Présidentielle : de l'atonie à la zizanie, la semaine qui a remis la gauche sous le feu des projecteurs
Arnaud Montebourg et Anne Hidalgo sont prêts à se ranger derrière une candidature unique à gauche. Une idée rejetée par leurs opposants, mais qui a eu le mérite de réveiller une campagne qui ronronnait.
Et la gauche se retrouva de nouveau sur le devant de la scène. Encalminée, inaudible face à la concurrence et toujours dépourvue de leader incontestable cinq ans après la fin du quinquennat de François Hollande, elle est encore loin de pouvoir s'imaginer accéder au second tour de l'élection présidentielle, et encore moins s'ouvrir les portes de l'Elysée en avril prochain. Mais les propositions d'Arnaud Montebourg et surtout d'Anne Hidalgo de remettre leurs candidatures respectives en jeu, formulées mercredi 8 décembre et rejetées dans la foulée par presque tous leurs concurrents, ont au moins permis de braquer les projecteurs sur les destins et les projets de ces cinq principaux candidats de gauche qui briguent l'Elysee.
Après des semaines dominées par le congrès de la droite et les débuts politiques d'Eric Zemmour, les meetings de Yannick Jadot, samedi à Laon (Aisne) et d'Anne Hidalgo, dimanche à Perpignan (Pyrénées-Orientales), permettront-ils d'amplifier l'attention médiatique portée à la gauche, voire de la transformer en dynamique politique ? Récit d'une semaine où les lignes ont enfin bougé, après des semaines d'apathie.
"Dans l'équipe d'Hidalgo, ils sont tous catastrophés"
Lundi 6 décembre. Jean-Luc Mélenchon et ses soutiens se félicitent de la démonstration de force réussie la veille : 4 500 personnes rassemblées à La Défense (Hauts-de-Seine) autour du Parlement de l'union populaire, nouvelle structure politique de La France insoumise centrée sur les personnalités de la société civile. Un coup d'éclat en décembre pour faire le trou en janvier, anticipent les stratèges du parti : "Dans un mois, le vote efficace va s'afficher à gauche", explique à franceinfo Eric Coquerel, député LFI de Seine-Saint-Denis. "Avec un seuil de qualification au second tour vers 17%, quand vous êtes à 12%, 13% dans les sondages, ça se clarifie."
Yannick Jadot et Anne Hidalgo, eux, rêvent de ces scores à deux chiffres. Mais en ce début de semaine, l'écologiste et la socialiste se débattent plutôt autour de 5% dans les enquêtes d'opinion, barre fatidique pour le remboursement des frais de campagne.
Mardi soir, un sondage Elabe pour L'Express et BFMTV fait l'effet d'une bombe : la maire de Paris y est créditée de seulement 3% d'intentions de vote. L'étude agace autant qu'elle inquiète les socialistes. "Est-ce qu'on préférerait être plus haut ? La réponse est oui, évidemment", reconnaît un cadre du PS. Surgissent de nouveau les questionnements qui n'ont jamais lâché la campagne d'Anne Hidalgo : la maire de Paris va-t-elle aller au bout, comme elle l'a maintes fois assuré ? Peut-elle se rallier à un autre candidat mieux placé ? "Dans son équipe, ils sont tous catastrophés", raconte un élu socialiste.
"Anne Hidalgo a beaucoup à perdre et son équipe va raisonner en termes de moindre coût pour sortir de la campagne par le haut."
Un élu socialisteà franceinfo
Tout s'emballe mercredi matin. Attendue à La Rochelle (Charente-Maritime), Anne Hidalgo descend de son TGV à Poitiers (Vienne) à 11 heures, change de quai et repart vers Paris en train dans la foulée. Officiellement à cause du déclenchement du plan blanc dans la capitale, énième perturbation liée au Covid-19. Dans l'après-midi, la candidate révèle à son équipe de campagne la véritable raison du changement de programme : elle se rend à 20 heures sur le plateau du journal de TF1 pour y proposer une primaire de la gauche. Habituellement chargés de défendre la candidate dans les médias, les porte-parole bottent en touche en attendant la déclaration du soir, laissant planer le spectre d'un retrait pur et simple.
Montebourg joue son va-tout
Quelques heures plus tôt, Arnaud Montebourg avait déjà fait un pas vers cette proposition de primaire. Dans Libération, mardi soir, l'ancien ministre du Redressement productif évoque le risque d'une "disparition de la gauche" en raison des divisions et lance "un appel à l'unification des forces autour d'un projet et candidat commun". En coulisses, sa campagne se délite, un mois après le tollé suscité par sa proposition de bloquer les transferts d'argent privé vers les pays qui refusent de rapatrier leurs ressortissants visés par une mesure d'expulsion du territoire français. "Autour de lui, je vois tout le monde partir, c'est une question de jours avant un retrait", parie un compagnon de route.
Dans une vidéo publiée mercredi à 18 heures, Arnaud Montebourg s'adresse "au peuple de gauche", et se dit "prêt à offrir [sa] candidature à un projet et à un candidat communs" si une discussion s'ouvre entre tous les candidats. Deux heures plus tard sur TF1, la maire de Paris estime que "cette gauche fracturée doit se retrouver et se rassembler". "Ma responsabilité, c'est d'organiser une primaire de la gauche : que viennent les candidats qui veulent gouverner ensemble." Selon elle, "on est encore dans les temps pour créer un électrochoc", assure-t-elle au Monde, après son interview télévisée.
"Si je ne posais pas un acte comme celui-là, il y a le risque que plus rien n'existe à gauche."
Anne Hidalgoau "Monde"
La réponse des autres camps ne se fait pas attendre. La plus immédiate est celle de Julien Bayou, secrétaire national d'Europe Ecologie-Les Verts, qui juge sur Twitter que "la candidate socialiste reconnaît l'incapacité du PS à être force motrice. Dont acte." "On n'est pas hypocrites, Yannick Jadot avait proposé ça le 17 avril, mais il est désormais trop tard", appuie Marine Tondelier, une des porte-parole de Yannick Jadot, au sujet de cette proposition "improvisée" et "pas sérieuse". Hormis Arnaud Montebourg, qui salue l'initiative de l'édile parisienne, les principaux candidats de gauche refusent l'idée d'une primaire. "Il y a eu une forme d'empressement maladroit, on aurait pu se laisser un peu de temps", regrette pour sa part Cédric Van Styvendael, un des porte-parole d'Anne Hidalgo.
"Brutalement" éconduits, selon les mots d'un cadre du parti, les socialistes se félicitent au moins d'avoir fait parler d'eux. "On revient au centre de l'attention", analyse un membre de l'équipe de campagne, mi-amusé, mi-enthousiaste. De là à transformer ce coup de poker en coup de maître, la marche est très haute. "On ne sait pas où on va", concède le même homme, "mais à un moment, ça devenait intenable". Qu'importe si Anne Hidalgo s'est convertie tardivement au principe d'une primaire après l'avoir publiquement critiqué. "Je ne suis pas favorable à ce type de primaires. (...) Nous ne portons pas les mêmes propositions", confiait-elle ainsi, le 19 novembre, sur Public Sénat. "J'ai changé d'avis", reconnaît la candidate sur le plateau de LCI, jeudi soir.
Le camp Hidalgo veut mettre la pression sur les écologistes
L'union des forces de gauche pourrait passer par la Primaire populaire, cette initiative citoyenne visant à accorder une investiture à un seul candidat de gauche, fin janvier. De 228 000, mercredi matin, le nombre d'inscrits a bondi à 258 000, vendredi midi. Ses organisateurs espéraient entre 300 000 et 400 000 inscrits à la fin du processus, avant qu'Anne Hidalgo ne choisisse "d'accompagner" le rendez-vous. Ils visent désormais le million de personnes mobilisées pour désigner leur candidat, du 27 au 30 janvier.
Jeudi matin, les organisateurs de la Primaire populaire ont rencontré Olivier Faure pendant une heure pour fixer les modalités pratiques de ce rendez-vous. Initialement prévu en version numérique, le scrutin pourrait avoir une déclinaison physique. C'est en tout cas ce que souhaitent les responsables socialistes, "afin d'éviter un biais technologique".
Pour l'équipe d'Anne Hidalgo, le temps est compté : il faut convaincre le plus rapidement possible les autres candidats de rejoindre le processus de la primaire, aussi réticents soient-ils à l'heure actuelle. Yannick Jadot et les écologistes sont les cibles principales de cette manœuvre : "Entre eux, c'est déjà le bazar", se réjouit un parlementaire socialiste. "Ils vont avoir la pression jusqu'à Noël parce qu'on ne va pas arrêter de leur parler de l'union de la gauche." Selon Libération, les responsables départementaux du PS vont "envoyer un courrier à leurs homologues de tous les partis (LFI/EE-LV/PCF/PRG/Place Publique…) pour leur demander de prendre officiellement position sur l'organisation de la primaire".
"Maintenant, c'est trop tard"
Cette pression au plan local se double d'un argument martelé au niveau national : au fond, pourquoi socialistes, écologistes et même "insoumis" ne pourraient-ils pas se mettre d'accord sur un projet commun ? "Les différences de programme, on les cherche un peu, minore Cédric Van Styvendael. Je ne vois pas beaucoup de débats sur lesquels on est à couteaux tirés."
"Il n'y a pas plus de divergences qu'en 1970 entre le Parti socialiste et le Parti communiste."
Rémi Lefebvre, politologueà franceinfo
Pour l'heure, chacun campe sur ses positions, les uns tentant d'attirer les autres vers une primaire rejetée par ces derniers. Les socialistes s'appuient sur un sondage Odoxa-Mascaret pour L'Obs, publié vendredi, dans lequel 86% des sympathisants de gauche disent souhaiter une union de leur camp pour avril 2022. Dans le même sondage, Christiane Taubira s'illustre comme la personnalité préférée des sympathisants de gauche, avec 67% de bonnes opinions. De quoi faire fructifier les rumeurs sur un retour en politique de l'ancienne garde des Sceaux, qui pourrait s'exprimer prochainement au sujet de sa participation ou non à la primaire en janvier.
Pour évacuer la question de l'union, les communistes, les écologistes et les "insoumis" insistent de leur côté sur les divergences de fond et les mauvais scénarios du passé : en 2017, Yannick Jadot s'était retiré au profit de Benoît Hamon, à deux mois du premier tour. Résultat : un score de 6,36% pour Benoît Hamon, contre 19% pour un Jean-Luc Mélenchon en solitaire, certes soutenu par les communistes.
Rassemblée derrière un seul candidat, la gauche serait-elle en mesure de se hisser au second tour de la présidentielle dans quatre mois ? "On a lancé une machine à ce que chacun se différencie des autres. Maintenant, c'est trop tard", se désolait mardi Clémentine Autain (LFI), qui a longtemps poussé pour un rassemblement de la gauche. Si aujourd'hui "le train est lancé" en vue de la primaire, dixit Anne Hidalgo, les obstacles sur les rails menant à l'Elysée sont encore nombreux. Avec ou sans union de la gauche.
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