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Récit franceinfo Elections à Lyon : comment Gérard Collomb a fini par tourner le dos à LREM pour faire alliance avec la droite

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12 min
Gérard Collomb, lors d'une conférence de presse, le 6 juin 2019, à Lyon. (JEFF PACHOUD / AFP)

Après des mois de divisions avec une partie de ses anciens alliés menés par David Kimelfeld, l'ancien socialiste Gérard Collomb a finalement décidé de fusionner ses listes avec celles des candidats de LR à Lyon et à la métropole.

"Il y a de l'irrationnel dans cette histoire. Pour que Gérard Collomb en arrive là en si peu de temps... C'est complètement surréaliste", s'étouffe le député LREM Thomas Rudigoz, un soutien du dissident David Kimelfeld face à l'ancien ministre de l'Intérieur. Comme de nombreux marcheurs, le député lyonnais n'a pas de mots assez durs pour dénoncer l'accord passé entre Gérard Collomb et Les Républicains pour les élections municipales et métropolitaines à Lyon.

Voilà un homme qui est prêt à tout pour garder le pouvoir. C'est dramatique, pathétique, affligeant. C'est triste pour lui de finir sa carrière comme ça.

Thomas Rudigoz, député LREM

à franceinfo

Après des résultats décevants lors du premier tour, Gérard Collomb et la droite lyonnaise ont en effet officialisé, jeudi 28 mai, leur alliance électorale pour tenter de faire barrage à la gauche et aux écologistes en vue du second tour prévu le 28 juin. Ainsi, celui qui a dirigé la ville de Lyon pendant près de vingt ans s'efface de la course à la métropole pour laisser le champ libre au LR François-Noël Buffet. En échange, le poulain de l'homme politique de 72 ans, l'ancien gymnaste Yann Cucherat, obtient le ralliement de la droite pour tenter de prendre la mairie. Pour comprendre cette union de circonstance, il faut revenir sur des mois de trahisons, de guerre fratricide et de négociations en coulisses.

Acte 1 : l'appel de Lyon

Gérard Collomb et Emmanuel Macron, le 26 juin 2018, à Rome. (ALBERTO PIZZOLI / AFP)

Officiellement, le maire de Lyon par intérim, Georges Képénékian, se rend au ministère de l'Intérieur, mardi 3 octobre 2018, pour parler d'un dossier. En réalité, Gérard Collomb souhaite discuter avec lui de son retour à Lyon pour préparer l'élection métropolitaine de 2020. Emmanuel Macron, qui se remet à peine de la démission de Nicolas Hulot, tente de retenir encore un peu son ministre de l'Intérieur, mais rien n'y fait. Gérard Collomb a le mal du pays et, après s'être assuré que Georges Képénékian lui rendrait bien les clefs de la mairie, il confirme au Figaro dans l'après-midi son choix de quitter le gouvernement. "Oui, je reviens à Lyon", ajoute le parrain politique d'Emmanuel Macron dans une autre entrevue le même jour. "Il y avait à Lyon un certain nombre de personnalités et de mouvements qui s’organisaient un peu contre lui", confie à l'époque Pascal Blache, le maire divers droite du 6e arrondissement de Lyon.

Je pense qu’il veut revenir pour essayer de mettre de l’ordre

Pascal Blache, le maire divers droite du 6e arrondissement de Lyon

à franceinfo

En plus des tensions avec le président provoquées par l'affaire Benalla, ce retour précipité dans la capitale des Gaules s'expliquerait également par des raisons personnelles. "Pour comprendre cette dose d'irrationnel chez Gérard Collomb, il faut chercher du côté de sa femme", glisse un député LREM. Très présente sur place et témoin directe des tensions internes (référente LREM pour le département du Rhône, elle sera évincée de son poste quelques mois plus tard), Caroline Collomb souhaite voir son mari revenir le plus vite possible. "Bravo, tu l’as enfin fait !", s'exclame-t-elle dans un message à son époux en apprenant sa démission, raconte Le Figaro (article payant).

Pourtant, ce départ impulsif du gouvernement va donner des arguments supplémentaires à ceux qui ne veulent pas d'un retour de l'inoxydable baron lyonnais. "On ne peut pas partir comme il l'a fait. Il était responsable de la sécurité des Français, de la défense intérieure, dans une période trouble avec le terrorisme, la violence urbaine... Où est passé son sens des responsabilités ?", fustige encore aujourd'hui Thomas Rudigoz. Ce départ fait également grincer des dents à l'Elysée. "C’est mal ce qu’a fait Collomb, très mal. J’aimerais bien que le parti présente quelqu’un contre lui à Lyon mais Macron ne veut pas car on perdrait la ville", confie à l'époque un conseiller présidentiel à La Dépêche du Midi. Les graines de la division sont semées.

Acte 2 : la première fracture

Gérard Collomb et David Kimelfeld, le 19 septembre 2019, à Lyon. (NICOLAS LIPONNE / NURPHOTO)

La réunion de la dernière chance a été expédiée en moins d'une demi-heure. Lors d'une rencontre dans le bureau de Gérard Collomb à la mairie de Lyon, le 4 octobre 2019 en fin d'après-midi, l'ancien ministre d'Etat et David Kimelfeld n'ont pas trouvé de terrain d'entente concernant la candidature à la métropole de Lyon qu'ils briguent tous les deux. "J'ai compris qu'il n'y avait pas d'accord possible", déclare à l'époque David Kimelfeld au Point. "Je lance donc ma campagne." L'intervention d'Emmanuel Macron, pour tenter de réunir la famille LREM, n'aura pas suffi.

"Quand Gérard Collomb revient, il choisit d'être maire de Lyon et je reste président de la métropole. J'avais dit publiquement que j'étais prêt à lui laisser mon poste. Il n'a pas souhaité le faire. Et très clairement, par la suite, la donne a changé", résume aujourd'hui David Kimelfeld. Le retour de Gérard Collomb dans son fief rhodanien entraîne effectivement des frictions.

Il est revenu avec une volonté de tout reprendre en main, avec un autoritarisme, des pratiques d'un autre temps, qui n'ont pas été respectueuses des gens qui étaient en place. Et je pense qu'il y a eu un ras-le-bol.

Thomas Rudigoz

à franceinfo

"Je rappelle que les dissidents doivent leur place à Gérard Collomb. Sans lui, ils n'existeraient pas", contre-attaque, énervé, l'élu lyonnais Roland Bernard, fidèle soutien du maire de Lyon. Rapidement, deux camps se mettent en place. Pour la métropole, Gérard Collomb obtient l'investiture LREM au détriment de David Kimelfeld. Pour les municipales à Lyon, l'ancien intérimaire Georges Képénékian portera les couleurs du camp Kimelfeld face au candidat collombiste Yann Cucherat, qui obtient à son tour l'investiture LREM. Des cadres du parti présidentiel ne cachent pas en privé qu'ils auraient préféré donner les investitures au camp Kimelfeld, mais Gérard Collomb continue pour l'instant à bénéficier du soutien de l'Elysée.

Acte 3 : des coups d'oeil à droite

Gérard Collomb se prête au jeu des selfies lors du Nouvel An chinois, le 26 janvier 2020, dans la rue Pasteur à Lyon. (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

Après un début de campagne timide, Gérard Collomb réunit la presse et son équipe de campagne, jeudi 16 janvier, pour présenter ses têtes de liste. Les observateurs remarquent que le maire de Lyon se tourne volontiers vers le centre-droit, ce qui creuse la fracture avec une partie de ses anciens alliés. "Chez moi, dans le 7e (un arrondissement très à gauche), on me met un vieil opportuniste UDI en chef de file. Donc à partir de là, je suis sorti de la campagne", raconte Romain Blachier, élu sortant à la métropole, qui était au départ sur une liste de Gérard Collomb. "Il y avait une orientation indiscutablement vers la droite (vers le programme et vers les partis) qui me mettait mal à l'aise."

A partir de fin décembre, j'ai senti qu'il y avait un problème. Gérard Collomb n'écoutait plus trop, il commençait à mettre de côté des gens…

Romain Blachier, ancien soutien de Gérard Collomb

à franceinfo

Romain Blachier n'a toujours pas digéré la séquence autour de l'anneau des sciences, cette autoroute souterraine qui devait passer à l'ouest de la ville afin de boucler le périphérique. Cette infrastructure, dénoncée par les écologistes, visait à désengorger la circulation dans le centre-ville. Mais, en dehors des candidats de droite, Gérard Collomb s'est retrouvé bien isolé pour défendre l'idée. "Il s'est enfermé dans cette histoire", regrette Romain Blachier.

Le projet a finalement été retiré du programme de Gérard Collomb en toute fin de campagne. "Nous avons convenu de le reporter en raison du contexte économique lié à la crise sanitaire", explique Yann Cucherat. Ce recul aurait pu permettre de rétablir un dialogue avec le camp Kimelfeld, mais du fait de divisions trop profondes, il était sans doute un peu tard. "Sur le sujet des solidarités, sur l'engagement climat… on avait de nombreuses différences", note David Kimelfeld.

Acte 4 : la claque du premier tour

Gérard Collomb, lors du premier tour des élections municipales, le 15 mars 2020, à Lyon. (ANTOINE MERLET / HANS LUCAS / AFP)

"Une erreur a été commise et il convient aujourd'hui de la réparer (...) La division ne paye jamais." Devant les caméras, Gérard Collomb a la mine des mauvais jours au soir du premier tour, le 15 mars. Le maire de Lyon vit une soirée difficile en recevant un à un les résultats. Sur la ville de Lyon, son candidat Yann Cucherat arrive en troisième position avec moins de 15% des voix, derrière Grégory Doucet (EELV) et Etienne Blanc (LR). Pour la métropole, Gérard Collomb (avec un peu plus de 16%) est devancé par Bruno Bernard (EELV), François-Noël Buffet et David Kimelfeld. "Il a pris deux baffes, deux coups, d'une part avec les Verts, et d'autre part avec mon résultat, car il pensait que j'allais mordre la poussière, sous prétexte que je n'étais pas connu et sans étiquette", commente aujourd'hui David Kimelfeld.

Toute sa stratégie de premier tour, c'était de penser qu'on allait être totalement écrasés.

David Kimelfeld

à franceinfo

Dans les deux camps, on n'en finit plus de se renvoyer la responsabilité de la division. "On a tendu notre main pendant toute la campagne, on finissait par avoir des crampes, mais David Kimelfeld est resté dans sa volonté de ne pas s'allier jusqu'au bout", estime Renaud George, le directeur de campagne de Gérard Collomb. "Gérard Collomb a tenté de contacter David Kimelfeld devant moi pour échanger et ce dernier a répondu d'un SMS qu'il était en visioconférence et qu'il rappellerait plus tard. Mais il n'y a jamais eu d'appel", témoigne aussi Yann Cucherat.

"J'ai mené un dialogue avec un certain nombre de gens sur ses listes mais avec une condition : c'était qu'il fallait que Gérard Collomb s'en aille. Ce n'était plus possible", répond le président de la métropole lyonnaise. "Et leurs discussions avec la droite ont commencé, à mon sens, dès le soir du premier tour, voire avant", ajoute-t-il. Il se souvient que François-Noël Buffet s'était inquiété pendant la campagne de voir Gérard Collomb discuter avec Etienne Blanc.

Si le camp collombiste jure n'avoir tenté aucune approche avant le premier tour, Yann Cucherat reconnaît que l'heure était au rassemblement après le 15 mars. "Au soir du premier tour, le premier appel a été lancé pour un rassemblement large, mais pas exclusivement avec LR, d'abord avec nos anciens alliés." Mais le dialogue semble impossible entre les deux familles issues de LREM. Et quand Gérard Collomb appelle une nouvelle fois à une large alliance, c'est d'abord la droite qui lui répond, comme le raconte Renaud George. "Gérard Collomb a dit publiquement qu'il fallait qu'on se tende la main face aux problèmes, et c'est François-Noël Buffet le premier à avoir répondu dans une interview au Progrès en disant qu'il était d'accord, qu'il fallait absolument qu'on se rapproche."

Acte 5 : la traversée du Rubicon

Yann Cucherat, Gérard Collomb, Francois-Noël Buffet et Etienne Blanc (de gauche à droite), lors de la conférence de presse annonçant leur alliance, le 28 mai 2020, à Lyon. (JEFF PACHOUD / AFP)

La salle du Grand Hôtel des Terreaux n'est pas dimensionnée pour recevoir autant de journalistes, ce jeudi 28 mai. Gérard Collomb a invité la presse pour annoncer un accord avec les candidats de droite en vue du second tour. Devant les photographes, le maire de Lyon prend soin de placer ses nouveaux alliés, en commençant par François-Noël Buffet, le candidat LR à la métropole, qu'il positionne à sa gauche. "J'ai proposé dès notre première rencontre que François-Noël Buffet soit candidat à la métropole de Lyon, annonce alors avec fracas l'ancien ministre. Nous voulons une union pour affronter la crise."

Pourtant, quand Laurent Wauquiez se rend au rendez-vous fixé avec Gérard Collomb, le 27 mai au matin, il ne s'attend pas à cette proposition.

Il avait en tête que Collomb lui proposerait un accord qui permettrait à chaque camp d'avoir une collectivité, mais en y allant, il pensait plutôt que Collomb voulait être candidat à la métropole

Un proche de Laurent Wauquiez

à franceinfo

Le président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes se montre très à l'écoute, d'autant qu'il sait que la perte de la métropole risque de l'affaiblir pour les élections régionales prévues en 2021.

Gérard Collomb accepte donc de s'effacer. "Il a vraiment surpris tout le monde. Je l'ai su au tout dernier moment, une demi-heure avant la conférence de presse. Il avait vraiment gardé ça pour lui, raconte Renaud George. Je trouve ça admirable, car il a choisi de mettre sa personne de côté pour une cause qui le dépasse largement, ça s'appelle une décision d'homme d'Etat."

Du côté des écologistes, on dénonce vite un accord politicien. "Au premier tour, ils ont tous dit qu'ils voulaient faire de l'écologie, et maintenant ils nous disent qu'il faut battre les écologistes. Leur coalition anti-climat manque un peu de cohérence", grince Bruno Bernard. "Quand Gérard est revenu à Lyon, il m'a dit : 'Je reviens parce que Laurent Wauquiez sera sans doute candidat à la métropole, et il n'y a que moi qui puisse le battre.' Et aujourd'hui il fait alliance avec lui…", ironise également David Kimelfeld. "C'est complètement déplacé. Il y a un problème de valeur."

"Moi je viens du centre-droit, mais là il fait un accord avec la droite dure, affirme le député Thomas Rudigoz. Il a pourtant été élu en 2001 en dénonçant l'accord d'une certaine droite lyonnaise avec cette droite hyper-réactionnaire, conservatrice, maurrassienne." Néanmoins, les lieutenants de Gérard Collomb assurent que les négociations ont permis d'écarter les candidats les plus problématiques. "On a mis des conditions. On a fait attention à ce que les plus extrémistes ne soient pas sur les listes, assure Renaud George. "Sens commun, la Manif pour tous, tous ces gens-là ont été écartés. Il faut arrêter avec ce procès", s'agace Roland Bernard.

François-Noël Buffet, ce n'est quand même pas Pierre Laval.

Roland Bernard

à franceinfo

Mais cette alliance a du mal à convaincre. Chez les collombistes comme chez LR, plusieurs têtes de liste font défection en dénonçant l'accord. A Paris aussi, plusieurs ministres ne manquent pas de critiquer l'attelage. "Dans cette attitude, [Gérard Collomb] se perd lui-même", lance le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, sur RTL. La République en marche décide même de lui retirer son investiture. "Je considère ça comme une erreur. Dans beaucoup de villes en France, des alliances LR-LREM ont lieu, et ça ne pose pas de problème", s'étonne Yann Cucherat. Mais toutes les villes de France n'ont pas vu deux candidats LREM s'affronter. "Il n'y a qu'une chose qui anime Gérard Collomb, c'est de me battre, estime David Kimelfeld. Son alliance ne marchera pas. Au pire, il me fera perdre, mais il ne va pas gagner."

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