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"On n'a pas les mêmes avis sur tout" : comment la lune de miel entre Eric Drouet, Priscillia Ludosky et Maxime Nicolle a tourné court

Article rédigé par Vincent Matalon, Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Maxime Nicolle (alias Fly Rider), Eric Drouet et Priscillia Ludosky, trois figures des "gilets jaunes".   (GUILLAUME SOUVANT / Bertrand GUAY / AFP)

Priscillia Ludosky, figure des "gilets jaunes", a publié lundi un communiqué dénonçant "l'intimidation et les menaces, les mensonges et le harcèlement" dont se serait rendu coupable Eric Drouet. Franceinfo vous explique la genèse de ce coup de froid. 

"Qu'il y ait des trucs entre nous, et qu'on se prenne la tête des fois, qu'est-ce que la population française en a à foutre ? Sans déconner !" Lorsqu'il lance sa diffusion vidéo en direct sur Facebook, lundi 14 janvier, Maxime Nicolle est bien plus tendu qu'à l'accoutumée. C'est que ce charismatique "gilet jaune", surnommé Fly Rider, est pressé de questions par des centaines de membres de son groupe sur le réseau social : pourquoi Priscillia Ludosky et Eric Drouet, devenus avec lui les figures médiatiques du mouvement, s'opposent-ils ainsi publiquement ?

Quelques heures plus tôt, la première a publié sur son profil un communiqué dénonçant "l'intimidation et les menaces, les mensonges et le harcèlement" dont se serait rendu coupable le second. Un message supprimé quelques heures plus tard, et auquel l'intéressé a répondu par une vidéo diffusée sur son propre groupe. Comment la lune de miel du trio Nicolle-Ludosky-Drouet s'est-elle interrompue avec fracas ? Difficile de poser la question aux principaux concernés : aucun d'eux n'a voulu nous répondre. Franceinfo s'est donc plongé dans leurs prises de parole sur Facebook et dans les médias pour comprendre comment leurs divergences ont fini par éclater au grand jour.

Les figures "historiques" des "gilets jaunes"

Tout avait bien commencé entre les trois "gilets jaunes", aux profils aussi différents que complémentaires. A l'origine de la pétition contre la hausse des prix du carburant, Priscillia Ludosky incarne sur les plateaux de télévision les revendications du mouvement avec calme et détermination. "Elle se débrouille bien. C'est la force tranquille. La touche de féminité qui calme les ardeurs masculines", célébrait Maxime Nicolle, dont les vidéos cartonnent sur Facebook, à la mi-décembre. Avec son expérience dans l'organisation d'événements, Eric Drouet peut, lui, se targuer d'avoir été l'un des tout premiers à lancer un appel à manifester, le 17 novembre. Tout comme Fly Rider, ce chauffeur routier est à la tête d'un groupe Facebook de plusieurs dizaines de milliers de militants, à qui il s'adresse dans des vidéos tournées depuis son camion. "C'est devenu un ami, on peut dire ça", disait de lui Priscillia Ludosky en décembre.

Dès le départ, le trio est sur la même ligne : tous refusent de négocier avec l'exécutif, se considèrent comme des simples relais des revendications venues du terrain et jouent la transparence avec leur communauté sur Facebook. Le trio tient aussi à éviter toute récupération politique, quitte à écarter sans ménagement celles et ceux qui, sous la bannière des "gilets jaunes libres", affichaient leur volonté de discuter avec le gouvernement. L'apogée de cette proximité militante a lieu le 15 décembre, lorsque Maxime Nicolle et Priscillia Ludosky prononcent un discours place de l'Opéra, à Paris. Le lieu avait été choisi par Eric Drouet, qui y avait prévu un sit-in pacifique.

Quinze jours après cet évènement, les trois "gilets jaunes" signent un communiqué commun rappelant leur rejet des partis politiques traditionnels et leurs revendications sur la baisse des taxes et la mise en place du référendum d'initiative citoyenne. C'est la dernière fois où leurs trois noms ont été associés.

Pour Ludosky, "il n'y a pas que Paris !"

Car au fil des semaines, le trio s'est peu à peu divisé. Leur principal grief ? Le lieu des manifestations du samedi. Alors que Paris s'imposait comme l'épicentre des rassemblements, Priscillia Ludosky et Maxime Nicolle ont commencé à se joindre aux rassemblements en région. Cela a commencé le 22 décembre. Ce samedi-là, Priscillia Ludosky déserte la capitale et choisit d'aller battre le pavé au Boulou (Pyrénées-Orientales), près de la frontière espagnole, "parce qu'il n'y a pas que Paris", selon elle. Le samedi suivant à Marseille, elle enfonce le clou. Au milieu de quelques centaines de "gilets jaunes", dont Maxime Nicolle, elle déclare : "Je suis super contente d'être là parce qu'il n'y a pas que Paris. Il y a Marseille, il y a plein d'autres villes... Je trouve que c'est important d'être là aujourd'hui pour soutenir le mouvement partout." 

Faut-il y voir une allusion à la volonté d'Eric Drouet de maintenir les rassemblements à Paris ? Car de son côté, le routier de Seine-et-Marne penche pour une centralisation des manifestations dans la capitale. Une tactique qu'il juge plus intéressante pour peser sur le gouvernement. Quand Priscillia Ludosky choisit Le Boulou le 22 décembre, Eric Drouet appelle ainsi à manifester à Versailles (Yvelines). Il se rabattra au dernier moment sur Montmartre, au nord de Paris, pour prendre les autorités par surprise. 

Le "coup de pub" d'Eric Drouet

Ces divergences stratégiques n'échappent pas aux membres des "gilets jaunes" et plusieurs d'entre eux interpellent Eric Drouet le 2 janvier sur Facebook : "Tu as un problème avec Fly et Priscillia ?" L'intéressé s'explique : "Je ne vais pas dire un problème, mais on n'a pas les mêmes avis sur tout. Après, chacun fait ses actions. On n'est pas du tout raccord sur les actions à faire."

Et lorsqu'on l'interroge sur leurs "différences", le médiatique "gilet jaune" revendique sa stratégie : "Ils me critiquent beaucoup parce qu'on veut toujours être à Paris. Je pense que Paris ça a son intérêt aussi, c'est là qu'il y a le gouvernement. Paris, c'est très important pour eux, si tu ne fais rien à Paris, ils ne vont même pas regarder ce qu'il se passe dans le reste de la France..."

Je ne sais pas si c'est moi qui suis sur le bon chemin ou eux, mais j'ai l'impression que les actions qu'ils veulent mener pour la suite ne vont pas être convaincantes. J'ai l'impression que ça va devenir des manifs banales, qui n'arrivent à rien.

Eric Drouet

lors d'un direct vidéo sur Facebook

Au fil du mouvement, ce père de famille de 33 ans a peu à peu affirmé sa propre ligne de conduite, quitte à faire cavalier seul, comme lors de son arrestation très médiatique du 2 janvier, que beaucoup considèrent comme planifiée. Quelques heures avant, dans un Facebook live, Eric Drouet a ainsi évoqué une "petite rencontre" sur les Champs Elysées et prévenu que les forces de l'ordre n'allaient pas vouloir "qu'on le fasse", anticipant sa garde à vue. Trois journalistes avaient même été invités. 

Pour beaucoup, l'arrestation d'Eric Drouet a scellé la rupture du trio. Si sa garde à vue a été vivement relayée par les médias et sur les réseaux sociaux, ni Priscillia Ludosky ni Maxime Nicolle n'ont d'ailleurs eu de mot de soutien pour leur acolyte. Sur son groupe, Fly Rider s'est contenté de poster un message sans rapport avec l'arrestation. Ce que beaucoup de membres lui ont reproché dans les commentaires. Contacté par franceinfo, Frank Buhler, l'une des figures controversées des "gilets jaunes", évoque un "coup de pub" et affirme que "Fly" était d'accord avec lui. Ce dernier aurait toutefois admis que l'arrestation d'Eric Drouet "avait permis de relancer le mouvement"

Trois figures historiques, deux pages Facebook et autant de stratégies

Le divorce semble désormais consommé au sein du groupe. Et la scission a pris un nouveau tournant, en amont du 12 janvier, lorsque la page Facebook "La France en colère", créée un mois plus tôt par Priscillia Ludosky, a appelé les "gilets jaunes" à se retrouver à Bourges (Cher). Une invitation, partagée par Maxime Nicolle sur son groupe "Fly Rider infos blocage", qui visait à "permettre à tous d'être à distance égale en partance des grandes villes !" et à "confirmer notre unité". Raté.

En face, Eric Drouet n'a pas caché son agacement quant à la démarche de ses camarades. Sur son propre groupe Facebook, créé mi-octobre et baptisé "La France en colère !!!", le chauffeur routier a lancé un autre appel à manifester... à Paris. "Toute autre manifestation n'est pas issue de la France en colère ! Bourges n'est pas issue de ce groupe ! Une page utilise notre nom mais ne nous représente pas !", a-t-il ainsi attaqué. Dans les commentaires, de nombreux "gilets jaunes" ont fait part de leur déception devant cette division qui s'est d'ailleurs traduit par un quasi match nul sur le terrain : quand 8 000 participants défilaient dans la capitale, ils étaient 6 000 à Bourges, selon la police. 

Capture d'écran des commentaires postés sur Facebook.  (FACEBOOK)

Mais pour Priscillia Ludosky, Eric Drouet est allé trop loin. Lundi 14 janvier, dans un long post Facebook (supprimé depuis), la "gilet jaune" a pris ses distances avec le chauffeur routier : "Je suis enfin libre de pouvoir dire que je ne travaille plus avec Eric Drouet depuis des semaines en raison de son comportement et je compte quand tout sera terminé expliquer tout ce qu'il a pu faire pour nuire au mouvement." Elle évoque notamment des "menaces" et se dit "personnellement attaquée".

Visiblement mal à l'aise, Eric Drouet a tenté de se justifier dans un énième direct vidéo sur Facebook, expliquant craindre que les messages postés sur la page fondée par Priscillia Ludosky ne lui portent préjudice lors de son procès le 15 février. Dans un post, supprimé depuis, il s'est aussi excusé auprès de ses deux comparses.

Pas de quoi rapprocher le trio qui risque de continuer à faire bande à part alors que le mouvement des "gilets jaunes" se prépare pour son dixième samedi de mobilisation. Sans surprise, Eric Drouet appelle à se rassembler à Paris, samedi 19 janvier, quand Fly Rider fera la route jusqu'à Toulouse. Priscillia Ludosky, elle, ne s'est pas encore prononcée. 

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