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L'optimisme est-il le meilleur moyen de combattre la crise climatique ?

D'un côté, il y a la certitude que notre modèle ne convient plus. De l'autre, l'incertitude sur celui qui viendra le remplacer. Entre les deux, le risque de plonger dans une crise existentielle.
Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Pour affronter la crise climatique, il faudrait déployer un savant mélange d'indignation face aux faits et de confiance en notre capacité de sursaut. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

Et si on appréhendait la crise climatique autrement ? Face à l'explosion de l'éco-anxiété, en particulier chez les jeunes, médias, scientifiques et activistes doivent relever un nouveau défi : informer, enseigner et mobiliser sur les questions environnementales et climatiques, sans terroriser leur public. En novembre, une étude publiée par la Fondation Descartes (en PDF) montrait que plus de la moitié des Français (51%) juge la couverture médiatique du changement climatique "trop anxiogène" et surtout "pas assez constructive" (72%).

S'il ne viendrait pas à l'esprit de réclamer aux médias des "solutions" pour régler le conflit israélo-palestinien ou des reportages "moins moralisateurs" sur les violences conjugales, cette injonction réservée au climat interroge notre rapport aux émotions, dans un moment charnière de notre histoire commune. Faut-il voir "le vert à moitié plein" pour aborder plus efficacement la crise ? Eléments de réponse juste après la photo de ce chat, confronté pour la première fois au bilan carbone de ses croquettes (en anglais).

Ses croquettes ont tout de même un impact environnemental moins fort que la pâtée. (PAI-SHIH LEE / MOMENT RF / GETTY IMAGES)

Des faits pas très "fun" au quotidien 

"Ceux qui formulent cette demande d'être plus positif, de proposer des solutions, nous disent à travers cela qu'ils sont en prise avec quelque chose d'insupportable", analyse le psychosociologue Jean Le Goff, du Centre d’études psychosociologiques et travaux de recherche appliquée. "Il est important d'entendre cette demande, de ne pas la balayer d'un revers de la main, quand bien même on ne peut pas forcément y accéder." Car le dérèglement climatique n'est plus seulement un ensemble de chiffres et d'hypothèses compilés ponctuellement dans les rapports du Giec. Il fait l'actualité quotidiennement. Un glacier qui disparaît, un pays sous les eaux, une sécheresse inédite et autant d'expériences observées dans l'assiette, sur les factures, dans le jardin ou la voiture.

Face à la crise climatique, "on touche à des questionnements hautement fragilisants, ontologiques presque, qui interrogent la possibilité ou non de pouvoir continuer à être, et à vivre, dans un monde qui nous serait figurable", explique la sociologue Alice Canabate, présidente de la Fondation de l'Ecologie politique et autrice de L'écologie et la narration du pire : récit et avenir en tension (Editions Utopia). "Par divers mécanismes de report de ces éléments anxiogènes, nous parlons volontiers de 'catastrophisme', quand, malheureusement, d'un point de vue purement matériel et factuel, les faits sont bien de cet ordre-là." 

Aujourd'hui, rares sont ceux qui assument encore un discours purement climatosceptique. En 2023, le déni s'exprime à travers le "climatorassurisme", une mouvance qui ne nie plus le problème, mais le minimise, sur l'air d'un (mauvais) tube de l'été : "Oui, il fait chaud. Mais c'est normal, il a toujours fait 28°C la nuit à Arras !" 

La peur est-elle moins capable de mobiliser que l'espoir ? De nombreuses études menées ces dernières années auprès des militants de la défense de l'environnement tendent à montrer que non. "On fait fausse route en posant cette question", estime Jean Le Goff, qui n'y voit pas des émotions rivales, mais complémentaires. "Il n'y a pas de recette. Ce qui fonctionne avec les gens qui souffrent d'éco-anxiété, c'est de partager ces émotions, de créer du lien", explique le spécialiste, pour qui il est vain de chercher à ignorer ou dissimuler son mal-être face à des infos qui s'apparentent parfois à un fardeau.

Indignation et capacité de sursaut

"Cette injonction à l'optimisme est sans doute trop tardive et possiblement", poursuit Alice Canabate. "Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c'est de réalisme. Tout le monde doit pouvoir se demander comment se positionner face à cette montagne à gravir. Pour être en capacité d'action, il faut avoir intégré l'état des limites planétaires, l'impossibilité d'une croissance infinie dans un monde fini, la vitesse à laquelle se détériore la biodiversité..." abonde-t-elle.

Pour agir, il ne faudrait donc pas faire l'autruche, mais déployer un savant mélange d'indignation face aux faits et de confiance quant à notre capacité de sursaut. Une combinaison qu'illustre bien le nom d'un podcast coanimé par la diplomate costaricienne Christiana Figueres, reconnue pour son travail sur la crise climatique : "Outrage and Optimism".

En novembre, l'autrice américaine Rebecca Solnit a interpellé ses quelques dizaines de milliers d'abonnés sur Twitter. "Quelles sont, selon vous, les plus grandes victoires remportées sur le front climatique ?" Une condamnation du pétrolier Shell, aux Pays-Bas ; un projet de mine de charbon abandonnée après une mobilisation citoyenne, en Australie ; la reconstitution de la couche d'ozone sous l'impulsion de la communauté internationale… En quelques heures, les internautes ont dressé un inventaire très vert, illustration de l'équilibre que l'Américaine défend dans un livre à paraître en avril, Not Too Late ("Pas trop tard"). Si "on ne peut pas effacer les mauvaises nouvelles, ignorer celles qui sont bonnes conduit à l'indifférence et au désespoir", explique-t-elle dans le quotidien britannique The Guardian (en anglais)

  (REMKO DE WAAL / ANP MAG)

Ce crédo se retrouve aussi dans le discours de nombreux scientifiques, qui rappellent à longueur de déclarations et d'interventions dans les médias ou sur les réseaux sociaux (comme ici le climatologue Christophe Cassou) que "chaque dixième de degré compte" et "chaque tonne de CO2 en moins" est une victoire pour notre qualité de vie sur la planète. En somme : ce n'est pas parce que notre maison brûle qu'on ne peut pas empêcher l'incendie de se propager jusqu'à la salle à manger (et surtout à la chambre des enfants).

Solutions et fausses bonnes idées

Cette quête de bonnes nouvelles nous rend friands de solutions. "Les champs sur lesquels agit le réchauffement climatique sont si vastes, et touchent des enjeux qui nous sont si chers, - et en premier chef cette vision d’un progrès et d’un mode de vie que d’aucuns disent 'non négociables' - que l’on comprend cette obsession à ce que soit proposé quelque chose qui viendrait, céans, le suppléer", note Alice Canabate.

Cette injonction à l'optimisme "vient alimenter le pan d'un 'solutionnisme' technologique, qui ne met pas en cause fondamentalement les racines du problème, voire en crée de nouveaux", abonde la sociologue Louise Knops, de l'université de Louvain, en Belgique. Un exemple ? Les métaux rares, nécessaires à la transition énergétique. Plus que de véritables solutions, ces réponses "sont le produit de l'imaginaire capitaliste qui domine dans notre société moderne et occidentale", dit-elle, là où la crise questionne ce système de valeurs en nous exposant à la décroissance : moins d'énergie, moins de viande, moins de biens, moins d'eau...

"Les 'solutions' qui nous sont proposées aujourd'hui déplacent le problème plutôt que de le prendre à la racine."

Alice Canabate, sociologue

à franceinfo

Il peut être difficile d'appréhender les formes de sobriété comme des "solutions", quand domine la certitude qu'un robot aspirera demain le CO2 de nos usines et de nos pots d'échappement. Dans ces conditions, ce qui constitue une bonne nouvelle pour certains sera une mauvaise pour d'autres. Un coup classique des humains et de leur tendance à être différents les uns des autres.

Par l'intermédiaire de sa société Imagine 2050, Laurent Esposito travaille à harmoniser notre vision des futurs possibles. Avec ses mots à lui pour "rendre l'écologie, au sens large, désirable". "On ne peut pas dire qu'il faut uniquement se passer de choses dans la contrainte, mais donner envie de bifurquer, de changer les comportements", plaide-t-il.

"Démoder la surconsommation"

A la rencontre de journalistes, d'entreprises, de scénaristes ou d'auteurs de fictions, Laurent Esposito œuvre pour introduire l'espoir d'un "mieux" dans cette peur du "moins". "On va essayer de démoder la surconsommation en démontrant qu'il y a d'autres valeurs à mettre en avant. Il y a des cobénéfices – sur l'emploi, sur la santé... – à mener un mode de vie plus sobre, respectueux et juste, sans être caricatural, ni mièvre." 

Louise Knops estime également que "si cette injonction à l'optimisme permanent est problématique, on ne va pas non plus reconstruire une société post-croissance sur fond de pessimisme." Se concentrer sur les bonnes nouvelles et les solutions, "c'est assez cohérent avec la manière dont nos sociétés perçoivent les émotions en général", estime la sociologue. "Outre un biais négatif sur les émotions en tant que telles – par opposition à la rationalité –, on considère souvent qu'il existe de 'mauvaises' émotions, comme la peur ou la tristesse, et de 'bonnes' émotions, comme l'espoir ou la compassion, qui seraient mobilisatrices", explique-t-elle. "Il faudrait dépasser ces visions dichotomiques, car les émotions - qu'elles soient bonnes ou mauvaises - nous permettent justement de dépasser les imaginaires technologiques et solutionnistes, en soulevant d'autres questions et en mobilisant d'autres savoirs."

Pour Jean Le Goff, "la crise climatique nous place face à des pertes. Parce que l'on fait face à des destructions écologiques et parce que les changements à opérer impliquent aussi des renoncements. Pouvoir se poser collectivement la question de ces pertes, c'est cela qui est émancipateur." 

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