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Guerre en Ukraine : ce que l'on sait de la mort du journaliste français Frédéric Leclerc-Imhoff, tué près de Sievierodonetsk

Frédéric Leclerc-Imhoff, journaliste de BFMTV, est mort sur le terrain, lundi, alors qu'il réalisait un reportage sur l'évacuation de civils dans la région séparatiste du Donbass.

Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le journaliste français Frédéric Leclerc-Imhoff, photographié lors d'un de ses reportages, a été tué près de Sievierodonetsk (Urkaine), le 30 mai 2022. (HANDOUT / BFM TV)

"Il ne pouvait pas s'en sortir", regrette Serguiï Gaïdaï, gouverneur de la région de Lougansk, mardi matin sur franceinfo. Le journaliste Frédéric Leclerc-Imhoff, qui travaillait pour BFMTV, est mort lundi 30 mai en Ukraine, alors qu'il réalisait un reportage sur les évacuations de civils de Lyssytchansk et Sievierodonetsk, dans le Donbass. 

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Une enquête a été ouverte pour crime de guerre et la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a demandé au président ukrainien Volodymyr Zelensky de permettre "le retour" du corps du journaliste "à sa famille le plus rapidement possible". Frédéric Leclerc-Imhoff est le huitième journaliste tué depuis le début du conflit en Ukraine, le 24 février. Franceinfo revient sur ce drame. 

Frédéric Leclerc-Imhoff était un journaliste "brillant" et "bienveillant"

Agé de 32 ans, Frédéric Leclerc-Imhoff était journaliste, reporter d'images et réalisateur. Diplômé de l'Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine, il a débuté sa carrière au sein de l'agence de presse Capa "où il laisse le souvenir d'un journaliste brillant, engagé et passionné mais aussi d'un homme gentil et bienveillant", témoigne l'agence sur Twitter.

Il travaillait pour BFMTV "depuis plus de six ans" en tant que pigiste, un "statut qu'il adorait", soulignent ses collègues dans un hommage rendu sur la chaîne, mardi matin. Il était "joyeux, enthousiaste, bienveillant, courageux et un formidable journaliste", se souvient également la Société des journalistes (SDJ) de BFMTV dans un communiqué publié sur Twitter, peu après l'annonce du drame. 

Depuis le début de l'invasion russe, le 24 février, "c'est la deuxième fois qu'il partait en Ukraine, à sa demande", a souligné le directeur général de la chaîne d'informations BFMTV, Marc-Olivier Fogiel. Ce dernier a également partagé à l'antenne un court message de la mère du journaliste envoyé par SMS : "Il était effectivement très engagé et je suis fière de ses choix".

Frédéric Leclerc-Imhoff avait suivi un stage commando "pour se préparer, pour pouvoir y retourner et avoir des réflexes", a rappelé le patron de la chaîne. Le journaliste relayait depuis plusieurs jours sur son compte Twitter les publications de son collègue journaliste Maxime Brandstaetter avec qui il était reparti en Ukraine courant mai. 

Il effectuait un reportage sur l'évacuation de civils dans le Donbass

"Il est mort en faisant son métier de reporter, sur le terrain, pour montrer la réalité de ce conflit", rappelle la SDJ de BFMVTV. Frédéric Leclerc-Imhoff, accompagné de son collègue Maxime Brandstaetter et de leur fixeuse Oksana Leuta, se trouvait à Kramatorsk, la capitale du Donbass, dans l'est de l'Ukraine, peu avant le drame. 

Tous les trois suivaient une opération humanitaire qui avait pour mission d'aller chercher 10 civils bloqués à Lyssytchansk, située à 80 km, dans la région de Sievierodonetsk. Les forces russes visent à contrôler ce bassin minier depuis le début du conflit. "La situation y est aussi compliquée que possible, toute la région de Lougansk est aujourd'hui un territoire continuellement bombardé par tous les types d'armes dont dispose l'armée russe. Ce sont des bombes aériennes, de l'artillerie et des chars. Tout", a dénoncé le gouverneur de cette région, Serguiï Gaïdaï, sur Telegram. 

Là-bas, mettre à l'abri les civils est compliqué. "Dans cette guerre du Donbass, il n'y a pas de règles concernant l'évacuation des civils, pas de couloir, pas de corridor humanitaire, rien de tout ça, a rapporté, lundi, la journaliste Maryse Burgot, envoyée spéciale de France Télévisions en Ukraine. Les gens fuient sur des routes très dangereuses, régulièrement bombardées et prises pour cible."

Le convoi "sécurisé" a reçu des éclats d'obus

Au lendemain du drame, les circonstances de la mort de Frédéric Leclerc-Imhoff se précisent. Vers 14 heures, lundi, un bus blindé, escorté par des voitures de police, est parti de Kramatorsk. "C'était un convoi sécurisé, organisé par les autorités de la région de Lougansk, avec escorte policière et véhicule blindé", a détaillé Maryse Burgot

Frédéric Leclerc-Imhoff se trouvait à l'avant du véhicule lorsqu'un obus a éclaté devant le convoi sur la route menant à Lyssytchansk. "C'était un obus de gros calibre, de 152 mm, dont les éclats ont transpercé le pare-brise blindé", détaille le gouverneur de Lougansk. "Les journalistes portaient des casques et des gilets pare-balles, mais l'éclat lui a touché le cou", a-t-il détaillé avant d'ajouter que même si "les journalistes ont déjà accompagné des patrouilles de police, c'est la première fois que ça se produit". 

Dans le véhicule se trouvaient également Maxime Brandstaetter, qui a été légèrement blessé lors de cette frappe, et leur fixeuse Oksana Leuta, qui n'a pas été touchée. Tous les deux "sont en vie et en sécurité", a assuré la SDJ de BFMTV. Selon l'ambassadeur de France en Ukraine, Etienne de Poncins, interrogé mardi sur franceinfo, il est "difficile de savoir si ceux qui ont tiré savaient qu'un journaliste se trouvait dans le bus" mais il a déploré "les incidents systématiques" qui surviennent lors des convois d'évacuation.

L'armée russe reste, pour l'instant, silencieuse

Officiellement, la Russie n'a pas réagi. Mais un officier de la milice populaire de la république populaire de Lougansk (LPR), Andrey Marochko, a qualifié Frédéric Leclerc-Imhoff de "mercenaire étranger", le soupçonnant de "livrer des armes et des munitions aux positions des unités armées ukrainiennes. C'est pourquoi il était voué à une si triste fin", a-t-il expliqué à l'agence de presse russe Tass (en anglais), lundi. 

Selon Andrey Marochko, la milice populaire de la LPR a averti le 27 mai que les forces de la LPR cibleraient les voitures civiles que l'Ukraine utiliserait à des fins militaires. "Cet incident", en parlant de la mort de Frédéric Leclerc-Imhoff, est "imaginé pour agiter la communauté internationale, nous présenter sous un mauvais jour et nous accuser de tuer des journalistes. Mais je tiens à souligner que ce n'est pas le cas", a déclaré le sépartiste prorusse. 

En France, les réactions ont été immédiates

Dès la nouvelle connue, plusieurs médias et journalistes ont rendu hommage à Frédéric Leclerc-Imhoff, aux côtés de la rédaction de BFMTV, qui est "en deuil", a déclaré Marc-Olivier Fogiel. "Au nom de France Télévisions, je partage la peine immense de la rédaction de BFMTV, pour la perte de l'un des leurs, Frédéric Leclerc-Imhoff tombé en Ukraine pour nous informer", a déclaré sur Twitter Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions.

Thierry Thuillier, directeur général adjoint du pôle information de TF1, a adressé ses "condoléances à la famille de notre confrère Frédéric Leclerc-Imhoff" et a rendu "hommage à tous les reporters qui choisissent de couvrir l'Ukraine pour que nous soyons informés", a-t-il ajouté. 

De la gauche à la droite, des responsables politiques de tous bords ont également rendu hommage au journaliste disparu. Au sein de l'exécutif, Emmanuel Macron a déclaré sur Twitter partager "la peine de la famille, des proches et des confrères de Frédéric Leclerc-Imhoff"."A celles et ceux qui assurent sur les théâtres d'opérations la difficile mission d'informer, je veux redire le soutien inconditionnel de la France", a-t-il assuré.

Quant à la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, elle a condamné un "double crime qui vise un convoi humanitaire et un journaliste".

Les ONG dénoncent un "drame humain"

Reporters sans frontières (RSF) a déposé cinq plaintes auprès de la Cour pénale internationale et auprès de la procureure générale d'Ukraine, "pour que l'armée russe et ses responsables puissent répondre de leur crime", a assuré Jeanne Cavelier, responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale pour RSF, auprès de franceinfo"Les journalistes sont délibérément visés par l'armée russe et c'est effectivement révoltant", dénonce-t-elle.

Du côté d'Amnesty International France, sa présidente pour la section française, Cécile Coudriou, souligne, auprès de franceinfo, "qu'aucune distinction n'est faite entre les civils et les cibles militaires". La mort de Frédéric Leclerc-Imhoff est "un drame humain", mais également une terrible illustration que depuis "le tout premier jour" de cette guerre en Ukraine, il y a une "absence totale de respect pour les vies humaines", a-t-elle dénoncé. 

Une enquête a été ouverte en France pour "crimes de guerre"

Le Parquet national antiterroriste (Pnat) a ouvert lundi une enquête pour "atteinte volontaire à la vie d'une personne protégée par le droit international""attaque délibérée contre des personnes qui ne prennent pas part directement aux conflits" et "attaques délibérées contre le personnel et les véhicules employés dans le cadre d'une mission d'aide humanitaire", a appris franceinfo auprès du parquet. Elle porte aussi sur "les blessures subies par son confrère Maxime Brandstaetter", présent lors de l'attaque, a précisé le parquet. 

Au moins cinq autres enquêtes pour des faits commis au préjudice de ressortissants français en Ukraine ont été ouvertes depuis le début de la guerre par le pôle crimes contre l'humanité et crimes de guerre du Pnat. Une première enquête avait été ouverte après la mort du journaliste franco-irlandais Pierre Zakrzewski le 14 mars à Horenka, près de Kiev.

En Ukraine, la police de l'oblast de Lougansk a ouvert une enquête, en vertu de l'article 438 du Code pénal de l'Ukraine portant sur la violation des lois et coutumes de la guerre, a informé la police nationale sur son site (en ukrainien).  

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