote seulement après avoir "sorti le pays du Covid" et au cours  "de la prochaine législature", c'est-à-dire avant la mi-2026.

Surtout, le "oui" à l'indépendance plafonne depuis quelques mois dans les sondages à 50%. Un chiffre bien trop bas pour les partisans d'une sortie du Royaume-Uni. "Je pense qu'elle veut un coussin de sécurité, avec des sondages à 60%, souligne Mujtaba Rahman. Les indépendantistes y vont pour gagner, pas pour perdre." En attendant, le SNP compte sur les conséquences du Brexit sur l'économie britannique, déjà visibles sur le secteur écossais de la pêche, pour plaider sa cause auprès des électeurs.

5La tenue d'un référendum pourrait-elle se jouer devant la justice ?

Si Londres continue de refuser l'organisation d'un vote, Nicola Sturgeon a prévenu, comme l'explique The Herald, qu'elle comptait* faire passer une loi autorisant la tenue d'un référendum et se saisir de la justice si elle est empêchée d'aller jusqu'au bout par le gouvernement britannique. Les arguments des indépendantistes écossais sont bien rodés : l'Ecosse étant entrée, en tant que nation, dans une union volontaire avec l'Angleterre en 1707, c'est à elle seule de décider d'en sortir.

Mais selon les lois constitutionnelles britanniques, la tenue d'un référendum est une prérogative du gouvernement central de Londres. La question pourrait donc être tranchée par les juges de la Cour suprême. La plupart des experts s'attendent à ce que la demande des Ecossais soit rejetée. Mais la route judiciaire n'est pas la plus probable, parce qu'elle n'est traditionnellement pas privilégiée par les Britanniques. "Au Royaume-Uni, nous privilégions le compromis politique aux décisions judiciaires", note Coree Brown Swan. 

6L'Ecosse pourrait-elle organiser un référendum toute seule ?

Cette solution est ouvertement rejetée par Nicola Sturgeon, qui a observé avec attention ce qu'il s'est passé en Catalogne en 2017. Le gouvernement de Barcelone avait organisé un référendum, jugé illégal par Madrid, sur son indépendance vis-à-vis de l'Espagne. Résultat : la situation est bloquée depuis, certains leaders catalans sont en prison et les résultats n'ont pas été reconnus par la communauté internationale.

"Les leaders du SNP ont été clairs sur leur volonté de ne pas défier la loi ou d'organiser un référendum unilatéral à la catalane", résumait ainsi Michael Keating, professeur de politique à l'université d'Aberdeen, dans le Guardian*. Un compromis pourrait être trouvé avec l'organisation d'un référendum consultatif. "Un tel vote pourrait mettre la pression à Westminster [siège du gouvernement britannique], tout en offrant un coup franc pour les Ecossais, sans conséquence", pense Mujtaba Rahman.

7Le "oui" pourrait-il l'emporter ?

En 2020, les sondages ont donné le "yes" gagnant plusieurs mois durant. Mais la pandémie de Covid-19, ainsi que les difficultés rencontrées par Nicola Sturgeon en 2021, notamment avec son ancien mentor et précédent Premier ministre Alex Salmond, ont contribué à faire baisser ces chiffres. Le "oui" plafonne désormais à 50%, avec une part des indécis toujours très importante. Difficile, dès lors, de dire où en sera l'opinion écossaise d'ici quelques années. 

Pour convaincre les électeurs du bien-fondé de sa proposition de divorce, le SNP devra en tout cas proposer un plan crédible en matière d'économie. "Ce sera la clé, confirme Coree Brown Swan. Il faudrait une réponse claire sur la question de la frontière avec le Royaume-Uni, ainsi que sur la future monnaie de l'Ecosse." Avec le Brexit, et l'incertitude qu'il entraîne au Royaume-Uni, certains anciens électeurs du "no", pourraient être tentés de dire "yes" à un "Scotxit"

"En 2014, les pro-union expliquaient qu'en restant dans le Royaume-Uni, les Ecossais restaient également dans l'UE. Mais là, quitter le Royaume-Uni ramènera l'Ecosse au sein de l'UE. Ceux qui ont à perdre économiquement pourraient changer d'avis."

Mujtaba Rahman

analyste à l'Eurasia Group, à franceinfo

Le référendum pourrait de toute façon se jouer sur un autre facteur que les questions économiques. "Dans le cas du Brexit, le choix s'est fait au niveau émotionnel et non rationnel", explique Mujtaba Rahman. Selon l'analyste, le Brexit a gagné "parce qu'il s'adressait au cœur, et pas à l'esprit". La même chose pourrait bien arriver lors d'un vote sur l'indépendance de l'Ecosse. "Il est très dur, désormais, de faire un argument émotionnel en faveur de l'union, note Coree Brown Swan. La réponse ne peut pas être simplement de mettre des drapeaux sur tout."

Qu'ils soient réalistes ou non, les arguments des indépendantistes sont limpides. Libérée du joug de Londres, disent-ils, l'Ecosse redeviendrait membre de l'UE, même si un retour dans l'union ne serait pas automatique, et s'inspirerait des démocraties du nord de l'Europe pour prendre son envol. En face, Boris Johnson se borne pour l'instant à rappeler que le Royaume-Uni est "plus fort ensemble". Soit exactement le genre d'argument utilisé par le camp pro-UE lors du référendum britannique de 2016. On connaît la suite.

* Ces liens renvoient vers des contenus en anglais.

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