Burkina Faso : pourquoi l'ex-président Compaoré, condamné à la perpétuité, peut revenir à Ouagadougou
Exilé depuis 2014 en Côte d'Ivoire, il est sous le coup d'un mandat d'arrêt et les parties civiles dans le procès Sankara souhaitent que les autorités judiciaires prennent "leurs responsabilités".
Blaise Compaoré, l'ancien chef de l'Etat burkinabè en exil, est attendu en fin de semaine dans son pays en dépit de sa récente condamnation à la prison à vie pour l'assassinat de son prédécesseur Thomas Sankara. L'information relative à son "court séjour" au Burkina Faso a été rendue publique le 5 juillet 2022 par l'entourage de l'ancien président, puis confirmée le lendemain par les autorités burkinabé. Sous le coup d'un mandat d'arrêt, Blaise Compaoré devrait ainsi fouler le sol burkinabè sans être particulièrement inquiété.
Une rencontre "importante pour la vie de la nation"
L'ancien dirigeant assistera le 8 juillet à "une rencontre de haut niveau" entre les cinq anciens chefs d'Etat encore en vie du Burkina Faso, selon le communiqué de la présidence publié le 6 juillet. Quelques heures plus tôt, le ministre de l'Education et porte-parole du gouvernement Lionel Bilgo avait indiqué que cette rencontre visait "à accélérer la réconciliation et (à) mutualiser les énergies afin de défendre ce qu’il y a de plus précieux, c’est-à-dire la terre du Burkina Faso", rapporte le journal burkinabè Sidwaya. Au pouvoir depuis le putsch de janvier 2022, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba tente de créer une "union sacrée" autour de lui pour l'aider dans la lutte contre les groupes jihadistes qui ensanglantent le Burkina Faso depuis 2015.
Outre Blaise Compaoré déchu en 2014, Roch Marc Christian Kaboré, renversé par la junte au pouvoir, participera à "cette rencontre importante pour la vie de la Nation", indique encore le communiqué de la présidence. Mais la réunion ne devrait pas entraver "les poursuites judiciaires engagées contre certains", précise-t-on. En avril 2022, au lendemain de sa condamnation par contumace à la prison à perpétuité pour son rôle dans l'affaire Sankara, les avocats de la famille de l'ex-président burkinabè avaient réclamé l'extradition de Blaise Compaoré.
Dans un communiqué publié le 6 juillet, le collectif des avocats des parties civiles a de nouveau appelé "les autorités judiciaires à prendre toutes leurs responsabilités, notamment faire arrêter et déférer" l'ancien chef de l'Etat. Le Balai citoyen, qui a mené la fronde contre Compaoré en 2014, estime pour sa part que "l’impunité nourrit le terrorisme". "Nous ne cessons de le (rappeler) depuis des années, vouloir sacrifier (la justice) sur l’autel des arrangements politico-diplomatiques et d’une prétendue réconciliation nationale est un leurre, une comédie institutionnelle qui fait le lit du terrorisme", peut-on lire sur la page Facebook du mouvement.
Au nom de la réconciliation nationale pour son parti
Aujourd'hui, pour Blaise Compaoré, "le principe d’un retour est acquis. Reste maintenant à peaufiner les dernières modalités", précisait un collaborateur de l'ancien président dans un article de Jeune Afrique daté du 6 juillet (article payant). La réconciliation nationale est aussi l'argument avancé par le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti créé par Blaise Compaoré, pour mettre fin à son exil ivoirien. Le CDP "appelle l'ensemble des filles et fils du pays à un apaisement des cœurs et (à) aller résolument vers une véritable réconciliation nationale pour consolider le vivre ensemble, afin de poursuivre la lutte pour le développement", déclarait encore récemment le président du parti, Eddie Komboïgo, lors d'une conférence de presse à Ouagadougou. "(Blaise Compaoré) est parti suite aux mouvements des 30 et 31 octobre 2014. Il souhaite rentrer chez lui. Il faut lui permettre de rentrer chez lui ! Et toutes les questions de réconciliation, de justice, de vérité ne peuvent s'obtenir que s'il est là ! Mais si on dit qu'il ne rentre pas chez lui, je ne sais pas comment vous pouvez mettre en application votre triptyque vérité, justice et réconciliation !", insistait déjà le chef du CDP dans un entretien accordé à la Deutsche Welle en 2021.
Une junte sensible au cas Compaoré
Pour l'ancien président déchu, l'arrivée au pouvoir des militaires s'apparente à une aubaine. Le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a servi au sein du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), l'ancienne garde présidentielle de Blaise Compaoré dissoute en 2015. Selon Le Faso.net, l'officier était prêt à sauver le régime en 2014. C'est aujourd'hui à lui de décider du sort de son ancien chef tout en tenant compte (ou non) des aspirations des Burkinabè. L'ex-président pourra être arrêté dès qu'il posera le pied sur le territoire burkinabè. "Il reste l'option d'une grâce présidentielle, indique RFI, comme c'était déjà le projet sous Roch Marc Christian Kaboré. Il pourrait obtenir une condamnation, puis une grâce pour aller vers la réconciliation".
Un homme malade
Blaise Compaoré, 71 ans, est désormais diminué. Selon Jeune Afrique, l'état de santé du "beau Blaise", comme l'on surnomme l'ancien dirigeant, "se dégrade progressivement". Il "se porte plutôt bien physiquement, mais sa tête a commencé à le lâcher. Ses propos manquent de cohérence, il a parfois des absences (...) Il a beaucoup de trous de mémoire, confirme un de ses fidèles", rapportait en octobre 2021 la revue panafricaine.
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