Discours de la Sorbonne : cinq ans après, quel est le bilan des propositions d'Emmanuel Macron sur l'UE dans sa lettre aux Européens ?

En 2019, avant les précédentes élections européennes, le chef de l'Etat avait formulé de nombreux souhaits, d'une plus grande ambition climatique à la mise en place d'un salaire minimum européen.
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Le président français Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse au Conseil européen à Bruxelles (Belgique), le 18 avril 2024. (LUDOVIC MARIN / AFP)

De la Sorbonne à la Sorbonne 2... Emmanuel Macron prononce un nouveau discours sur le thème de l'Europe au sein de l'université parisienne, jeudi 25 avril, sept ans après s'être plié à un exercice similaire au même endroit. L'occasion pour le chef de l'Etat de partager à nouveau ses perspectives sur l'avenir de l'UE à un peu plus d'un mois des élections européennes, lui qui a fait de son engagement européen l'une de ses marques de fabrique.

En mars 2019, à quelques mois des précédentes élections européennes, il s'était adressé à tous les citoyens de l'UE dans une lettre, dans laquelle il détaillait plusieurs propositions pour "une renaissance européenne". Un appel aux opinions publiques du continent, car la France, malgré son influence à Bruxelles, ne peut rien décider seule à l'échelle européenne : chaque évolution nécessite de trouver des accords entre les 27 Etats membres, et une majorité parmi les députés européens.

Cinq ans plus tard, certaines suggestions ont été reprises par les institutions européennes, comme l'objectif d'atteindre la neutralité carbone en 2050, mais d'autres sont restées lettre morte. Alors que l'Elysée, contacté, a refusé de commenter le sort fait aux propositions d'Emmanuel Macron, franceinfo dresse le bilan des principales pistes qu'avait lancées le président français.

La fixation d'une politique ambitieuse sur le climat : en partie réalisée

"L'Union européenne doit fixer son ambition – 0 carbone en 2050, division par deux des pesticides en 2025 – et adapter ses politiques à cette exigence : Banque européenne du climat pour financer la transition écologique ; force sanitaire européenne pour renforcer les contrôles de nos aliments ; contre la menace des lobbies, évaluation scientifique indépendante des substances dangereuses pour l'environnement et la santé…"

Emmanuel Macron

Dans le cadre du Pacte vert, l'UE a fixé pour objectif, en 2021, d'atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050, et de réduire de 55% ses émissions de CO2 d'ici à 2030. Une série de textes importants ont été adoptés pour mener les 27 à cet objectif, comme l'interdiction de la vente de véhicule neufs à moteur thermique à partir de 2035. La Cour des comptes européenne a cependant estimé, mardi, que les efforts n'étaient pas suffisants pour atteindre ces objectifs.

Aucune Banque européenne du climat n'a par ailleurs été créée, mais, en 2019, la Banque européenne d'investissement s'est donné une feuille de route sur le sujet. De la même façon, l'UE n'a pas mis en place de "force sanitaire", une demande réitérée par Emmanuel Macron le 1er février, en marge d'un Conseil européen à Bruxelles, après le mouvement de colère des agriculteurs français.

Dans ce même contexte, la Commission européenne a proposé de retirer un texte visant à réduire de moitié l'usage des pesticides dans l'UE d'ici à 2030 (et non 2025 comme Emmanuel Macron l'appelait de ses vœux en 2019). Le Parlement européen l'avait déjà rejeté en novembre.

Une réforme de l'espace Schengen : en partie réalisée

"Tous ceux qui veulent participer [à l'espace Schengen] doivent remplir des obligations de responsabilité et de solidarité. Une police des frontières commune et un office européen de l'asile, des obligations strictes de contrôle, une solidarité européenne à laquelle chaque pays contribue, sous l'autorité d'un Conseil européen de sécurité intérieure."

Emmanuel Macron

Une réforme du code du fonctionnement de l'espace Schengen, l'espace de libre circulation qui réunit 29 pays dont 25 Etats membres de l'UE, a été adoptée par le Parlement européen mercredi. Elle prévoit de "renforcer le cadre prévu pour la réintroduction et la prolongation des contrôles aux frontières intérieures",  notamment en cas de "grave menace pour la sécurité", précisait Le Monde en février.

Sur le volet migratoire, le Parlement européen a voté en toute fin de sa mandature, le 10 avril, un pacte sur l'asile et la migration. Il prévoit des contrôles renforcés et un système de filtrage des demandeurs d'asile aux frontières de l'UE, ainsi que de nouvelles règles favorisant la solidarité entre Etats pour l'accueil de réfugiés. Par ailleurs, une Agence de l'UE pour l'asile a été créée en 2022, et son siège a été installé à La Valette (Malte). Cependant, aucune police des frontières commune n'a été mise en place, même si l'UE dispose d'une Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, plus connue sous le nom de Frontex.

L'établissement d'un traité de défense et de sécurité : en partie réalisé

"Un traité de défense et de sécurité devra définir nos obligations indispensables, en lien avec l'Otan et nos alliés européens : augmentation des dépenses militaires, clause de défense mutuelle rendue opérationnelle, Conseil de sécurité européen associant le Royaume-Uni pour préparer nos décisions collectives."

Emmanuel Macron

L'offensive lancée par la Russie en Ukraine a remis sur la table l'idée d'une Europe de la défense. Si aucun nouveau traité n'a été signé, le Conseil européen a approuvé, quelques semaines plus tard, un "plan d'action ambitieux pour renforcer la politique de sécurité et de défense de l'UE d'ici à 2030", surnommé "boussole stratégique". Un dispositif appelé "Facilité européenne pour la paix" rembourse aussi aux Etats membres le matériel militaire envoyé à Kiev.  En 2023, les dépenses militaires dans l'UE ont atteint la somme record d'environ 270 milliards d'euros, soit 30 milliards de plus qu'en 2022.

La clause de défense mutuelle, introduite par le traité de Lisbonne en 2007, dispose que "si un pays de l'UE est victime d'une agression armée sur son territoire, les autres pays de l'UE ont l'obligation de lui porter aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir". Elle a été activée par la France après les attentats de novembre 2015, mais n'a pas été rendue plus "opérationnelle" depuis. Enfin, il n'existe pas de Conseil de sécurité européen qui associerait le Royaume-Uni pour préparer les décisions. 

Une réforme des règles de concurrence : non réalisée

"Sanctionner ou interdire en Europe les entreprises qui portent atteinte à nos intérêts stratégiques et nos valeurs essentielles, comme les normes environnementales, la protection des données et le juste paiement de l'impôt ; et assumer, dans les industries stratégiques et nos marchés publics, une préférence européenne comme le font nos concurrents américains ou chinois."

Emmanuel Macron

Les institutions européennes n'ont retenu à ce jour aucune des propositions du chef de l'Etat sur la concurrence, même si les règles encadrant les subventions étatiques ont été allégées en 2023 face au plan d'investissement massif des Etats-Unis visant à contrer l'inflation. Les eurodéputés ont cependant adopté définitivement, mardi, un plan visant à interdire les produits issus du travail forcé. Enfin, la France cherche toujours à convaincre ses partenaires sur la question de la préférence européenne dans les appels d'offres publics.

Un "bouclier social" pour tous les Européens : non réalisé

"L'Europe, où a été créée la sécurité sociale, doit instaurer pour chaque travailleur, d'est en ouest et du nord au sud, un bouclier social lui garantissant la même rémunération sur le même lieu de travail, et un salaire minimum européen, adapté à chaque pays et discuté chaque année collectivement."

Emmanuel Macron

En octobre 2022, l'UE a adopté une directive qui vise à faire converger à la hausse les salaires minimums européens, mais sans aller jusqu'à la création d'un Smic européen, qui imposerait un salaire minimum dans les pays qui n'en ont pas. La directive incite les Etats membres à favoriser les négociations collectives.

Une régulation des géants du numérique : en partie réalisée

"[L'Europe] doit non seulement réguler les géants du numérique, en créant une supervision européenne des grandes plateformes, mais aussi financer l'innovation en dotant le nouveau Conseil européen de l'innovation d'un budget comparable à celui des Etats-Unis, pour prendre la tête des nouvelles ruptures technologiques, comme l'intelligence artificielle."

Emmanuel Macron

La supervision européenne des grandes plateformes, telle que proposée par Emmanuel Macron, a bien vu le jour, en août 2023, avec l'entrée en vigueur du Digital Services Act (DSA). Il vise à mieux réguler les contenus sur internet d'une vingtaine de plateformes comme Facebook, Amazon ou Apple. Avec le DSA, les utilisateurs doivent être informés du fonctionnement des algorithmes qui servent à leur proposer des contenus publicitaires. Il est également possible de signaler facilement les contenus considérés comme "illicites".

Mais, la seconde proposition du président français n'a pas vu le jour. Horizon Europe, le programme de l'UE pour la recherche et l'innovation, a été doté d'un budget de 95,5 milliards d'euros au total pour la période 2021-2027. Le financement fédéral de la recherche et développement aux Etats-Unis s'élevait, lui, à 204,9 milliards de dollars pour la seule année 2023, rapporte l'ambassade de France aux Etats-Unis.

Un nouveau pacte avec l'Afrique : en partie réalisé 

"Une Europe qui se projette dans le monde doit être tournée vers l'Afrique, avec laquelle nous devons nouer un pacte d'avenir."

Emmanuel Macron

Les chefs d'Etats et de gouvernements de l'Union africaine et de l'UE se sont réunis à Bruxelles en février 2022, pour le sixième sommet entre les deux institutions. Aucun pacte d'avenir n'a été signé par les participants, mais ils "se sont mis d'accord sur une vision commune pour un partenariat renouvelé", selon le Conseil de l'UE. Les dirigeants européens ont promis un investissement d'au moins 150 milliards d'euros, une "coopération plus poussée au service de la paix et de la sécurité", ainsi "qu'un partenariat renforcé en matière de migration et de mobilité".

La création d'une "Agence européenne de protection des démocraties" : non réalisée

"Je propose que soit créée une Agence européenne de protection des démocraties qui fournira des experts européens à chaque Etat membre pour protéger son processus électoral contre les cyberattaques et les manipulations."

Emmanuel Macron

Cette idée ne s'est pas concrétisée. Pourtant, les Français la soutiennent massivement : selon un sondage Viavoice pour la fondation Jean-Jaurès en 2019, 70% des interrogés étaient alors favorables à la création d'une telle agence, chargée de protéger les processus électoraux contre les cyberattaques et le piratage informatique, et d'encadrer l'utilisation des données personnelles à des fins électorales. Consciente des craintes d'ingérences étrangères et de manipulations, la Commission européenne a formulé un ensemble de propositions sur le sujet en décembre, notamment en vue des élections européennes de juin.

L'organisation d'une Conférence sur l'avenir de l'UE : réalisée

"Mettons en place une Conférence pour l'Europe afin de proposer tous les changements nécessaires à notre projet politique, sans tabou, pas même la révision des traités."

Emmanuel Macron

Repoussée à cause de la pandémie de Covid-19, la Conférence sur l'avenir de l'UE a été lancée début 2021. Elle a réuni 800 citoyens européens, tirés au sort, qui ont travaillé pendant un an sur des propositions d'évolutions de l'UE. Leur rapport, contenant plus de 300 mesures concrètes, a été rendu le 9 mai 2022.

Ce panel de citoyens a notamment suggéré la mise en place de listes transnationales aux élections européennes, la fin du droit de veto des Etats membres au Conseil européen, un changement de nom des institutions "pour plus de clarté" ou la réouverture des discussions sur une constitution européenne. La Commission européenne affirme avoir agi "sur près de 95 % des mesures (...) qui relèvent de sa compétence et sont conformes aux traités." Mais les suggestions les plus discutées, qui touchent au fonctionnement des institutions et nécessitent un changement des traités, ne sont pas concrétisées.

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