Salaires minimaux dans l'Union européenne : cinq questions sur l'accord conclu à Bruxelles
Le texte ne fixe pas de smic européen uniforme, mais prévoit des règles contraignantes pour les 21 pays de l'Union européenne déjà dotés d'un salaire minimum afin de favoriser son augmentation.
"C'est une avancée majeure pour laquelle la France s'est battue depuis cinq ans", s'est félicité Clément Beaune, ministre délégué chargé de l'Europe. Les représentants du Parlement et du Conseil européen se sont mis d'accord, dans la nuit du lundi 6 au mardi 7 juin, sur de nouvelles règles européennes visant à fixer des salaires minimaux décents dans les différents pays membres. Cet accord va-t-il permettre de mettre en place un smic européen ? Quand va-t-il être appliqué ? Va-t-il changer quelque chose en France ? Franceinfo récapitule.
1En quoi consiste cet accord ?
L'objectif de l'accord vise à améliorer les revenus des travailleurs de l'Union européenne, tout en luttant contre le dumping social au sein de l'UE, qui permet à certaines entreprises de se tourner vers des pays moins-disants sur le plan du droit du travail afin de faire des économies. Pour y parvenir, le texte ne fixe pas de smic européen uniforme, mais prévoit des règles contraignantes pour les 21 pays membres déjà dotés d'un salaire minimum, pour favoriser son augmentation. Il n'oblige toutefois pas à introduire un salaire minimum dans les six pays qui n'en disposent pas et où les niveaux de revenus sont déterminés par la négociation collective (Autriche, Chypre, Danemark, Finlande, Italie, Suède).
Les 21 Etats concernés par l'accord (dont la France) devront d'abord "évaluer si leur salaire minimum légal existant est suffisant pour assurer un niveau de vie décent", en prenant notamment en compte la question du pouvoir d'achat à partir d'un panier de biens et services à prix réels, détaille le Parlement européen dans un communiqué. Pour établir le niveau de leur smic, les gouvernements pourront également appliquer des valeurs de référence, comme "60% du salaire médian brut" ou "50% du salaire moyen brut", précise l'accord.
Par ailleurs, le texte prévoit que les Etats membres dans lesquels moins de 80% de la main-d'œuvre est protégée par une convention collective devront créer un plan d'action pour augmenter progressivement cette couverture. Enfin, les pays devront mettre en place des contrôles permettant de "garantir le respect des dispositions" de l'accord, ainsi qu'un droit de recours pour les travailleurs dont les droits auraient été bafoués.
2Quelle est la situation actuelle ?
La situation est très disparate dans les 21 des 27 pays de l'UE qui disposent d'un salaire minimum. De 332 euros mensuels en Bulgarie, le smic peut ainsi atteindre 2 202 euros au Luxembourg, d'après les données 2021 d'Eurostat.
En France, le smic a bien grimpé de 2,65% au 1er mai, après avoir déjà augmenté de 0,9% au 1er janvier, et de 2,2% deux mois plus tôt, en octobre 2021. Il ne s'agit toutefois pas d'un coup de pouce décidé par le gouvernement mais de hausses automatiques, prévues par la loi en cas de forte inflation.
La France possède un des meilleurs salaires minimums du continent, mais elle est peu à peu rattrapée par ses voisins, comme le montre ce graphique qui compare l'évolution du salaire minimum rapporté au salaire médian de chaque pays.
Pour l'année 2022, plusieurs gouvernements ont ainsi validé une augmentation importante de leur salaire minimum. En Allemagne, où il n'a été introduit qu'en 2015, le salaire minimum devrait connaître une augmentation de 25% d'ici à octobre, passant de 9,82 euros à 12 euros de l'heure. La hausse devrait atteindre 7% en 2022 au Royaume-Uni (qui n'est plus membre de l'UE) et un peu moins de 4% en Espagne.
3Quand l'accord va-t-il s'appliquer ?
L'accord politique conclu par l'équipe de négociation du Parlement européen n'est pour l'instant que provisoire. Il doit désormais être approuvé par la commission de l'emploi et des affaires sociales, puis par un vote en séance plénière. Le Conseil européen, qui réunit les chefs d'Etat ou de gouvernement des Vingt-Sept, doit également approuver l'accord.
La Suède et le Danemark ont averti mardi qu'ils s'opposeraient au texte. Cela ne devrait pas empêcher son adoption, qui doit s'effectuer à la majorité qualifiée des Etats, et non à l'unanimité.
4Va-t-il changer quelque chose en France ?
C'est peu probable. En France, le smic mensuel net s'établit à 1 302,64 euros depuis le 1er mai. Cela représente près de 65% du salaire médian, qui en 2020 s'établissait à 2 005 euros net, d'après les chiffres publiés fin avril par l'Insee.
Face à la récente flambée des prix, le gouvernement prévoit tout de même de prendre d'autres mesures qu'une augmentation du salaire minimum. Cela passera notamment par un projet de loi sur le pouvoir d'achat qui sera présenté en Conseil des ministres "le 29 juin" puis soumis au Parlement "dans la foulée", a affirmé la porte-parole du gouvernement, Olivia Grégoire, dans une interview au Parisien le 30 mai.
5Quelles ont été les réactions ?
Les soutiens français d'Emmanuel Macron au Parlement européen ont applaudi des deux mains cet accord, alors que la France doit rendre à la fin du mois de juin la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne. Ils en ont profité pour tacler la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) menée par Jean-Luc Mélenchon, qui envisage de déroger à certaines règles européennes, "en particulier économiques et budgétaires", afin d'être "en capacité d'appliquer [son] programme".
"Loin de vouloir désobéir à l'Europe, nous avons fait le choix de la changer de l'intérieur, en convaincant les autres forces pro-européennes de nous suivre."
La délégation Renaissance au Parlement européendans un communiqué
Interrogée par franceinfo, l'eurodéputée LFI Leïla Chaibi considère que l'accord adopté la nuit dernière "relève plus du service minimum que du salaire minimum". "Le seuil de 60% du salaire médian retenu dans l'accord pour fixer un salaire minimum n'est pas contraignant, en plus d'être largement insuffisant. Le risque, c'est qu'Emmanuel Macron refuse d'augmenter davantage le smic en avançant le fait qu'il n'y a pas à se plaindre, car le salaire minimum en France est un peu au-dessus du seuil retenu par Bruxelles", redoute l'élue.
Cette position n'est pas partagée par toute la gauche européenne. Dans un communiqué, la délégation française de la gauche sociale et écologique, composée de membres du Parti socialiste et de Place publique, a salué "une magnifique victoire socialiste pour l'Europe sociale". "Alors que l'inflation fait rage, notre objectif avec ce texte est que le travail paye, d'assurer un niveau de vie décent, de réduire les inégalités salariales et de contribuer à une convergence sociale vers le haut", estime-t-elle.
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