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Manifestations en Israël : on vous explique la crise que traverse le gouvernement de Nétanyahou, contraint de mettre en pause sa réforme judiciaire critiquée

Le Premier ministre a dû mettre en "pause" son projet de réforme, face à la défiance de la population, de la justice et d'une partie de la classe politique.
Article rédigé par franceinfo
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Le Premier ministre d'Israël, Benyamin Nétanyahou, à Jérusalem, le 19 mars 2023. (ABIR SULTAN / POOL / AFP)

Benyamin Nétanyahou temporise. Le Premier ministre israélien a annoncé une "pause" dans le processus d'adoption de son projet de réforme du système judiciaire, lundi 27 mars. Cette réforme, défendue par le gouvernement le plus à droite de l'histoire d'Israël, a déclenché l'une des plus grandes mobilisations populaires de l'histoire du pays, depuis sa présentation début janvier. Récemment, des critiques avaient émergé au sein même du gouvernement et le président israélien, Isaac Herzog, avait demandé sa suspension.

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Franceinfo vous résume ces semaines de mobilisation contre la réforme et la crise politique qu'elle a engendrée.

1 Le nouveau gouvernement présente sa réforme judiciaire

Le 1er novembre 2022, Benyamin Nétanyahou revient au pouvoir comme Premier ministre. Après de longues négociations avec des partis ultra-orthodoxes et d'extrême droite, il forme le gouvernement le plus à droite de l'histoire d'Israël. L'un des projets de cette coalition est de modifier le système judiciaire du pays. Le 4 janvier 2023, le gouvernement présente sa réforme. Alors que le Premier ministre est visé par plusieurs affaires de corruption, le texte vise notamment à accroître le pouvoir des élus sur celui des magistrats.

Parmi les principaux éléments de la réforme, une clause dite "dérogatoire" permettrait au Parlement, avec un vote à la majorité simple, d'annuler une décision de la Cour suprême. Pour les opposants au projet, cette mesure donnerait un pouvoir quasi absolu au Parlement et pourrait être utilisée pour casser une éventuelle condamnation de Benyamin Nétanyahou. Autre point clé : le processus de nomination des juges, actuellement choisis par un panel de magistrats, de députés et d'avocats, sous supervision du ministre de la Justice. Le gouvernement souhaite "mettre fin à l'élection des juges par leurs confrères" et propose un plus grand poids des élus dans ces choix. La réforme propose ainsi de retirer les avocats du panel nominatif, où siègeraient à leur place deux citoyens, en plus d'un ministre.

Le gouvernement veut enfin réduire l'influence des conseillers juridiques au sein des ministères. Leurs recommandations sont citées par les juges de la Cour suprême lorsqu'ils statuent sur la bonne conduite du gouvernement. La réforme transformerait ces recommandations en avis non contraignants. Pour les détracteurs de cette disposition, il s'agit d'une autre manière pour le gouvernement Nétanyahou d'affaiblir le pouvoir des fonctionnaires. En parallèle de la réforme, la coalition au pouvoir souhaite rétablir la peine de mort pour les faits de terrorisme, et restreindre les possibilités de destitution d'un Premier ministre.

2 Les manifestations se multiplient

Rapidement, le projet de réforme suscite de vives inquiétudes et réactions de la société israélienne, dans la sphère judiciaire puis dans la rue. Le 12 janvier, plusieurs centaines d'avocats défilent contre le texte à Tel Aviv. Le même jour, la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, fustige le projet, le qualifiant d'"attaque débridée" contre la justice.

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Le 14 janvier, des milliers d'Israéliens manifestent à Tel-Aviv pour clamer leur opposition à la réforme, qui leur fait craindre une dérive antidémocratique. Ils demandent aussi la démission du chef du gouvernement, mis en cause dans des affaires de corruption. La mobilisation est menée, entre autres, par une organisation anti-corruption et des partis du centre et de la gauche. La semaine du 11 février, des dizaines milliers de personnes battent le pavé dans plusieurs villes du pays.

L'ampleur du mouvement est similaire au début du mois de mars, pour la dixième semaine consécutive de mobilisation. Le 1er mars, des heurts éclatent pour la première fois entre les manifestants et la police à Tel Aviv. A la contestation de la réforme s'agrègent d'autres mécontents, notamment l'opposition à la colonisation israélienne en Cisjordanie. Des milliers d'Israéliens étaient encore dans la rue samedi 25 mars.

3 La communauté internationale fait part de son "inquiétude"

Le Parlement israélien approuve en première lecture, le 21 février, deux dispositions phares et particulièrement controversées de la réforme, sur la nomination des juges et la mise en place d'une "clause dérogatoire" permettant d'annuler des décisions de la Cour suprême. Le même jour, le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Volker Türk, appelle le gouvernement israélien à suspendre la réforme, inquiet de ses conséquences en matière de droits humains et d'indépendance de la justice. "Compte tenu du niveau d'inquiétude publique et politique, j'appelle le gouvernement israélien à suspendre les modifications législatives proposées et à les ouvrir à un débat et à une réflexion plus larges", affirme-t-il.

Le 9 mars, lors d'une allocution télévisée, le président israélien Isaac Herzog appelle à son tour à interrompre le processus législatif, le qualifiant de "menace sur les fondements de la démocratie". Une semaine plus tard, lors d'un déplacement de Benyamin Nétanyahou à Berlin, le chancelier allemand Olaf Scholz affirme, lors d'une conférence de presse commune, suivre "avec une grande inquiétude" les débats autour de la réforme. "Je suis censé être un potentat qui abolit la démocratie. Il ne faudra pas beaucoup de temps pour se rendre compte que c'est absurde, c'est grotesque", répond le dirigeant israélien.

Le 19 mars, le président américain Joe Biden appelle Benyamin Nétanyahou pour l'inviter à trouver "un compromis". "Les sociétés démocratiques sont renforcées par de véritables freins et contrepoids" et tout changement de fond doit bénéficier du "soutien populaire le plus large possible", affirme Joe Biden, selon des propos rapportés par la Maison Blanche.

4 Benyamin Nétanyahou limoge son ministre de la Défense

Lors d'une intervention publique, jeudi 23 mars, Benyamin Nétanyahou, jusque-là resté en retrait sur ce dossier, annonce qu'il entre "en scène" et s'engage à "mettre fin à la division au sein du peuple". Il affirme sa détermination à faire avancer la réforme, arguant qu'il ferait tout pour "parvenir à une solution" acceptable tant pour les défenseurs du projet que pour ses détracteurs.

Le lendemain, il est rappelé à l'ordre par la justice, qui juge son intervention "illégale". "Votre déclaration d'hier et toute intervention de votre part dans [le] processus [d'adoption de la réforme] est illégale", écrit la conseillère juridique du gouvernement Gali Baharav-Miara, dans une lettre adressée au Premier ministre et publiée par le ministère de la Justice. "Vous devez éviter toute implication dans les changements dans le système judiciaire et notamment dans le processus de nomination des juges, car cela vous place dans une situation de conflit d'intérêts", ajoute-t-elle.

Dimanche, le ministre de la Défense israélien, Yoav Galant, est limogé par le Premier ministre après avoir appelé à une pause d'un mois dans le processus législatif de la réforme judiciaire. Des milliers de personnes descendent dans la rue à Tel Aviv. Le lendemain, c'est au tour du président Isaac Herzog d'appeler, à "stopper immédiatement" le travail législatif sur le projet de réforme judiciaire.

De son côté, lors d'un point presse tenu lundi matin, le chef de la centrale syndicale israélienne Histadrout a exigé, sous peine de grève générale, un retrait de la réforme. "J'appelle à une grève générale (...) dès la fin de cette conférence de presse, l'Etat d'Israël s'arrête", déclare Arnon Bar David. Les principales organisations du patronat se sont distanciées de l'appel à la grève, tout en appelant au dialogue et à "l'arrêt immédiat du processus législatif". Mais, fait rare, des entreprises privées – banques, compagnies d'assurance, chaînes de vêtements et de restauration – ont tout de même décidé de fermer.

5 Nétanyahou met son projet en "pause"

Plusieurs dizaines de milliers de manifestants, selon des médias israéliens, étaient rassemblés lundi après-midi autour du Parlement, à Jérusalem, pour protester contre la réforme. Une contre-manifestation, la première du genre, s'est aussi tenue non loin de là, devant la Cour suprême, rassemblant plusieurs milliers de personnes, selon un journaliste de l'AFP.

Lundi soir, Benyamin Nétanyahou a finalement annoncé une "pause" dans le processus d'adoption de la réforme, en cours d'examen au Parlement. Il s'agira cependant d'une courte pause. Dans une adresse à la nation, après des consultations politiques avec certains partenaires de la coalition au pouvoir, le Premier ministre a annoncé que l'adoption définitive des différents textes de la réforme était reportée à la prochaine session parlementaire. Celle-ci doit s'ouvrir après les fêtes de la Pâque juive (5 au 13 avril).

Dans la foulée de cette annonce, la centrale syndicale israélienne Histadrout a réagi en levant la grève générale.

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