État fédéral, unique, binational... Ces pistes oubliées dans le conflit entre Israël et Palestine
Après presque huit mois de guerre entre Israël et le Hamas, la paix semble loin. Pourtant, plusieurs voix s’élèvent pour penser l'"après". Et parmi les pistes explorées, l'une est celle d’un État unique et laïc. Une idée au moins aussi vieille que le conflit israélo-palestinien, qui explore différentes formes administratives selon ses défenseurs, mais propose une perspective similaire : la cohabitation entre Palestiniens et Israéliens sur le même territoire et avec les mêmes droits.
La solution à un Etat est défendue depuis longtemps. Sur la scène politique palestinienne, c’est l’idée d’un Etat unique arabe (et non binational) qui prévalait. "Elle a été écrite et défendue dans les années 1960, explique Rula Shadeed, codirectrice de l’Institut Palestinien pour la diplomatie publique (PIPD), une ONG basée à Ramallah. "Lorsque le mouvement national palestinien s’est structuré et que des partis ont émergé, la plupart des partis, dont le Fatah, pensaient à la libération de la Palestine dans son ensemble, en rejetant l’immigration juive européenne et le projet sioniste ; et donc en défendant un état démocratique pour tous : juifs, musulmans, chrétiens. L’idée était de construire un Etat arabe laïc, ancré dans son environnement régional", précise-t-elle.
Une perspective abandonnée au profit de la solution à deux Etats
Une autre approche a été celle mise en avant par "un courant de binationalistes chez les juifs de Palestine avant la création d’Israël", explique Thomas Vescovi, chercheur indépendant en histoire contemporaine et membre du comité de rédaction de la plateforme Yaani. Étant jusque-là minoritaires, ces derniers souhaitaient faire partie d’un État commun avec des droits spécifiques à négocier pour eux, selon le chercheur. "La Deuxième Guerre mondiale et l'arrivée des rescapés de la Shoah ont complètement bouleversé la donne", ajoute-t-il. Après la création d'Israël en 1948, dans la population juive, les binationalistes représentaient une infime minorité face à ceux qui défendaient l’installation d’un foyer juif.
À partir de la fin des années 1960, c’est la fameuse solution à deux Etats (un juif, un arabe) qui va s’imposer dans les négociations politiques. "Notamment après la guerre de 1967, dite Guerre des Six Jours, les Palestiniens constatent que l'Etat de fait d'Israël est là pour rester et qu’ils vont devoir revoir leur positionnement", détaille Thomas Vescovi. Cela a mené au processus de paix et aux différents accords, dont ceux d’Oslo de 1993. C’est à ce moment-là que Yasser Arafat, alors dirigeant de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) reconnaît le droit d’Israël à exister en "paix et en sécurité" avec, en contrepartie, la reconnaissance de l’OLP comme autorité légitime du peuple palestinien.
Pourtant, cette résolution à deux Etats est devenue illusoire pour de nombreux observateurs notamment en raison de l’extension des colonies, illégales au regard du droit international, en Cisjordanie. Ces dernières rendent impossibles les frontières de 1967 promises pour le partage en deux Etats distincts. En outre, environ 5% de la population israélienne vit aujourd’hui dans les colonies, dont plusieurs ministres de l’actuel gouvernement israélien.
C'est notamment la situation dans ces territoires occupés, où les violences de colons ont explosé, qui a valu l'accusation d'apartheid par l'Afrique du Sud en février 2024 et plus anciennement par des ONG comme Amnesty International et Al-Haq en 2022 et B'Tselem et Human Right Watch en 2021.
La piste d'un seul Etat
Actuellement, la solution à un Etat, comme celle de l’Etat fédéral, n'a presque pas de représentation politique ni en Israël, ni au sein de l’Autorité palestinienne, s’accordent les observateurs. Pire, "la fin des Accords d’Oslo, la deuxième Intifada ainsi que la politique de Benyamin Nétanyahou ont contribué à la radicalisation des acteurs où chacun va considérer que l’autre n’est plus légitime à être là", précise Thomas Vescovi, qui analyse que la guerre en cours confirme cet impossible dialogue et le risque d'ancrer la spirale de haine et de vengeance.
Pourtant, des campagnes issues de la société civile témoignent de la montée de cette résolution politique du conflit au sein des sociétés civiles : "One Democratic State" est une campagne lancée depuis Haïfa en Israël, en 2018, par des intellectuels et universitaires juifs, palestiniens et israéliens. Ils proposent une réflexion autour de l’égalité de droit et le partage d’un même territoire. "A Land for All", en revanche, propose l'alternative à "deux Etats et une patrie" avec un système fédéral où certaines institutions seraient partagées. Quinze points, assez aboutis pour certains, sont présentés comme axes d'action pour une paix future.
En 2020, selon le Palestinian Center for Policy and Survey Research (PSR), un seul Etat démocratique était soutenu par 44% des Palestiniens d’Israël par 23% des Palestiniens et 20% des Israéliens juifs. "Du côté israélien, il n’y a pas encore de sondage", assure Shlomo Sand, historien israélien et auteur de Deux peuples pour un Etat ? (Seuil). L’historien s’inquiète d’ailleurs de voir que "les mouvements civiques qui veulent lutter contre l’occupation et pour un Etat binational sont souvent entravés en Israël".
Un Etat fédéral et laïc
Mais cela ne le décourage pas de défendre l’idée. Selon lui, c’est une forme juridique fédérale qui serait la plus probable pour parvenir à un avenir commun et sortir du chaos : "Je plaide pour une solution comme en Suisse, en Belgique ou au Canada, par exemple, avec une grande autonomie politique dans chaque groupe et au-dessus, une forme unificatrice".
Cet État fédéral, défendu par l’historien, serait laïc plutôt que multiconfessionnel, comme le Liban par exemple : "Je pense cet État comme un État laïc car je ne crois pas à Israël comme foyer juif, explique le coauteur de Comment le peuple juif fut inventé (Flammarion). L’enjeu pour moi est de reconnaître l’identité israélienne qui a une langue et une culture commune, mais qui n’est pas forcément juive". L'historien est également convaincu que la solution d'un Etat fédéral laïc qu'il défend serait pour les Israéliens "la seule façon de continuer à vivre au Proche-Orient". Il ajoute : "Un Etat fédéral ou confédéral est le seul moyen pour ne pas nier l’identité de chacun".
Pour Rula Shadeed, "l’enjeu principal n’est pas encore la forme administrative que pourra prendre cet État mais plutôt de déterminer quel est le contrat social et le modèle de société sur tout le territoire".
"Il y aura forcément un processus de décolonisation, de réparation et de justice pour arriver à une réelle égalité"
Rula Shadeed,à franceinfo
L'objectif étant d’arriver à une reconnaissance des droits collectifs et nationaux des Palestiniens "car, aujourd'hui, le droit à l’autodétermination en tant que peuple est nié", ajoute-t-elle.
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