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Biélorussie : les sanctions européennes ont-elles un impact sur le régime de Loukachenko ?

L'Union européenne se félicite de la rapidité avec laquelle de nouvelles sanctions ont été prises contre la Biélorussie, après l'affaire de l'avion détourné. Mais quels effets ont eu les précédentes restrictions ?

Article rédigé par Noémie Bonnin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le président Alexandre Loukachenko à Minsk, en septembre 2020. (ANDREI STASEVICH / BELTA)

En moins de deux heures, la décision est prise : le 24 mai à Bruxelles, les dirigeants de l'Union européenne (UE) ferment leur espace aérien à la Biélorussie et adoptent de nouvelles sanctions contre le régime d'Alexandre Loukachenko, accusé d'avoir dérouté un avion de ligne européen vers Minsk pour arrêter un dissident, Roman Protassevitch. Ils recommandent aussi aux compagnies européennes de contourner l'espace aérien de la Biélorussie. Ces mesures punitives prises suffiront-elles à faire plier celui qui est considéré comme le "dernier dictateur" d'Europe ?

Interdictions de séjour, gel des avoirs et embargo

Ces sanctions sont loin d'être les premières, et pour l'instant elles n'ont pas dissuadé le président biélorusse. Ce qu'a d'ailleurs admis Emmanuel Macron, mardi 25 mai, lors d'un point de presse après le Conseil européen : "Aujourd'hui, nous sommes à la limite des politiques de sanctions". Les premières mesures restrictives instaurées contre la Biélorussie remontent à 2004, en réaction à la disparition de quatre personnes (deux personnalités politiques de l'opposition, un homme d'affaires et un journaliste, en 1999 et 2000). D'autres ont été prises ensuite, contre les personnes impliquées dans les atteintes aux normes électorales internationales et aux droits de l'homme. Un embargo sur les armes a par exemple été instauré en 2011.

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L'été 2020 a été une nouvelle étape : le 9 août, Alexandre Loukachenko est réélu et entame ainsi son sixième mandat présidentiel. Mais l'UE ne reconnaît pas ce scrutin et le qualifie de "ni libre ni équitable". De nouvelles sanctions sont donc mises en place, en octobre d'abord, en novembre ensuite, puis enfin en décembre.
Ainsi, avant le détournement du vol Ryanair le 23 mai 2021, 88 personnes étaient interdites de séjour en Europe et leurs avoirs gelés. Il s’agit du président Alexandre Loukachenko et de son fils conseiller à la sécurité Viktor Loukachenko, de personnalités de premier plan de la classe politique et de l’appareil d'État, de membres de haut niveau du système judiciaire, de chefs d’entreprise, de fonctionnaires ou encore du président de la radiotélévision d'État.

Un régime inflexible...

Malgré ces sanctions, Alexandre Loukachenko n'a montré aucune volonté de compromis face aux actions de protestation. "Pour le moment, les inflexions sont minimes", analyse pour franceinfo Cyrille Bret, enseignant à Sciences Po et spécialiste des relations internationales. La répression des opposants a même redoublé d'intensité. "La répression va crescendo pour essayer de neutraliser toute forme de discours dissident", rappelle également Alexandra Goujon, politologue spécialiste de la Biélorussie, qui estime à 300 le nombre de prisonniers politiques.

La stratégie des 27 a évolué avec le temps : ils ont d'abord souhaité garder la Biélorussie dans le dialogue, en ciblant des personnalités politiques de premier plan, mais en épargnant le président lui-même. Mais les dernières opérations de répression des mouvements de contestation ont convaincu notamment l'Allemagne, la France et l'Italie de viser directement le leader autocrate.

Mais même à ce niveau, les choses n'ont à ce jour pas beaucoup bougé. La Biélorussie est "un pays qui a l'habitude d'être un paria sur la scène européenne", décrypte sur franceinfo la spécialiste des sociétés post-soviétiques Anna Colin Lebedev. "À mon avis, le pouvoir biélorusse avait tout à fait conscience qu'intercepter cet avion provoquerait une réaction forte de la communauté internationale. À mon sens, ceci est anticipé et pas forcément craint par le pouvoir en place", poursuit-elle.

"Les classes politique et économique biélorusses ont l'habitude de l'isolement, continuent à fonctionner dans ce contexte d’isolement."

Anna Colin Lebedev

à franceinfo

"Ce détournement est sans doute une forme de provocation, Loukachenko ne tient pas compte et ne tiendra plus compte des pays occidentaux, en tout cas sur le court terme", acquiesce sur franceinfo Bruno Drweski, maître de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientale (Inalco) et spécialiste de l’Europe médiane. "Loukachenko cherche à créer un rapport de force. On peut supposer qu’à terme, il voudra négocier, mais en position de force."

D'autant que la Biélorussie, si elle est lâchée par l'Europe, peut compter sur d'autres appuis. La Russie bien sûr, son proche voisin. Mais pas seulement, rappelle Bruno Drweski : "Loukachenko a aussi l’allié chinois, qui est sans doute, sur le plan économique notamment, particulièrement important. Son pays fait aussi partie du mouvement des non-alignés, il a beaucoup d’alliés dans le Sud, dans ce qu’on appelait auparavant le tiers-monde. Donc il peut jouer la carte de 'je fais ce que je veux, de toute façon je n’ai pas besoin de l’Occident'."

...mais jusqu'à quand ?

Alors ces sanctions européennes sont-elles complètement inutiles ? "On parle souvent de l’absence d’effets des sanctions. Mais il faut comprendre que l’absence de sanctions n’apporte pas beaucoup d’effets non plus", rappelle à franceinfo Yauheni Kryzhanouski, enseignant-chercheur à Sciences Po Strasbourg et originaire de Biélorussie. "Pendant longtemps, on a essayé de négocier avec le régime de Loukachenko et ça n’a rien donné non plus. Donc la question qui se pose à la fin est celle de la morale."

Pour l'Europe, la réponse n'a rien d'"évident", comme l'a reconnu Emmanuel Macron, mardi. "Qu'est-ce qu'on fait ? s'est-il interrogé en conférence de presse. On déclenche un conflit armé ? On rompt complètement les relations ? On va encore plus loin, mais vers où ?" Le président français s'est dit convaincu qu'à court terme, il n'y avait "pas de réponse plus efficace" de la part de l'Europe. Et il l'assure, ces sanctions ne sont à ses yeux "qu'une étape".

Avec ce détournement d'avion dans le ciel européen, dernière entaille au droit international, Loukachenko a peut-être passé une ligne rouge. Selon Bernard Guetta, eurodéputé La République en marche et ancien journaliste géopolitique, "ce dictateur a déjà remobilisé contre lui à la fois l'Union européenne et les États-Unis". Le parlementaire explique à franceinfo que le président biélorusse a "perdu sa crédibilité". Selon lui, "conseiller fermement aux compagnies aériennes européennes d'éviter l'espace aérien de la Biélorussie, ce n'est pas rien. Interdire les aéroports de l'Union européenne à la compagnie aérienne biélorusse, ce n'est pas rien. Et surtout, augmenter très significativement les sanctions contre son régime, à la fois contre ses personnalités et contre ses plus importantes entreprises ou institutions, que faire de plus ? À peu près rien".

"Loukachenko est un gros balourd qui devient gênant, y compris pour Moscou."

Bernard Guetta, eurodéputé

à franceinfo

D'autant que son allié principal, la Russie, est peut-être en train de s'éloigner aussi. Bernard Guetta poursuit : "Je ne serais pas étonné que la chute de monsieur Loukachenko soit précipitée à Moscou par ce dernier épisode." Même analyse du côté de la spécialiste Anna Colin Lebedev : "Il ne faut pas surestimer la coopération entre Moscou et Minsk. Si effectivement Moscou est un allié précieux pour la Biélorussie, il y a également une relation relativement conflictuelle entre Alexandre Loukachenko et Vladimir Poutine."

Enfin, d'autres mesures pourraient faire avancer les choses, notamment au niveau de l'opposition biélorusse. "Il est vraiment temps pour l'Union européenne de reconnaître formellement une représentation officielle de la Biélorussie libre, qui est déjà très bien représentée en Lituanie, en Pologne et dans d'autres pays", explique à franceinfo Marie Mendras, chercheure au CNRS et professeure à Sciences Po. À ce propos, Emmanuel Macron s'est dit justement favorable à ce que l'opposition biélorusse soit invitée au G7 de juin au Royaume-Uni. Pour lui, l'Europe a par ailleurs "besoin de recadrer très profondément" sa relation avec la Russie et les pays qui lui sont proches, comme la Biélorussie. Le Conseil européen a demandé à la Commission pour juin un rapport sur la manière de répondre "face aux provocations successives" de la Russie, a expliqué le président français. "Je pense que nous sommes à un moment de vérité dans notre relation avec la Russie, qui doit nous conduire à repenser les termes de la tension qu'on décide d'installer".

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