Cet article date de plus de cinq ans.

Récit Comment Gérard Collomb a tout fait pour partir du gouvernement (contre l'avis d'Emmanuel Macron)

L'ancien maire de Lyon a finalement passé la main au Premier ministre Edouard Philippe. Un départ tumultueux qui a secoué le gouvernement et l'Elysée.

Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb quitte le palais de l'Elysée après un conseil des ministres, le 12 juin 2018. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Gérard Collomb va pouvoir faire son retour à Lyon. Le ministre de l'Intérieur démissionnaire a passé la main au Premier ministre Edouard Philippe, mercredi 3 octobre, à la place Beauvau. La conclusion d'un week-end effréné, qui a pris de court l'Elysée. Retour sur les derniers jours de Collomb au gouvernement.

>> Démission de Gérard Collomb : suivez les tractations et les réactions après la passation de pouvoirs

Samedi 29 septembre. La section locale de La République en marche effectue sa rentrée à Lyon. "La salle était froide, il s'est rendu compte qu'il n'avait plus grand monde autour de lui. (...) Il a paniqué", raconte un cadre local dans Le Figaro. Sa femme Caroline, référente du parti présidentiel dans la ville, fait l'objet d'une certaine défiance. Elle presse régulièrement son époux de quitter le gouvernement. Le ministre sent-il le vent tourner dans son fief ?

Il défie Emmanuel Macron

Ces derniers mois, Gérard Collomb a dû avaler quelques couleuvres. Interrogé en mai sur la limitation à 80 km/h sur les routes secondaires, il avait sorti son "joker". Surtout, il y a eu l'affaire Benalla, qui a contraint le ministre de l'Intérieur à des explications devant la commission d'enquête parlementaire. Face aux députés, Gérard Collomb avait affirmé qu'il ne connaissait pas l'ancien collaborateur d'Emmanuel Macron, rejetant de fait la responsabilité sur la présidence. Gérard Collomb, l'un des plus solides soutiens du chef de l'Etat, semblait prendre ses distances. Ces temps-ci, raconte Le Monde, les deux hommes ne déjeunaient plus en tête-à-tête à l'Elysée, comme ils en avaient pourtant l'habitude chaque lundi.

Ces dernières semaines, Gérard Collomb a surtout pris ses libertés, défiant à plusieurs reprises Emmanuel Macron. Début septembre, sur BFMTV, le ministre évoque un "manque d'humilité" de l'exécutif et dénonce dans la foulée l'isolement du président :

Nous ne sommes pas nombreux à pouvoir encore lui parler.

Gérard Collomb

lors d'un déjeuner avec la presse

Coup de théâtre, le 18 septembre : il annonce sa candidature aux élections lyonnaises de 2020, fixant au passage la date de son départ en 2019 après les européennes. Cette annonce lui vaut de vives critiques. Lundi, Daniel Cohn-Bendit brocarde le ministre de l'Intérieur, au micro de franceinfo : "Il a droit à la retraite. Qu'il quitte ce ministère, qu'il aille s'occuper de ses petits-enfants, des pâquerettes, des bons restaurants de Lyon." Les termes sont durs, violents même. D'autant qu'ils sont prononcés par un homme qui bénéficie de l'oreille attentive du président.

Il médiatise sa volonté de départ

Dans la soirée du lundi, Gérard Collomb rédige une lettre de démission dans son bureau de la place Beauvau puis file à l'Elysée, alors qu'il doit partir en Guinée. Pendant une heure, le cortège attend son ministre dans la cour de l'hôtel de la place Beauvau. En vain. "L'image de cette voiture vide, et des collaborateurs interloqués allant et venant, en a marqué plus d'un", décrit L'Opinion. Il est remplacé au pied levé par le secrétaire d'Etat Jean-Baptiste Lemoyne.

A l'Elysée, Emmanuel Macron tente de convaincre son ministre de rester encore un peu. En effet, ce départ contrarierait ses plans : dans l'esprit du président, aucun remaniement n'est prévu avant les élections européennes de 2019. Gérard Collomb croit bon de médiatiser le refus présidentiel : dans la soirée, il en informe Le Figaro et révèle sa volonté de départ. Une initiative personnelle, puisqu'il n'a même pas prévenu ses conseillers avant de décrocher le téléphone, selon Le Parisien. L'annonce fait grand bruit. Tous les médias reprennent l'information et s'interrogent sur ses conséquences au sein du gouvernement.

Il organise son retour à Lyon

Le lendemain matin, lors du petit-déjeuner hebdomadaire de la majorité, personne n'ose aborder le problème. Jusqu'à l'intervention de Richard Ferrand, du moins. "Est-ce que Gérard Collomb est là pour longtemps ?" s'interroge le président de l'Assemblée nationale sous les "rires étouffés des convives", rapporte Libération. Edouard Philippe coupe court à la discussion, précise L'Opinion. Et pour cause : lui-même n'est "pas dans la boucle". Conscient de la gravité de la situation, le Premier ministre observe avec attention le bandeau de BFMTV qui évoque la vraie-fausse démission de son ministre de l'Intérieur.

A l'image du député des Républicains Jean Leonetti, l'opposition dénonce une "mise en scène" visant à rendre sa légitimité au ministre, fragilisé par ses récentes déclarations. Une vraie-fausse démission doublement gagnante pour Beauvau et l'Elysée ? Il n'en est rien : en coulisses, Gérard Collomb organise déjà son retour à Lyon et avertit Emmanuel Macron de son départ, par téléphone, avant de recevoir celui qui lui a succédé à la mairie, le fidèle Georges Képénékian, dans l'optique que celui-ci lui cède sa place.

Nous avons convenu depuis longtemps que je reviendrai à la tête de la mairie pour préparer les échéances futures.

Gérard Collomb

au "Figaro"

Officiellement, Gérard Collomb est toujours en poste et la situation vire à l'absurde, mardi, en milieu d'après-midi. Alors que le cabinet de Gérard Collomb publie l'agenda du ministre, comme si de rien n'était, Le Figaro publie un extrait de son entretien avec le démissionnaire contrarié : l'ancien maire de Lyon y annonce maintenir son choix de partir. 

Il sèche les questions au gouvernement

L'information fait vibrer les téléphones des députés, réunis à cet instant à l'Assemblée nationale, pour la séance de questions au gouvernement. Gérard Collomb est absent des premiers rangs de l'Hémicycle – officiellement, il doit assister aux séminaires de deux services de police. Après avoir essuyé des critiques en début de session, le Premier ministre Edouard Philippe est littéralement pris de court. "Je proposerai au président de la République les décisions qui s'imposent", se contente-t-il de déclarer. 

Eric Ciotti interpelle Edouard Philippe lors des CAG sur la démission refusée de Gérard Collomb
Eric Ciotti interpelle Edouard Philippe lors des CAG sur la démission refusée de Gérard Collomb Eric Ciotti interpelle Edouard Philippe lors des CAG sur la démission refusée de Gérard Collomb

Cette fois, l'Elysée n'a pas d'autre choix que d'accepter la démission. Et Emmanuel Macron d'annoncer dans une déclaration à l'AFP attendre "que le Premier ministre lui fasse des propositions" pour le remplacer.

Les conseillers et le président lui-même organisent les réactions officielles sur la messagerie Telegram, rapporte Le Figaro. Le locataire de l'Elysée regrette ainsi que Gérard Collomb se soit "mis dans la situation le conduisant à devoir démissionner" et charge Edouard Philippe d'assurer l'intérim à l'Intérieur, à la veille du Conseil des ministres.

Il passe enfin ses pouvoirs à Edouard Philippe

Dans les rangs de la majorité, certains mesurent le vilain coup infligé à la présidence. "C'est vrai que ce n'est pas très élégant", estime le député LREM Jean-Baptise Moreau sur franceinfo. Gérard Collomb "aurait dû dire qu'il souhaitait maintenir sa démission" au moment où Emmanuel Macron lui renouvelait son soutien.

Le Premier ministre Edouard Philippe et le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb lors de la passation de pouvoir place Beauvau, le 3 octobre 2018. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Mercredi matin, la passation de pouvoir est un peu froide. Edouard Philippe est en retard et le ministre démissionnaire patiente pendant une dizaine de minutes, seul, les bras croisés. Après son bref discours, le Premier ministre regarde à peine son interlocuteur lors de la poignée de mains.

L'ancien locataire de la place Beauvau part avec fracas, mais sans grand désaccord de fond avec l'Elysée et Matignon, comme il l'explique au Figaro "Je soutiendrai leur politique que je trouve adaptée aux enjeux qui sont ceux de la France."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.