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Comment l'humanité a sauvé la couche d'ozone (et pourquoi on devrait s'en inspirer pour le climat)

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Un bateau chilien dans l'Antarctique, dans la zone où a été identitifié le trou dans la couche d'ozone, le 25 janvier 2015.  (NATACHA PISARENKO / AP / SIPA)

A l'heure où se terminait la COP23 à Bonn, les scientifiques s'alarmaient du manque d'initiatives pour lutter contre les gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique. Pourtant, il y a trente ans, c'est lors d'une conférence comme celle-ci que politiques et scientifiques ont sauvé la couche d'ozone d'une disparition attendue. 

"Tirer la sonnette d'alarme", "marteler", "prévenir"... En 2017, c'est aussi cela, le job de scientifique. Surtout quand il étudie le réchauffement climatique. Un sujet au cœur des discussions des acteurs de la finance internationale conviés au One Planet Summit, qui se tient à Paris, mardi 12 décembre, à l'initiative d'Emmanuel Macron. En novembre, plus de 15 000 chercheurs, issus de 182 pays, ont ainsi signé une tribune demandant d'agir en urgence pour enrayer le phénomène. Ils y dressent un rapide bilan de ce qui a été fait pour sauver la planète depuis la publication d'un "premier avertissement", il y a vingt-cinq ans. 

Depuis 1992, à l'exception de la stabilisation de la couche d'ozone stratosphérique, l'humanité n'a pas réussi à faire des progrès suffisants dans la résolution générale de ces défis environnementaux prévus et (...) la plupart d'entre eux deviennent bien pires.

Tribune de 15 000 scientifiques pour le climat

Démoralisante, cette phrase convoque un lointain souvenir : celui d'un monde terrifié à l'idée de finir carbonisé par les rayons ultraviolets du soleil, en raison du trou de la taille d'un continent dans notre couche d'ozone. Et qui a réagi. Selon la Nasa, ce dernier est bien parti pour se résorber totalement d'ici 2030-2050 (lien en anglais). L'occasion de revenir sur la façon dont scientifiques, politiques et industriels ont sauvé le monde une première fois. Qui sait, peut-être en sont-ils toujours capables ?

"L'industrie chimique a rapidement été alertée"

Quand la présidente de la Commission internationale sur l’ozone, Sophie Godin-Beekmann, démarre sa carrière de scientifique, à la toute fin des années 80, l'humanité vient de prendre conscience de l'ampleur des dégâts causés sur la couche d'ozone par les gaz CFC (ou chlorofluorocarbures). Elle se souvient d'une terrifiante conférence lors de laquelle un chercheur avait présenté l'ampleur de la diminution d'ozone à l'échelle planétaire. "Il s'agissait d'un signal tellement fort que nous étions tous très, très inquiets", se rappelle-t-elle.

L'homme qui tire la sonnette d'alarme s'appelle Paul Crutzen. Le Néerlandais fait partie de ces quelques chercheurs qui, au début des années 70, ont évoqué publiquement la détérioration de la couche d'ozone sous l'effet des CFC. Et ce, à une époque où les gouvernements envisageaient de développer des flottes d'avions supersoniques – tel le Concorde – dévastateurs pour la couche d'ozone... 

Une fabrique d'aérosols, à Saint-Pétersbourg (actuelle Russie), en 1976.  (V. NIKITIN / RIA NOVOSTI / AFP)

"Jusqu'au milieu des années 70, on considère que les CFC sont des composés très sûrs au niveau du process industriel", relève la spécialiste, directrice de recherche au CNRS. Leur utilisation est très developpée. On en trouve à la fois dans les aérosols et les réfrigérateurs. Les accusations des chercheurs, qui se basent sur des "modèles rudimentaires" et non des preuves tangibles, embarrassent donc l'industrie chimique. Cette dernière se défend en arguant que le secteur pèse quelques centaines de milliers d'emplois et plusieurs milliards de dollars, rappellent les auteurs de Protecting the Ozone Layer : The United Nations History. 

Dès 1975, la mauvaise réputation de ce composé provoque toutefois la chute des ventes d'aérosols aux Etats-Unis. L'entreprise SC Johnson fait même le pari de se débarrasser des CFC. Au Canada comme en Scandinavie, on discute de la pertinence de ce composant. "L'industrie chimique a rapidement été alertée des soupçons qui pesaient sur le CFC et a alors commencé à travailler sur des substituts", poursuit la spécialiste.

L'industrie a choisi d'accompagner les scientifiques. Elle a notamment payé des instruments de mesures et a suivi l'avancée des travaux dans ce domaine. Moi-même, j'ai utilisé un laser financé par le CMA, l'association de l'industrie chimique.

Sophie Godin-Beekmann

à franceinfo

Pour les industriels, il s'agit alors de garder la main sur le secteur en développant de nouveaux produits et "leurs propres modèles scientifiques""Ils voulaient anticiper et comprendre ce qu'il se passait", souligne encore la chercheuse. 

"Le monde a compris qu'on mettait l'espèce humaine en danger"

Le débat bascule à partir de 1985, avec la publication d'un article du scientifique Joseph Farman, puis deux ans plus tard, avec les premières campagnes de mesures réalisées dans l'Antarctique. La science rapporte enfin la preuve de l'implication des CFC dans la diminution de la couche d'ozone. Elle tranche les théories discutées entre experts en établissant un lien entre quantité de chlore dans l'atmosphère et diminution de l'ozone. En août et en septembre 1987, un avion effectue deux vols à 17 km au-dessus de l'Antarctique et révèle avec précision l'ampleur du trou dans la couche d'ozone.

Ces images, fournies par la Nasa, montrent le trou de la couche d'ozone en 1979, 1989, 2006 et 2010.  (AP / SIPA)

Quand bien même certains, comme le très populaire vulcanologue Haroun Tazieff, martèlent à tort que les données scientifiques ne permettent pas d'incriminer l'homme, ces nouvelles images entraînent la sensibilisation express du grand public. "Elles ont frappé les esprits", note la scientifique.

La couche d'ozone, c'est quand même le seul filtre qui nous protège des rayonnements ultraviolets. Tout le monde a compris que si on l'endommageait, on mettait directement en danger l'espèce humaine.

Sophie Godin-Beekmann

à franceinfo

Un protocole ratifié par tout le monde

La même année, en mars, une première conférence intergouvernementale se penche sur le problème et se solde par la ratification d'un traité, toujours en œuvre aujourd'hui : le protocole de Montréal. "Au départ, il ne permet pas d'éliminer les CFC", précise la directrice de recherche. En effet, le texte instaure "une baisse de la production des CFC de 30% et le principe d'une révision de ces objectifs tous les quatre ans, afin de faire évoluer les règles en fonctions de nos connaissances." Surtout, il met en mouvement "un cercle vertueux".

Les différentes disciplines des sciences du climat ont commencé à travailler ensemble – les modélisateurs, les observateurs, les gens qui étudient les constantes de réactions chimiques – dans des programmes scientifiques internationaux.

Sophie Godin-Beekmann

à franceinfo

"Ils ont produit des rapports détaillés qui ont permis aux politiques de disposer des informations nécessaires pour décider de revoir encore à la baisse la production des CFC". Le composant finit par être banni en 1996 dans les pays développés et en 2010 dans les pays en voie de développement.

C'est l'autre point positif du protocole, souligne la chercheuse. "Les pays développés, à l'origine de cette pollution, ont subi des règles plus contraignantes. Et les pays en voie de développement, dont la Chine faisait partie, ont bénéficié de transferts de technologies, notamment sur les produits de substitution", explique-t-elle. "Cela a accéleré la ratification du protocole par la plupart des pays. Il est l'un des rares protocoles environnementaux ratifiés de manière universelle." 

Un problème "plus simple" que le réchauffement

Comment expliquer que la planète ait pris à bras-le-corps le problème du trou de la couche d'ozone alors qu'il apparaît aujourd'hui si compliqué d'agir contre le dérèglement climatique ? D'abord, parce que "les composants incriminés avaient été identifiés". "Les industriels avaient déjà dans leurs cartons des substituts possibles quand il a fallu faire baisser les émissions. Pour eux, abandonner les CFC ne nécessitait pas de changer tout le process industriel : il s'agissait de le remplacer par des gaz qui sont assez proches. Cela paraissait faisable", relève Sophie Godin-Beekmann. 

Repenser notre façon de produire l'énergie à l'échelle planétaire semble plus complexe. Plus abstrait aussi pour le grand public, qui ne doit pas seulement jeter son frigo ou arrêter de vaporiser de la laque.  

Un vieux frigo dans la rue porte une inscription indiquant que le CFC a été retiré, le 23 juillet 2010, à New York (Etats-Unis).  (RICHARD B. LEVINE / NEWSCOM / SIPA)

Par ailleurs, sur le plan de l'action politique, "compte tenu de la situation de l'époque, marquée par la domination écrasante des Etats-Unis, il y avait beaucoup moins d'acteurs dans le jeu qu'aujourd'hui". Et la chercheuse de résumer :

Moins d'acteurs politiques, moins d'acteurs économiques, une seule sorte d'industrie concernée avec une certaine gamme de produits, un coupable identifié, des images fortes... En fait, le problème était beaucoup plus simple que ce que nous connaissons avec le réchaufffement climatique.

Sophie Godin-Beekmann

à franceinfo

Et le monde de 2017 n'est plus celui de 1987. "Le fait qu'un président comme Donald Trump soit capable de dire que son pays ne fera rien et que ce que dit la communauté scientifique est faux, c'est quelque chose qui n'aurait pas été imaginable dans les années 80", estime Sophie-Godin Beekmann. Aujourd'hui, la parole du scientifique sur le réchauffement climatique est difficilement audible. "Les gens peinent à discerner le vrai du faux. (...) Par ailleurs, nous vivons dans un monde où les lobbys sont très importants. Aujourd'hui, on a l'impression que les Etats ont beaucoup moins de pouvoir par rapport à des industriels puissants", relève Sophie Godin-Beekmann.

Une bombe aérosol contenant du CFC (image d'illustration).  (VIDAL / ISOPRESS / SIPA)

Signataire de la tribune publiée lundi, la scientifique pense pourtant que tout espoir n'est pas perdu. La lutte contre le réchauffement climatique "bénéficie à tous et il faut insister sur ce discours positif afin que les citoyens réalisent qu'il faut agir", estime-t-elle, en soulignant que la pression citoyenne peut faire avancer le politique et transformer l'accord de Paris signé en 2015 en un texte aussi décisif que le protocole de Montréal. Pour le moment, on est encore loin du compte.  

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