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On a passé au crible les rumeurs relayées par "Fly Rider", la star des "gilets jaunes" dont les vidéos cartonnent sur Facebook

Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 17min
Maxime Nicolle, plus connu sous le pseudonyme de "Fly Rider", dimanche 2 décembre 2018 lors d'un direct vidéo diffusé sur son groupe Facebook. (Fly Rider infos blocage / FACEBOOK)

Figure du mouvement sur Facebook, Maxime Nicolle est à la tête de l'un des plus importants groupes de militants du réseau social.

Lundi 10 décembre, la France ne sera plus dirigée par Emmanuel Macron, et sera mise sous tutelle par l'ONU. Mais auparavant, le président français devra proclamer l'état d'urgence grâce à l'article 16 de la Constitution, et des militaires européens vont assurer la sécurité dans les rues de l'Hexagone. Vous doutez de ces informations ? C'est normal : elles ne proviennent d'aucune source fiable, mais des vidéos en direct diffusées sur Facebook par Maxime Nicolle.

Surnommé "Fly Rider", cet habitant des Côtes-d'Armor est à la tête de l'un des groupes de "gilets jaunes" les plus importants du réseau social, avec près de 130 000 membres. Cet intérimaire de 31 ans s'est fait connaître du grand public grâce à son passage sur le plateau de Cyril Hanouna, sur C8, fin novembre, et il communique très régulièrement sur Facebook. Ses vidéos, dans lesquelles il est parfois accompagné d'une autre figure du mouvement, Eric Drouet, sont visionnées par plusieurs centaines de milliers d'internautes. Maxime Nicolle répond avec aisance et franchise aux questions des manifestants, tout en relayant un nombre conséquent de fausses informations ou de rumeurs invérifiables.

Franceinfo a écouté avec attention deux de ses dernières interventions, diffusées après la manifestation du samedi 1er décembre, et a passé aux cribles les affirmations de "Fly Rider".

Des manifestants ont-ils récupéré le matériel de CRS ?

Ce que dit "Fly Rider". Dans sa vidéo en direct diffusée au lendemain du rassemblement parisien (à 3:19), Maxime Nicolle assure que des membres des forces de l'ordre se sont "barrés" de leur poste pendant les scènes de violence, laissant "casques, gilets et boucliers" aux manifestants. "Un fusil d'assaut automatique a été apparemment volé, avec des chargeurs", ajoute le "gilet jaune".

Pourquoi c'est vrai. Des manifestants virulents ont effectivement parfois réussi à dérober du matériel policier. Une scène particulièrement violente filmée au pied de l'Arc de triomphe par RT France, branche française de la chaîne russe RT, montre ainsi un membre des forces de l'ordre se faire voler son bouclier alors qu'il se fait rouer de coups par des "gilets jaunes".

Contactée par franceinfo, la préfecture de police ne communique pas sur ce sujet et renvoie aux auditions du ministre de l'Intérieur devant les parlementaires. Entendu mardi par les sénateurs, Christophe Castaner a confirmé que des casseurs avaient subtilisé un "fusil d'assaut" lors de l'attaque d'une voiture de police dans le 16e arrondissement. Ajoutant que l'arme n'avait toujours pas été retrouvée trois jours après les faits, le ministre de l'Intérieur n'a toutefois pas précisé si des chargeurs avaient également été volés. 

Le gouvernement a-t-il "fait exprès" de créer des débordements autour de l'Arc de triomphe ?

Ce que disent "Fly Rider" et Eric Drouet. Le militant continue son analyse en affirmant que les forces de l'ordre ont "fait exprès" de provoquer des violences au niveau de l'Arc de triomphe. "Ils ont fait un goulot d'étranglement sur la place de l'Etoile en bloquant tous les accès, sauf un. Du coup, tout le monde venait sur la place, et c'est là qu'ils se sont mis à gazer, à envoyer des flash-balls, des jets d'eau, et des grenades dispersantes", assure-t-il.

Invité en pleine nuit dans un second direct de "Fly Rider", Eric Drouet livre son opinion sur la suite des événements. "Ils ont dispersé tout le monde dans les rues (...) pour protéger l'Arc de triomphe, et au final, ils ont mis à découvert tout le reste de Paris. J'ai trouvé ça fou. (...) Il faut bien qu'ils admettent leur erreur par rapport à ça."

Pourquoi c'est plus compliqué que cela. Contacté par franceinfo, le ministère de l'Intérieur dément toute volonté de créer une souricière sur la place de l'Etoile. "L'idée était d'adopter un dispositif adapté, qui permette aux manifestants d'accéder aux Champs-Elysées dans un cadre sécurisé et sans casseurs, après examen des sacs et un contrôle d'identité", indique-t-on place Beauvau. Le ministère reconnaît que le point de contrôle situé en haut de l'avenue des Champs-Elysées a vite été fermé après que des manifestants ont tenté de le forcer en début de matinée. Mais selon lui, il était possible de se rendre aux autres barrages filtrants – qui donnaient sur la célèbre avenue – en passant par les rues adjacentes.

En recevant les syndicats policiers mardi, Christophe Castaner a toutefois annoncé l'abandon de cette stratégie proche de celle adoptée pour les fan-zones en cas de nouvelle manifestation samedi. Lundi soir, devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, il a promis davantage de "mobilité" des forces de l'ordre. Ce que l'on peut interpréter comme une manière d'admettre que la stratégie mise en place samedi n'était pas la bonne.

Des snipers étaient-ils présents sur les toits ?

Ce que dit "Fly Rider". Enumérant rapidement plusieurs faits au sujet de la manifestation parisienne, Maxime Nicolle assure également qu'il "y avait bien des tireurs d'élite sur les toits".

Pourquoi c'est vrai. Samedi, à 18h50, les caméras de l'agence de presse Reuters ont communiqué aux télévisions partenaires, dont franceinfo, des images en haut de l'avenue des Champs-Elysées. On y voit plusieurs hommes, dont un tireur d'élite aux aguets, sur une terrasse, tournés en direction de l'Arc de triomphe.

snipers
snipers snipers

Il est fort possible que d'autres dispositifs de ce type aient été déployés dans la ville, car cette pratique s'est répandue dans le contexte de menace terroriste en France. "Depuis [les attentats de] 2015, lorsqu'une manifestation est organisée avec beaucoup de monde, comme les Fêtes de Bayonne, il y en a, c'est une pratique fréquente", explique à franceinfo Philippe Capon, membre du syndicat Unsa-Police. Le rôle de ces "tireurs haute précision", selon la terminologie officielle, "est de neutraliser et de protéger la foule face à une personne qui viendrait avec une arme ou qui pourrait commettre un acte terroriste. Ce n'est évidemment pas pour viser les manifestants", ajoutait ce syndicaliste. 

Les images sont néanmoins formelles : à Paris, au moins un sniper était encore sur place dans la soirée de samedi, malgré les dénégations de la préfecture de police, contactée à plusieurs reprises à ce sujet par franceinfo. Le ministère de l'Intérieur rappelle de son côté que l'utilisation (préventive) de tireurs d'élite fait partie du plan Vigipirate et de l'antiterrorisme. 

Des policiers en civil ont-ils participé à la casse ?

Ce que dit "Fly Rider". Lorsqu'elle revient sur l'utilisation par les forces de l'ordre de gaz lacrymogènes et de grenades de désencerclement sur la place de l'Etoile (à 4:55), cette figure du mouvement des "gilets jaunes" indique que la police visait les casseurs. "Casseurs qui – oh !– étaient aussi des flics ! On a des vidéos. (...) J'en ai vu plein. Ces flics qui cassaient étaient là pour bien motiver les casseurs", assène-t-il.

Pourquoi c'est faux. C'est une rumeur persistante, et qui ne date pas du mouvement des "gilets jaunes". Samedi, de nombreuses vidéos tournées par des manifestants ont montré des policiers en civil équipés à la manière de casseurs (sacs à dos, casques, masques...) s'éloigner de la foule sous les huées des manifestants ou se changer près de camionnettes. Une vidéo tournée par un journaliste du Monde montre même un membre des forces de l'ordre, casqué et portant un gilet jaune, lancer ce qui semble être une grenade.

Ces policiers en civil sont-ils chargés de faire dérailler la manifestation en participant à des violences ? "Faux. Comme dans toute manifestation, les policiers en civil procèdent discrètement à des interpellations et renseignent sur les mouvements du cortège", a réagi samedi sur Twitter le compte de la police nationale alors que la manifestation était encore en cours. Un commissaire de police interrogé à ce sujet par les journalistes d'Explicite (article payant) confirme.

Ils sont habillés ainsi pour procéder aux interpellations. La distance entre les barrages et les manifestants qui sont violents est trop importante pour que nous puissions nous approcher et interpeller. (...) Dès qu'ils interpellent quelqu'un, nous venons immédiatement en protection car ils sont à découvert.

Un commissaire de police

à Explicite

Plusieurs syndicalistes policiers interrogés par franceinfo et Le Figaro (article payant) abondent en ce sens. Denis Jacob, secrétaire général du syndicat Alternative police, indique ainsi au quotidien que les autorités ont souvent recours à ces techniques d'infiltration depuis que la présence de black blocs au sein des cortèges s'est intensifiée.

La présence de véhicules diplomatiques près de la place de l'Etoile est-elle "bizarre" ?

Ce que dit "Fly Rider". "Y'a plein de trucs bizarres", s'étonne encore Maxime Nicolle dans sa vidéo en évoquant les véhicules enflammés samedi (à 5:30). "Il y avait des voitures basiques qui ont été brûlées – ce que je ne cautionne pas –, mais il y avait aussi des voitures avec des plaques diplomatiques qui étaient comme par hasard placées là où il fallait !" Que sous-entend "Fly Rider" avec ce "comme par hasard" ? Mystère : contacté, il n'a pas répondu aux questions de franceinfo.

Pourquoi c'est faux. La présence de véhicules équipés de plaques minéralogiques à fond vert, caractéristiques des diplomates, n'a absolument rien de "bizarre" dans ce quartier. C'est en effet dans l'ouest de Paris, et particulièrement les alentours de la place de l'Etoile, que se concentrent le plus grand nombre d'ambassades et de consulats de la capitale. Franceinfo a recensé sur une carte la plupart des représentations diplomatiques de cette zone.

Dans un article, l'Agence France Presse relève ainsi la présence de deux véhicules diplomatiques saccagés sur l'avenue Pierre 1er de Serbie, à proximité de plusieurs ambassades.

Emmanuel Macron va-t-il confier les clés de la France à l'ONU ?

Ce que dit "Fly Rider". Le charismatique "gilet jaune" passe ensuite à un tout autre sujet (à 6:36). "Le 10 décembre, un accord va être voté par Macron qui ferait passer la gestion de la France, enfin des pays de l'Europe, par l'ONU", explique-t-il, avant de préciser qu'il s'agit là d'une "info qui n'est pas confirmée" "plein de gens me le disent, mais je ne trouve pas de source officielle qui prouve le truc".

Ce qui ne l'empêche pas d'expliquer davantage cette théorie dans un autre direct diffusé quelques heures plus tard (à 29:30). Selon lui, Emmanuel Macron aurait décidé que la France abandonne son statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. Ce qui donnerait à l'institution internationale, selon lui, "l'opportunité de contrôler plus ou moins le pays et les lois qui y sont faites."

Pourquoi c'est complètement faux. Maxime Nicolle a raison de prendre des précautions en évoquant ce sujet : il relaie là l'une des fausses informations les plus fantaisistes qui circule avec persistance dans les groupes Facebook de "gilets jaunes". Ces rumeurs, auxquelles France Inter a consacré un article, font en fait référence à un autre sujet : la signature lors d'un sommet prévu lundi 10 décembre à Marrakech de deux pactes, l'un sur les réfugiés, l'autre sur les migrations.

Contactée par franceinfo, Marie-Laure Basilien-Gainche, professeure de droit public à l'université Lyon-3 et spécialiste des politiques d'immigration et d'asile, tombe de sa chaise à la lecture de cette rumeur. "Il ne s'agit pas d'une décision de l'ONU, et ce texte n'a même pas le statut d'un accord international, qui nécessiterait d'être ratifié par les parlements nationaux !" explique-t-elle.

Pour résumer, les deux Global Compacts ne sont que des manifestations, par les Etats membres des Nations unies, de leur volonté de s'engager à respecter le droit international déjà en vigueur depuis cinquante ans dans la gestion des migrations.

Marie-Laure Basilien-Gainche, professeure de droit public à l'université Lyon-3

à franceinfo

Cette spécialiste, comme le chercheur au Centre migrations et citoyennetés de l'Institut français des relations internationales Matthieu Tardis, interrogé plus tôt par franceinfo, confirme enfin que ce pacte ne prévoit aucune contrainte, ni transfert de souveraineté nationale, pas même sur la question des migrants. Il est néanmoins vrai que le texte provoque de vives oppositions. Ainsi, les Etats-Unis, l'Australie et six pays européens (notamment la Hongrie) refusent de signer ce pacte, qu'ils jugent trop favorable aux migrants.

Difficile quoi qu'il en soit d'imaginer l'ONU prête à exercer une réelle tutelle sur la France. L'organisation possède bien un Conseil de tutelle, mais qui était destiné à préparer l'indépendance des territoires colonisés. Cette instance est en sommeil depuis 1994 et la proclamation de l'indépendance de Palaos, petit archipel anciennement américain situé dans l'océan Pacifique. 

Le président va-t-il instaurer l'état d'urgence "avec l'article 16 de la Constitution" et faire intervenir "les militaires européens" ?

Ce que dit "Fly Rider". Autre rumeur relayée par Maxime Nicolle (à 7:43), la volonté d'Emmanuel Macron de "nous mettre en état d'urgence", à l'aide de "l'article 16 de la Constitution, qui donne les pleins pouvoirs au président". Il détaille quelques minutes plus tard (10:10) "le problème" que constituerait cette nouvelle : "si l'état d'urgence est déclaré et que l'armée refuse d'aller dans les rues, le gouvernement peut demander l'assistance des militaires européens. Voilà."

Pourquoi c'est n'importe quoi. Le "gilet jaune" confond en fait deux dispositions légales : l'état d'urgence et le recours aux pouvoirs exceptionnels du chef de l'Etat. L'état d'urgence, prévu par la loi n°55-385 du 3 avril 1955 dans le contexte de la guerre d'Algérie, permet d'interdire la circulation dans certains lieux, d'interdire de séjours certaines personnes, ou encore d'autoriser des perquisitions administratives, en cas d'atteintes graves à l'ordre public. Les Français connaissent bien ce régime, puisqu'il a été appliqué au lendemain des attentats de novembre 2015 jusqu'à la fin octobre 2017. Certaines de ses dispositions ont depuis intégré le droit commun. Interrogé à ce sujet lundi, le secrétaire d'Etat à l'Intérieur, Laurent Nuñez, a indiqué que le retour à ce régime d'exception n'était "pas à l'ordre du jour".

L'article 16 de la Constitution, en revanche, ne concerne pas l'état d'urgence, mais la concentration de nombreux pouvoirs dans les mains du président de la République. Le chef de l'Etat ne peut y avoir recours qu'en cas de "menace grave et immédiate des institutions de la République", et "d'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics", écrit sur son site internet le Conseil constitutionnel. Cet article permet momentanément au président "de prendre les mesures exigées par ces circonstances", y compris des mesures législatives, "sous le regard du Parlement et du Conseil constitutionnel", détaille Marie-Laure Basilien-Gainche. "Il n'a été employé que du 23 avril au 29 septembre 1961, après la tentative de coup d'Etat de quatre généraux de l'Algérie française." 

Si l'idée venait à Emmanuel Macron d'avoir recours à l'article 16 de la Constitution pour résoudre la crise des "gilets jaunes", pourrait-il faire appel aux "militaires européens" pour rétablir l'ordre dans les rues ? Cela semble difficile, puisqu'aucune armée de l'Union européenne n'existe à l'heure actuelle. Le président de la République a d'ailleurs plaidé pour la création d'une telle force début novembre, ce qui a provoqué l'ire du président américain Donald Trump. 

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