En Cisjordanie, l'autre guerre menée à bas bruit par Israël contre les Palestiniens

Article rédigé par Zoé Aucaigne
France Télévisions
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Des soldats israéliens patrouillent dans le village bédouin palestinien de Tala (Thala), en Cisjordanie occupée, le 26 octobre 2023. Le même jour, des habitants ont été attaqués par des colons israéliens. (THOMAS COEX / AFP)
Alors que les regards sont tournés vers la bande de Gaza, l'Etat hébreu intensifie sa répression dans ce territoire occupé, tout en gagnant du terrain pour agrandir ses colonies.

Dans la vallée du Jourdain, entre les chaînes de collines brûlées par le soleil se nichent des champs verdoyants, ponctués ici et là de bétail et de villages. Cette vaste région agricole, située dans le nord de la Cisjordanie occupée, devrait voir sortir de terre une multitude de nouvelles bâtisses dans les prochains mois, alors qu'Israël a annoncé la saisie de 800 hectares de ce territoire palestinien. Il s'agit "d'une nouvelle mesure spectaculaire et importante pour la colonisation" juive, a annoncé Bezalel Smotrich, ministre des Finances israélien.

Logée entre Israël et la Jordanie, la Cisjordanie est fragmentée depuis des années entre localités palestiniennes et colonies israéliennes, illégales au regard de l'ONU, mais pas aux yeux de l'Etat hébreu. La colonisation de ce territoire s'est encore accélérée ces six derniers mois, depuis l'attaque du Hamas en Israël et la riposte qui a suivi dans la bande de Gaza, il y a tout juste six mois ce dimanche 7 avril.

En 2023, les colons israéliens ont établi 26 avant-postes – souvent un ensemble de préfabriqués posés près d'une colline sans autorisation officielle de l'Etat hébreu –, d'après un rapport de l'association Peace Now (en PDF). "Un nombre record" depuis 1996, assure l'ONG israélienne, qui milite pour la solution à deux Etats. Au total, plus d'un tiers d'entre eux (dix avant-postes) ont été installés depuis les attaques terroristes du 7 octobre. "Les colons ont vu dans la guerre entre Israël et le Hamas l'occasion d'installer de nouveaux avant-postes, les yeux étant rivés sur la bande de Gaza", affirme Allegra Pacheco, cheffe de projet au sein du West Bank Protection Consortium, un réseau d'ONG internationales agissant en Cisjordanie.

Un avant-poste installé par des colons israéliens près d'Hébron (Cisjordanie), le 14 février 2024. (GIL COHEN-MAGEN / AFP)

La plupart des avant-postes sont situés dans la zone C de la Cisjordanie, qui représente 60% du territoire et dont Israël est chargé d'assurer la sécurité et l'administration. L'Autorité palestinienne est responsable de la zone A et gère également l'administration de la zone B, dont la sécurité est en revanche confiée à l'Etat hébreu. "Lorsqu'ils sont installés, les avant-postes ne sont pas reconnus par Israël, explique Pierre Motin, porte-parole de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine (PFP). Mais la plupart du temps, ils vont attirer de plus en plus d'Israéliens via l'essor d'activités pastorales, agricoles... Jusqu'à ce qu'ils soient légalisés par les autorités israéliennes." Toujours selon Peace Now, 15 avant-postes ont été régularisés en 2023.

Des Palestiniens forcés de s'en aller

Près de ces installations, les affrontements entre colons et Palestiniens sont courants. Mais les violences commises par les Israéliens ont augmenté en nombre et en intensité. Les attaques de colons sont passées de trois par jour en moyenne avant le 7 octobre, à huit quotidiennement, d'après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha). "Avant, les Palestiniens s'étaient habitués aux régulières violences et tentatives d'intimidation des colons", relate Ana*, une humanitaire de Médecins du monde qui accompagne les victimes d'attaques. "Maintenant, ils savent que s'ils essayent de leur tenir tête, ils vont se faire abattre."

Selon les observateurs, les colons israéliens sont beaucoup plus armés qu'avant. Le 10 octobre, le ministre de la Sécurité nationale israélien, Itamar Ben Gvir, leur a distribué des fusils d'assaut et a annoncé l'achat de 10 000 armes, afin de créer "une équipe de protection civile". Certains se sont mis à endosser l'uniforme militaire, imitant des membres de l'armée. Dans un rapport, le Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU (HCDH) dit avoir recensé lors des trois dernières semaines d'octobre "des dizaines de cas de colons portant l'uniforme complet ou une partie de l'uniforme de l'armée israélienne et équipés de fusils de l'armée, et harcelant et attaquant des Palestiniens"

"Les Palestiniens ne savent pas qui ils ont en face d'eux. Mais ils savent qu'ils peuvent être attaqués à tout moment."

Ana, humanitaire en Cisjordanie pour Médecins du monde

à franceinfo

"Ces événements ont brouillé la frontière entre la violence des colons et la violence de l'Etat, y compris celle exercée avec l'intention déclarée de transférer de force les Palestiniens hors de leurs terres", dénonce le HCDH.

Face à ces violences, le nombre de départs forcés a d'ailleurs largement augmenté. Entre le 7 et le 31 octobre, 878 personnes issues de communautés d'éleveurs palestiniens ont été déplacées, soit presque autant qu'entre janvier 2022 et septembre 2023, où 1 105 personnes sont parties, toujours selon l'agence onusienne. Parmi eux, figurent par exemple les membres de la communauté bédouine Wadi As-Seeq, qui se trouvait aux alentours de la ville de Taybeh. Les colons "sont arrivés par dizaines, en tenue militaire, avec des fusils. Ils sont entrés dans nos tentes, ont piqué l'or, notre argent, nos habits, les jouets pour enfants, deux voitures", racontait un des bergers à franceinfo le 17 octobre

La vallée du Jourdain, un endroit stratégique

Ces départs contraints par centaines s'inscrivent dans une stratégie d'accaparement des terres par Israël. Déjà, avant l'attaque du 7 octobre, l'Etat hébreu ne cachait pas son ambition d'étendre les colonies existantes dans le territoire occupé. Entre le 1er novembre 2022 et le 31 octobre 2023, "la construction d'environ 24 300 unités de logement a été lancée ou approuvée" par le gouvernement israélien, "ce qui représente le nombre le plus élevé jamais enregistré depuis le début de la surveillance en 2017", d'après le HCDH.

Le nombre de personnes vivant dans des colonies en Cisjordanie reconnues par Israël (environ 500 000 selon les chiffres du Bureau central des statistiques israélien publiés mi-septembre), devrait donc augmenter. Cela représente 5% de la population israélienne et 13% de la population totale de la Cisjordanie, qui compte 3,2 millions de Palestiniens.

"On n'est plus dans une situation d'occupation, mais d’une annexion qui ne dit pas son nom." 

Pierre Motin, porte-parole de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine

à franceinfo

"Il y a deux raisons avancées pour justifier la colonisation : le sionisme messianique, qui considère que le vrai Israël englobe tous les territoires palestiniens, ou des considérations stratégiques et sécuritaires", avance Pierre Motin. Sur ce deuxième point, la vallée du Jourdain ne manque pas d'intérêt pour l'Etat hébreu. En 2020, le chef du gouvernement israélien, Benyamin Nétanyahou, avait d'ailleurs annoncé son intention d'annexer la région. Cette bande de terre, qui représente 30% de la Cisjordanie, "est la région la plus fertile de Palestine", explique la PFP sur son site. "Le climat permet aux paysans d'effectuer trois à quatre récoltes par an à condition d'avoir accès à l'eau, abondante dans le sous-sol." 

Vue aérienne d'un réservoir d'eau près du village palestinien d'al-Jiftlik, dans la vallée du Jourdain, dans le nord de la Cisjordanie occupée, le 21 août 2023. (MENAHEM KAHANA / AFP)

Là encore, depuis le 7 octobre, les colons israéliens ont renforcé leur contrôle sur la vallée du Jourdain. "Les colons se sont emparés de 400 hectares supplémentaires et ont clôturé les zones saisies" avant le début de la guerre à Gaza, relate l'ONG B'Tselem, le centre d'information israélien pour les droits de l'homme dans les territoires occupés, dans un rapport datant de mars. "Ils ont également installé des barrages routiers pour empêcher les Palestiniens d'accéder aux routes agricoles qu'ils utilisaient dans le passé." 

L'impuissance de l'Autorité palestinienne

Sur la zone C, l'Autorité palestinienne est impuissante. "Israël, en tant que puissance occupante, est tenu de protéger les Palestiniens. Ils ne peuvent pas compter sur les forces de sécurité de l'Autorité palestinienne, car les accords d'Oslo de 1993 leur interdisent d'opérer dans la zone C. La communauté internationale ne fournit pas de protection", insiste Allegra Pacheco. Dans le reste de la Cisjordanie, l'inertie de l'entité gouvernementale est pointée du doigt.

"Une très large partie de la population reproche à l'Autorité palestinienne de jouer un rôle de supplétif aux forces d'occupation israélienne."

Pierre Motin, porte-parole du PFP

à franceinfo

"Dégage !", "Le peuple veut la chute du président !", pouvait-on entendre dans les manifestations qui ont secoué le territoire mi-octobre, après le début de l'offensive israélienne à Gaza. Une référence à Mahmoud Abbas, à la tête du pays depuis près de vingt ans, mais totalement impuissant face à la montée des violences dans le territoire occupé et qui a vu son gouvernement voler en éclats en février. "Abbas a et avait déjà une crédibilité très faible. Il est critiqué pour n'avoir pas obtenu grand-chose sur le volet politique, pour avoir adopté des modes d'action qui ne portent pas leurs fruits, et parce qu'il continue à coopérer avec les autorités israéliennes sans en tirer de bénéfices politiques", analysait fin octobre Stéphanie Latte Abdallah, directrice de recherche au CNRS, pour Le Point.

Or, au-delà de la zone C, les libertés des Palestiniens sont également menacées. Depuis le 7 octobre, les autorités israéliennes ont installé de nouveaux points de contrôle en Cisjordanie et bloqué des routes reliant des villages palestiniens entre eux. "La plupart des voies principales ont été fermées. Un trajet qui vous prenait dix minutes en temps normal vous prend maintenant une heure et demie. Et lorsque vous arrivez à un point de contrôle, vous pouvez attendre des heures", pointe Kareem Issa Jubran, membre de l'ONG israélienne B'Tselem.

Des mesures toujours plus restrictives

Les camps de réfugiés palestiniens sont également davantage visés par des raids et groupes armés. Ces attaques sont présentées par les autorités israéliennes comme des "opérations antiterroristes". A titre d'exemples, des maisons du camp de Nur Shams, dans le nord de la Cisjordanie, ont été détruites par des bulldozers en octobre, tandis que le camp de Jénine a fait l'objet d'un raid de trois jours mené par l'armée israélienne en décembre. 

Le camp de réfugiés palestiniens de Tulkarm, en Cisjordanie, après un raid israélien le 14 novembre 2023. (ISSAM RIMAWI / ANADOLU/ AFP)

La communauté internationale a dénoncé à plusieurs reprises les violences des colons et le processus de colonisation. "Il ne revient pas au gouvernement israélien de décider où les Palestiniens doivent vivre sur leurs terres", a déclaré la France en janvier, quand Joe Biden a qualifié les violences de "menace grave pour la paix, la sécurité et la stabilité" de la région.

En février, Paris a prononcé une interdiction d'entrer sur le territoire français pour 28 colons israéliens "extrémistes" et Washington a décrété de nouvelles sanctions financières. Des mesures encore trop faibles, selon Pierre Motin : "Ce qu'on attend, c'est que ces sanctions soient élargies à des organisations de colons, des ONG qui soutiennent la colonisation ou à des responsables de colonies. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas."

*Le prénom a été modifié.

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