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Propos polémiques, exclusion du FN et militantisme 2.0 : Frank Buhler, l'encombrant visage des "gilets jaunes"

Devenu l'une des figures du mouvement de contestation contre la hausse du prix des carburants, ce militant de Debout la France est passé par l'UMP et le Front national, mais n'a pas laissé que des bons souvenirs.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Frank Buhler, responsable du parti Debout la France dans le Tarn-et-Garonne, pose avec un gilet jaune, le 21 novembre 2018, à Montauban. (PASCAL PAVANI / AFP)

"Je suis totalement épuisé, ça n'arrête pas depuis trois semaines, confie Frank Buhler à franceinfo, vendredi 23 novembre. J'étais encore hier à l'enregistrement de l'émission d'Ardisson." Ce responsable du parti Debout la France dans le Tarn-et-Garonne est devenu une figure du mouvement des "gilets jaunes" grâce à ses vidéos publiées sur sa page Facebook. "Je n'ai jamais prétendu être l'initiateur ou celui qui a eu l'idée du mouvement, j'ai simplement voulu passer un coup de gueule", assure-t-il, à la veille d'une nouvelle journée de protestation.

J'ai été l'étincelle qui a fait péter le baril de poudre.

Frank Buhler

à franceinfo

Au début de cette histoire, il y a une vidéo, postée le 23 octobre, sur sa page – très orientée politiquement – "Blog Politique - Patriosphère Infos". "Au départ, c'est faire le plein de son automobile, halluciner complètement, être fou de rage, rentrer chez soi et voir passer sur Facebook un appel pour bloquer le périphérique porte de Bercy pour lutter contre la hausse des carburants", raconte ce militant de 53 ans. Il réalise alors une vidéo et se sert de ses compétences de community manager, métier qu'il exerce en indépendant, pour la diffuser sur les réseaux sociaux. 

Son message est ainsi partagé et commenté des milliers de fois (il en est aujourd'hui à plus de 185 000 partages et plus de 4,5 millions de vues). "Ma vidéo je l'assume complètement, mais j'étais à mille lieues d'imaginer l'ampleur du mouvement", assure-t-il. Frank Buhler s'impose alors comme l'une des têtes du mouvement sur les réseaux sociaux et dans les médias, comme Priscillia Ludosky et sa pétition, Jacline Mouraud et sa vidéo ou encore Eric Drouet à l'origine de l'appel au blocage.

"Quelqu'un d'assez violent"

Mais l'omniprésence de cet adhérent du parti de Nicolas Dupont-Aignan, passé également par le Front national et l'UMP, commence à agacer localement certains "gilets jaunes". "Il essaye de faire une récupération de l'événement et n'est jamais venu sur les blocages. D'ailleurs, il n'est pas le bienvenu chez les 'gilets jaunes'", assure à franceinfo un membre actif du mouvement dans le Tarn-et-Garonne. "Il nous récupère politiquement ! C'est une honte !", estime un autre "gilet jaune" sur Facebook.

Frank Buhler se défend de toute récupération. Pour samedi, il appelle les gens à manifester "en tant que citoyen", et non comme militant. S'il assure aussi avoir passé plusieurs heures sur un barrage dans son petit village de 1 800 habitants samedi, il reste plus actif sur les réseaux sociaux qu'aux ronds-points. "Il a tracté une fois sur le terrain. C'est plus un militant 2.0", se souvient un responsable du Rassemblement national (RN) du Tarn-et-Garonne. Ce dernier n'est pas tendre avec son ancien militant : "C'est quelqu'un d'assez violent, il vous envoie des insultes par message dix fois par jour. Il est très désagréable."

Suspendu du Front national

Pour expliquer cette animosité, il faut rappeler que Frank Buhler a été exclu – il est parti de lui-même, selon sa version – du parti de Marine Le Pen. "On a demandé sa suspension au siège en novembre 2017 et le siège lui a envoyé une lettre de suspension en janvier 2018, en raison de propos sur l'islam incompatibles avec la ligne de notre mouvement", détaille un cadre du RN du Tarn-et-Garonne. Ce dernier cite plusieurs tweets de Frank Buhler, où ce dernier qualifie le prophète Mahomet de "pédophile criminel" et où il affirme que les "arabes n’ont jamais rien inventé". Le RN lui reproche également de s'être affiché avec le sulfureux Renaud Camus, théoricien du "grand remplacement".

Une version que Frank Buhler balaie d'un revers de main. "Je n'ai jamais été exclu. J'ai une lettre de Marine Le Pen qui dit qu'elle prend acte de ma démission en date du 8 mai. On n'exclut pas quelqu'un qui n'est pas membre", rappelle-t-il d'abord. Concernant sa suspension, il ne se souvient pas du contenu de la lettre envoyée en janvier : "Je l'ai bazardée." Cette dernière, consultée par franceinfo, mentionne pourtant bien une suspension qui a "le même effet juridique et pratique qu'une exclusion".

Concernant ses propos passés, Frank Buhler en assume la majorité. Il reconnaît tout au plus une maladresse dans sa réponse au sujet de l'invention des "chiffres arabes" : "J'aurais dû écrire la civilisation arabo-musulmane n'a jamais rien inventé. (...) Mais le 'problème de QI' ne s'adresse pas aux Arabes, mais à la personne à laquelle je réponds avec ce tweet." Il reconnaît avoir rencontré Renaud Camus, même s'il prend un peu de distance avec certaines de ses thèses liées au "grand remplacement" : "Renaud Camus dénonce un problème d'invasion migratoire, comme beaucoup de politiques. Mais je ne partage pas avec lui l'idée que cette vague migratoire est manipulée et voulue par les grandes entreprises."

"Je me méfie des boules puantes"

Du côté de Debout la France, on soutient pour l'instant la nouvelle figure des "gilets jaunes". Nicolas Dupont-Aignan a rencontré Frank Buhler une fois et l'a eu au téléphone pour le féliciter de son implication dans le mouvement de protestation populaire. "Je n'avais pas connaissance de ces accusations de racisme. Il n'y a pas de ça dans notre mouvement, ce n'est pas le genre de la maison", indique à franceinfo le président de Debout la France.

Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage. 

Nicolas Dupont-Aignan

à franceinfo

"J'ai demandé à ce que l'on fasse des vérifications. Mais je reste prudent. Je me méfie des boules puantes, surtout quand elles viennent du FN. Car depuis qu'il est adhérent, on n'a pas eu à se plaindre", poursuit l'ancien candidat à l'élection présidentielle. Mercredi, Frank Buhler a pourtant déclenché une nouvelle polémique en proposant en direct sur BFMTV une solution aux "gilets jaunes" afin de rejoindre Paris samedi sans payer le train : "Si les trains sont remplis de gens en gilets jaunes, qui apprennent en chinois – en rapport avec le jaune – la phrase 'Je ne comprends pas' aux contrôleurs, et bien que va faire la SNCF, elle va arrêter tous les trains ?"

Mais Nicolas Dupont-Aignan préfère souligner l'"énorme travail" de son militant au sein du mouvement des "gilets jaunes". Toutefois, Frank Buhler ne sera pas à Paris samedi. Il restera dans le Tarn-et-Garonne pour des raisons personnelles. Les "gilets jaunes" se passeront de lui. Mais de toute façon, il estime qu'il ne faut pas d'organisation à la tête de ce mouvement : "La légitimité du mouvement n'existe qu'à partir du moment où c'est le peuple. Et le peuple c'est protéiforme, ça n'a pas de tête, ça n'a pas de chef, pas de leader et pas non plus d'organisation." 

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