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Vague de chaleur : non, les étés ne sont plus les mêmes qu'avant. Voici ce qui a changé

Qu'importe nos souvenirs de glaces italiennes dégoulinantes, nous vivons bel et bien dans l'Hexagone des périodes estivales plus chaudes qu'autrefois, et ce sous l'effet du réchauffement climatique. Ces dernières semaines en sont (malheureusement) une illustration pertinente. 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Quatre personnes remplissent des bouteilles depuis une fontaine d'eau potable, à Montpellier (Hérault), le 17 juin 2022.  (MAXPPP)

"C'est normal qu'il fasse chaud, c'est l'été !" "Dans le Sud, on a toujours connu des jours à 35 °C." "Sérieusement, les gens découvrent qu'il y a des canicules en juillet ?" Au premier jour d'une nouvelle vague de chaleur, lundi 11 juillet, les commentaires agacés transpiraient sur les réseaux sociaux : il fait chaud, oui, mais quoi de neuf sous le soleil ?

Quelque jours plus tard, force est de constater que cet été 2022, ses pointes à près de 40 °C et ses deux vagues de chaleur en moins de trois semaines, se trouvent bel et bien aux portes de l'inédit, une canicule à venir étant susceptible de rivaliser en intensité avec celle, historique, de 2003.

Mais avant le verdict du mercure, franceinfo dresse un constat : nous vivons des étés d'un genre nouveau, à la fois différents de ce que nous avons connu dans le passé, et représentatifs de ce qui nous attend. Un été qui repousse un peu plus le curseur de "l'extrême", de "la normale" et "des possibles." 

Les extrêmes météorologiques "dopées par le changement climatique"

Ne se brûlait-on pas les cuisses sur les chaises en plastique quand nous étions enfants ? "Pour dire que rien n'a changé, les plus âgés citent par exemple la canicule de 1976, ou celle de 1983. On a tendance à se rappeler d'un événement caniculaire particulier et à le généraliser", relève le climatologue Christophe Cassou. En réalité, "nous avons très peu de mémoire climatique", note-t-il au téléphone depuis Toulouse où, mardi, le thermomètre a culminé à 37 °C, soit neuf degrés au-dessus des normales saisonnières pour la ville rose. L'habitude des conditions plus chaudes biaisent déjà notre rapport au climat. "On va par exemple avoir l'impression que l'été 2021 a été plutôt frais, alors qu'il s'agit d'un été qui aurait été plus chaud que la normale dans les années 1980", poursuit-il.

Si l'être humain ne peut pas toujours faire confiance à sa mémoire, les chiffres, eux, sont formels : depuis 1947, la France a connu 44 vagues de chaleur au niveau national et en traverse désormais une 45e en cette mi-juillet. On en compte surtout davantage depuis 2006 que lors des six décennies précédentes (comme le montre le graphique qui suit). "Les canicules ont toujours existé, mais elles sont dopées par le changement climatique", martèle l'un des experts du Giec. "Elles sont plus fréquentes, plus intenses et plus longues." Il n'est pas rare, désormais, d'en compter plusieurs par été quand, autrefois, plusieurs années séparaient deux événements. Comme en 2019, où le Sud a d'abord suffoqué à la fin du mois de juin, avant que le Nord n'essuie son coup de chaud un mois plus tard. Cette année-là, Vérargues, dans l'Hérault, a enregistré le nouveau record national de chaleur (le 28 juin) : 46 °C. Et Paris a batttu de plus de deux degrés son record précédent (le 25 juillet) : 42,6 °C. 

"Jusqu'à il y a peu, 43 °C étaient inconcevables à la mi-juin en France. On connaît la suite",  commentait sur Twitter en début de semaine le météorologue François Jobard. "La canicule de 1976 a marqué les esprits, mais on n'a pas dépassé 38 °C fin juin", a-t-il rappelé. Dans les années 1960, le seuil des 40 °C n'a effectivement été dépassé qu'une fois (en 1968 en Aquitaine) et une autre dans les années 1970 (en 1975 en Corse), selon Météo France, citée par l'AFP. En 2022, l'été n'avait pas officiellement commencé que la France battait déjà le record de sa canicule la plus précoce (entre le 16 et le 18 juin), avec un thermomètre affichant un bouillant 43,4 °C à Pissos, dans les Landes.

Avant même le solstice, 35 records absolus sont tombés dans l'Hexagone, a listé le site MétéoCiel. "Ces températures extrêmement élevées ont tendance à apparaître plus tôt dans la saison [cette année, il a fait 34 °C en mai à Tarbes], à se généraliser à des régions qui ne les avaient pas encore connues et à s'attarder plus tard dans la saison", a confirmé lundi 11 juillet le météorologue Matthieu Sorel, lors d'un point-presse de Météo France.

"Le changement climatique favorise les extrêmes chauds, qui se réchauffent plus vite que la température moyenne", explique Christophe Cassou. "Pour un degré de réchauffement de la température moyenne, les températures les plus chaudes prennent 1,5 degrés". Or, la "normale", elle aussi, ne cesse de grimper. 

La "normale" est plus chaude, elle aussi

Autre particularité de cet été 2022 ? La première vague de chaleur s'est produite avant la mise à jour par Météo France de ses "normales" de saison. Cette valeur, reprise notamment dans les bulletins météo, sont revues tous les dix ans, en vertu des règles de l'Organisation météorologique mondiale (OMM). Pour les définir, l'agence se base depuis le 28 juin sur les décennies 1991-2020, contre 1981-2010 auparavant. Or, les températures observées depuis le début de l'été restent bien supérieures à ces nouvelles valeurs qui, parce qu'elles sont "représentatives d'un climat centré sur les années autour de 2005 (...) présenteront encore un léger biais tant le changement climatique, et hausse des températures associées, s'est accéléré ces dernières décennies", reconnait Météo France. 

Si la température moyenne en France s'est réchauffée de 1,7 °C depuis 1900, "ces dix dernières années (...) la hausse atteint 0,6 °C et marque la plus forte progression observée entre deux décennies en France", constate l'agence météorologique. Ces nouvelles "normales" révèlent par exemple que Lille (Nord) connait désormais l'ancien climat de Rennes (Ile-et-Vilaine), Strasbourg (Bas-Rhin) et Dijon (Côte-d'Or) celui de Lyon (Rhône) et Le Mans (Sarthe) celui Bordeaux (Gironde).

Selon les simulations climatiques du projet Drias (pages 32 et 33 du document PDF), menées par plusieurs laboratoires français, les moyennes saisonnières présenteront à l'avenir toutes un réchauffement "plus sévère en été et moindre au printemps". L'écart de températures estimé en été entre les années 2021 et 2050 grimpe encore d'un degré (en valeur médiane) dans un scénario de réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre et de 1,3 °C (toujours en valeur médiane) pour les deux autres scénarios d'émissions. Soit les conditions d'un accroissement à court terme des phénomènes extrêmes, portés par ces moyennes plus chaudes. 

A l'horizon, "des possibles" toujours plus inquiétants

"Le changement climatique intervient sur le champs des possibles", résume le climatologue Christophe Cassou. Pour lui, c'est en parlant de probabilités que l'on représente le mieux l'action sur notre climat du changement qui s'opère. "Avec un réchauffement global de 1,1 °C ou 1,2 °C par rapport à l'ère pré-industrielle [le niveau de réchauffement actuel à l'échelle mondiale], la canicule de juin 2019 avait une chance sur cinquante de se produire", explique le spécialiste. "A 1,5 °C de réchauffement global – ce que nous attendons de manière certaine avant 2040, voire très probablement dans la décennie 2030 –, on passe à une chance sur dix de connaître un tel événement. A 2 °C supplémentaires – ce vers quoi on se dirige vers 2050 ou 2060 si l'on se fie aux politiques publiques mises en place actuellement –, c'est une chance sur quatre. A ce niveau de probabilité, la canicule de 2019 deviendra le climat normal en été." 

Ce curseur "des possibles" ne cesse de se décaler dans le rouge. Voire dans le noir, et au-delà : des couleurs qui ont fait frémir les internautes quand d'étonnantes cartes affichant pour la mi-juillet des températures à plus de 45 °C sur une majeure partie de la France ont circulé sur les réseaux sociaux.

Issue d'un scénario parmi des centaines d'autres, et produite par un modèle appelé "GFS", cette carte n'avait pourtant rien d'une prévision, se sont empressés de rappeler les spécialistes. A la même échéance, "un autre scénario, avec la même probabilité, affichait 28 °C", rappelle Christophe Cassou. Mais si, "prendre un modèle de manière isolée à dix jours d'échéance n'a aucun sens en termes de prévisibilité, le fait qu'un modèle puisse produire des températures aussi élevées – qu'elles se réalisent ou non – donne une indication de ce que peut être le climat aujourd'hui", relève-t-il. 

"Avec le même modèle, on fait des prévisions rétrospectives, c'est-à-dire que l'on rejoue le passé, par exemple les années 2000", poursuit le climatologue. "On voit que le même modèle, avec ses erreurs et biais intrinsèques, prévoit des températures aujourd'hui bien plus élevées que ce qu'il aurait pu prévoir en 2000." A défaut d'être une prévision fiable, ces simulations constituent donc, a minima, une mise en garde. Contre "des possibles" de moins en moins souhaitables. 

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