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Incendie d'une usine à Rouen : quelles sont les conséquences du nuage de fumée sur la santé et l'environnement ?

Si les autorités se veulent rassurantes sur les risques liés à l'incendie de l'usine Lubrizol, l'absence d'analyses poussées empêche de tirer des conclusions définitives.

Article rédigé par franceinfo
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Image tirée d'une vidéo diffusée par le Service départemental d'incendie et de secours (Sdis) le 27 septembre 2019, montrant l'intervention des pompiers sur les lieux de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen (Seine-Maritime). (SDIS / AFP)

Après le choc, les questions. L'incendie qui s'est déclaré, jeudi 26 septembre, dans l'usine Lubrizol de Rouen, classée Seveso, est maîtrisé. Mais l'énorme panache noir qui s'échappe du site et la "pluie" qui l'accompagne suscitent de vives inquiétudes chez les habitants. Les autorités, notamment par la voix du ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, présent sur place, tentent de les rassurer.

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Malgré le message officiel, l'absence de réponses concrètes sur les substances parties en fumée, les recommandations sanitaires ou encore des symptômes post-incendie entretiennent les craintes. Quelles sont les conséquences du sinistre à l'heure actuelle ? Franceinfo fait le point. 

Des fumées dont on ignore encore le contenu

Depuis l'incendie, le flou subsiste autour des substances parties en fumée. Les résultats des analyses plus poussées des produits contenus dans le panache qui émane de l'usine, attendus jeudi en fin de journée, devraient finalement être publiés vendredi sur le site de la préfecture. Ce qui pourrait aider à lever les doutes et les inquiétudes de la population.

En l'absence de conclusions, André Picot, toxico-chimiste et ancien directeur de l’unité prévention en risques chimiques au CNRS, ne veut pas s'alarmer : "Concernant la toxicité de la fumée émise, il est difficile d’avancer quoi que ce soit tant qu’on ne connaît pas la nature des produits qui ont brûlé. Le problème fondamental, c’est qu’est-ce qui a brûlé et en quelle quantité ?" explique-t-il à Paris Normandie (article abonnés). "Si ce sont de l’huile et de l’hydrocarbure, ce ne sont pas des produits qui peuvent mener à une grande toxicité", tranche-t-il

Pas de "toxicité aiguë" selon les autorités, mais des symptômes chez les habitants 

Rouen est devenue une ville morte. Les habitants, qui ont tous décrit une odeur âcre après l'incendie, sortent peu, suivant les conseils des autorités les incitant à rester chez eux. "Moi je suis inquiète, surtout que ça me pique un peu la gorge", raconte une habitante à franceinfo. Certains se sont équipés de masques, au cas où. Des précautions jugées non nécessaires par Pierre-André Durand, préfet de Seine-Maritime, invité de France Bleu Normandie : "Je comprends l'inquiétude mais il ne faut pas paniquer, il n'y a pas lieu de s'équiper de masques (...) C'est une suite inévitable de cet incendie de grande ampleur, on peut ressentir des odeurs déplaisantes qui peuvent durer plusieurs jours, mais ce ne sont que des odeurs. En termes de toxicité, il n'y a pas de difficulté pour vivre ou se déplacer à Rouen."  

Cette analyse est fondée sur la fiche d'information Seveso de l'usine, disponible sur le site du ministère de la Transition écologique et solidaire : "Les produits mis en œuvre sur le site Lubrizol de Rouen ne présentent pas de seuils réglementaires de toxicité aiguë (pas de risque direct d'impact sur la santé en cas de fuite)." Interrogé par Libération, Claude Barbay, membre du réseau risques industriels de France Nature Environnement (FNE) et du conseil d'administration de FNE-Normandie, se veut lui aussi rassurant : selon lui, si le ministre de l'Intérieur s'est rendu sur place, "c'est qu'il n'y a effectivement pas de risque de toxicité aiguë. L'Etat n'aurait pas pris le risque d'intoxiquer un ministre."

Mais certains experts se montrent plus prudents. En effet, selon le toxicologue André Cicolella, spécialiste de l'évaluation des risques sanitaires interviewé dans Le Parisien, les fumées d'incendies dégagent en général "des hydrocarbures aromatiques polycycliques, une famille de plusieurs centaines de toxiques dont une grande partie est cancérogène". Un médecin interrogé par le quotidien évoque un possible "essoufflement et une irritation des muqueuses de la gorge et du nez", notamment chez les populations les plus fragiles. 

Depuis jeudi, une cinquantaine de personnes se sont rendues aux urgences et cinq ont été hospitalisées brièvement pour des irritations respiratoires, rapporte France Bleu Normandie. La radio précise que trois autres personnes présentant déjà des pathologies respiratoires ont été hospitalisées vendredi pour décompensation respiratoire. De leur côté, les salariés de France 3 Normandie, dont les locaux sont situés à proximité de l'usine Lubrizol, ont évacué le bâtiment après que certains d'entre eux ont été pris de maux de tête et de nausées.  

Des précautions sanitaires demandées à la population

L'énorme nuage de fumée noire qui s'est élevé dans les airs après l'incendie laisse par ailleurs craindre de lourdes conséquences sur l'environnement. Jeudi, la préfecture a délivré des recommandations "dans l'attente des analyses en cours". Ainsi est-il vivement conseillé aux habitants vivant dans la zone où sont retombées les suies de ne pas manger les fruits et légumes de leur jardin "qui ne pourraient être épluchés ou lavés de façon approfondie". Elle invite aussi la population à "protéger sa peau par le port de gants de ménage", à nettoyer les locaux, les rebords de fenêtre ou le mobilier avec de l'eau ou encore à éviter d'utiliser les aspirateurs. La préfecture recommande aussi aux agriculteurs "de ne pas récolter leurs productions en l’attente de précisions ultérieures".

Les éleveurs sont, eux, invités à garder leurs animaux à l'intérieur et à "sécuriser leur abreuvement et leur alimentation". "Il est important que les animaux ne consomment pas d’aliments souillés", insiste le communiqué. "Le préfet a complètement zappé qu'il y avait des exploitations", dénonce à franceinfo Frédéric Dutot, agriculteur à Bois-Guillaume. Ses vaches laitières sont confinées mais les cultures de maïs et de betteraves sont recouvertes de dépôts noirs. "On aimerait avoir des réponses, savoir si on pourra les donner aux animaux, mais personne ne nous dit rien." 

Des galettes d'hydrocarbures retrouvées dans la Seine

Outre les sols, la Seine fait l'objet d'une attention toute particulière. Situé juste à côté du site incendié, le fleuve est exposé à un "risque possible de pollution par débordement des bassins de rétention", a observé dès jeudi le préfet de Seine-Maritime. "C'est ce qui m'inquiète le plus pour le moment", souffle Claude Barbay, de France Nature Environnement. Des barrages antipollution ont été déployés.

Néanmoins, vendredi, des galettes d'hydrocarbures ont fait leur apparition sur la Seine à Rouen. "C'est de la suie qui s'est agglomérée du fait de la pluie, une combinaison d'additifs d'huile de moteur et d'hydrocarbures", a précisé le préfet.
L'Etat est en train d'armer un navire pour les récupérer "avec un chalut tampon, fait pour ramasser les hydrocarbures", a expliqué Benoît Lemaire, le directeur de cabinet du préfet de Normandie. "Il n'y en a pas des tonnes à mon avis, mais cela nécessite qu'on les récupère. On a demandé que ce soit fait cet après-midi", a ajouté le haut fonctionnaire.

Pour l'instant, l'eau dans la région reste potable, mais fait l'objet d'une attention accrue. 

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