Sept questions pour comprendre le Digital Services Act, qui va désormais encadrer les géants du web
C'est la nouvelle arme de l'Union européenne pour lutter contre la haine en ligne et la désinformation : le Digital Services Act (DSA) entre en vigueur vendredi 25 août. Quels sont les plateformes et les services concernés, qu'est-ce qui va changer pour les utilisateurs et quels sont les moyens mis en œuvre pour faire respecter la réglementation ? Franceinfo fait le point avec Marc Mossé, avocat expert du numérique et ancien directeur des affaires juridiques et publiques de Microsoft Europe.
1Qu'est-ce que le Digital Services Act ?
Après le Règlement général sur la protection des données (RGPD), régulation européenne dont l'objectif était de protéger notre vie privée et de sécuriser les informations à notre sujet, le DSA concerne... tous les contenus que l'on peut trouver sur internet. Dans les grandes lignes, son objectif est d'éviter la propagation de ceux qui sont illicites : les propos haineux, les fake news, les ingérences dans les élections, les atteintes à la dignité humaine, aux mineurs... La publicité ciblée et les manipulations sont également concernées.
"Le DSA est une pierre angulaire des réglementations européennes sur le numérique", résume l'avocat Marc Mossé. Son objectif est de protéger les citoyens et les consommateurs, en parallèle du Digital Markets Act, qui concerne les marchés et la lutte contre les monopoles.
2Qui est concerné par le DSA ?
À partir du vendredi 25 août, le DSA entre en vigueur pour les grandes entreprises qui réunissent plus de 45 millions d'utilisateurs mensuels dans l'Union européenne, soit environ 10% de la population. En avril, la Commission européenne a dévoilé la liste des 17 très grandes plateformes concernées : AliExpress, Amazon, Apple Appstore, Booking, Facebook, Google Play, Google Maps, Google Shopping, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter, Wikipedia, YouTube et Zalando. Deux moteurs de recherche, Bing et Google, doivent aussi se soumettre à cette réglementation.
Toutes plateformes et intermédiaires (fournisseurs d'accès à internet, moteurs de recherche...) quel que soit leur nombre d'utilisateurs, seront concernées dans un second temps, à partir du 17 février 2024. Les grosses plateformes seront soumises à plus de règles que les autres.
C'est pourquoi Amazon et le site de vente privée Zalando ont décidé de contester leur appartenance à cette liste auprès de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Ce bras de fer politico-judiciaire pourrait prendre des années. En attendant, ces deux sociétés devront se conformer comme les autres au DSA dès le 25 août.
3 Que prévoit-il ?
Avec le DSA, les utilisateurs des plateformes devront être informés du fonctionnement des algorithmes qui servent à leur proposer des contenus publicitaires. Sauf consentement explicite, les données dites "sensibles" (origine ethnique, opinions politiques, orientation sexuelle) ne doivent plus servir à présenter des publicités ciblées, qui seront totalement interdites pour les mineurs.
Il devra également être possible de signaler facilement les contenus considérés comme "illicites". Les plateformes devront traiter rapidement les signalements, se montrer réactives pour expliquer leurs choix et répondre aux réclamations des utilisateurs qui contestent la suspension ou la résiliation de leur compte.
Par ailleurs, les plateformes commerciales comme Amazon auront l'obligation de se renseigner sur leurs vendeurs afin d'informer les consommateurs. Les plateformes trompeuses et les pratiques "visant à induire les utilisateurs en erreur" seront interdites.
Une autre innovation est la mise en place des "signaleurs de confiance", désignés par les régulateurs nationaux (en France, l'Arcom). Leurs notifications seront traitées en priorité. Il pourra par exemple s'agir du site Pharos, mis en place par le gouvernement, ou encore d'associations. Enfin, les régulateurs de chaque pays coopéreront au sein d'un "comité européen des services numériques" qui émettra des recommandations sur l'application du DSA.
4Quelles sont les mesures qui concernent les très grandes plateformes et moteurs de recherche ?
Les grandes entreprises auront davantage d'obligations à respecter, en raison de leur influence majeure sur la vie économique et démocratique. Elles devront par exemple proposer à leurs utilisateurs un système de recommandation de contenus qui n'est pas ciblé et mettre à disposition un registre avec des informations sur les publicités présentées (par exemple, qui a parrainé l'annonce, pourquoi elle est mise en avant...).
Elles devront aussi analyser tous les ans les risques "systémiques" qu'elles génèrent (pour la sûreté d'un Etat ou les mineurs, par exemple), prendre des mesures pour les atténuer (supprimer les faux comptes ou encore faire davantage remonter des sources qui vérifient sérieusement les informations) et réaliser des audits indépendants à ce sujet. Une autre obligation est de faire preuve de plus de transparence concernant leur algorithme auprès de la Commission européenne, des Etats, et de donner l'accès aux principales données de leurs interfaces aux chercheurs qui veulent les étudier.
Enfin, la Commission européenne pourra demander aux grands acteurs une analyse des risques en cas de "crise majeure", notamment concernant la sécurité ou la santé publique, et leur imposer des "mesures d'urgence" si nécessaire, lit-on sur vie-publique.fr.
5Le DSA peut-il être un outil de censure ?
Alors que le DSA entre en vigueur, certains internautes dénoncent une "officialisation de la censure". Cette théorie a, entre autres, été nourrie par le fait que le Commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, a annoncé pendant les émeutes qui ont suivi la mort de Nahel à Nanterre (Hauts-de-Seine) que le DSA pourrait servir à effacer des contenus "haineux" et ceux qui "appelleraient à la révolte." Il a même ajouté que les plateformes seraient "immédiatement sanctionnées", voire que leur exploitation serait "interdite" si elles ne le font pas.
Dans les faits, le processus est un peu plus complexe. Pour suspendre une plateforme, il faudra que l'Arcom saisisse la justice française ou, dans le cas des très grandes plateformes, que la Commission européenne, s'en réfère à la CJUE. Ces juridictions seront les seules à pouvoir ordonner cette décision. En revanche, la Commission européenne sera bien en mesure d'infliger des amendes (jusqu'à 6% du chiffre d’affaires mondial de l'entreprise concernée), sans passer par l'autorité judiciaire.
Mais les plateformes pourront contester les décisions qu'elles jugent mal fondées auprès de la justice, rappelle Marc Mossé. Pour cet avocat spécialiste du numérique, on est donc plutôt face à un texte de "conciliation entre différents droits et liberté".
6Est-ce que les plateformes jouent le jeu ?
Selon Thierry Breton, plus de 1 000 personnes travaillent au sein de Meta (anciennement Facebook) pour se conformer aux nouvelles exigences européennes. TikTok s'est fendu d'un communiqué de presse sur ses efforts pour faciliter les signalements et va permettre de désactiver son algorithme de recommandation en Europe. En juin, Elon Musk a aussi promis que X (ex-Twitter) respectera la réglementation, sans en dire plus sur les moyens mis en œuvre.
7Est-ce que les Etats et la Commission ont les moyens de faire respecter le DSA ?
C'est la grande question. Le chercheur au CNRS David Chavalarias a montré que les contenus climatosceptiques sont surreprésentés sur X depuis l'arrivée d'Elon Musk à sa tête. Un exemple parmi tant d'autres du chemin qu'il reste à parcourir.
L'année dernière, la Commission européenne annonçait recruter des experts pour faire appliquer la législation. En avril, elle a aussi inauguré son Centre européen pour la transparence algorithmique (ECAT), à Séville, qui vise à fournir l'expertise technique et scientifique pour veiller à ce que les très grandes plateformes et moteurs de recherche "respectent les exigences en matière de gestion des risques".
En France, la loi portant sur la régulation de l’espace numérique sera examinée à l'Assemblée nationale en septembre, avec pour ambition, entre autres, d'adapter le droit à la réglementation européenne.
Pour Marc Mossé, le DSA "n'est pas une baguette magique qui va permettre de bannir la haine en ligne et la désinformation des réseaux sociaux du jour au lendemain". En revanche, il s'agit selon lui d'un texte "novateur", qui "responsabilise les plateformes et permet d'établir un dialogue avec les régulateurs, le monde de la recherche universitaire et les utilisateurs".
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