Remaniement, coalition avec la droite, référendum... La macronie à la recherche de la formule magique pour sortir du bourbier des retraites
"Qu'est-ce qu'on a comme solution ?" Dans les couloirs du palais Bourbon, ce député Renaissance de premier plan réfléchit à voix haute, masquant à peine son désarroi. Il est 20 heures passées, en ce lundi 20 mars, et les élus de la majorité se font rares à l'Assemblée. La lumière du jour a cédé sa place à celle des larges chandeliers de la salle des Quatre Colonnes, rendant un peu plus dramatique le moment que vit la macronie. Certes, la motion de censure transpartisane, présentée après le 49.3 pour faire adopter la réforme des retraites, a été rejetée deux heures plus tôt. Mais de si peu : neuf petites voix ont manqué pour renverser le gouvernement.
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"La question, c'est : 'Qu'est-ce qu'on fait ensuite, si on est en dessous de dix voix ?'" s'inquiétait un peu plus tôt dans la journée un conseiller ministériel. Au vu du résultat, ce même interlocuteur confesse après coup être un peu démuni. En rejetant le texte déposé par le groupe Liot, le Parlement a mécaniquement adopté la réforme des retraites, mais le passage en force du gouvernement a surtout provoqué un regain de colère des opposants. Les manifestations sauvages se multiplient chaque soir depuis mercredi, à Paris comme dans plusieurs villes de France. Une nouvelle journée de mobilisation massive aura lieu jeudi à l'appel de l'intersyndicale.
Dans ce contexte extrêmement tendu, la prise de parole d'Emmanuel Macron, mercredi à la mi-journée, est très attendue. Le chef de l'Etat doit s'exprimer lors d'une interview sur TF1 et France 2 à 13 heures, après avoir affirmé mardi, lors d'une réunion à l'Elysée, ne vouloir ni dissoudre, ni remanier, ni convoquer un référendum – du moins à court terme. Mais ce sont bien ces pistes, parmi d'autres, qui sont explorées au sein de la macronie pour sortir du bourbier de la réforme des retraites.
"On a un problème d'incarnation"
Pour l'opposition, il n'y a bien sûr qu'une issue possible. "C'est l'impasse absolue. Ils n'ont pas d'autre choix que d'abandonner cette réforme", estimait lundi le patron des socialistes, Olivier Faure, devant quelques journalistes. C'est pourtant bien la seule option qui n'est pas envisagée par la majorité. Pour le reste, tout est possible. Chacun y va de sa petite idée sur le sujet, de la plus simple à la plus farfelue – allant du "on continue texte par texte", au "il faut tout faire péter".
Au sein de la majorité, la piste du remaniement tient la corde, et ce, depuis un bout de temps. "Il y a une absence de portage sur des sujets majeurs, que ce soit sur l'éducation, la culture, le logement, l'agriculture, l'écologie..." soupirait il y a plus d'un mois une figure de la macronie. Ils étaient alors plusieurs à plaider pour un changement de gouvernement avant l'été. Mais la crise des retraites pousse certains à vouloir accélérer le tempo. "On a un problème d'incarnation", reconnaît auprès de France Télévisions un poids lourd de la majorité.
"Tous les députés veulent un remaniement. Ils considèrent que beaucoup de ministres venus de la droite ne servent à rien, vu qu'ils ne ramènent pas les voix de droite."
Une cadre de la majoritéà franceinfo
Si le remaniement a donc les faveurs des parlementaires du camp présidentiel, la question du maintien en poste d'Elisabeth Borne divise. Certains plaident pour son départ, tandis que d'autres souhaitent qu'elle reste en poste. "L'avenir de Borne s'écrit en pointillé", résume une source ministérielle.
Une coalition avec LR ?
Pas sûr, néanmoins, que la seule piste d'un nouveau gouvernement soit suffisante aux yeux de nombreux macronistes. "Le remaniement, ça ne changera rien, il ne faut pas du ripolinage", assène une cheville ouvrière de Renaissance. "Je ne sais pas si [cela passe par] le remaniement, mais il faut montrer aux Français que l'on a compris quelque chose", lance à la volée Astrid Panosyan-Bouvet, députée Renaissance de Paris. Lorsqu'on l'interroge sur la méthode, cette dernière a tout juste le temps de glisser un "par des politiques publiques", avant de s'éclipser de l'Assemblée.
"Je ferais avec un changement de casting, mais il y a un coup à jouer", juge de son côté un député MoDem, qui plaide en faveur de "quelque chose qui ressemble à l'unité nationale". "Sur certains sujets, il y a l'épaisseur d'un papier de cigarette entre ce qui nous sépare des LR ou des socialistes", affirme encore cet élu francilien.
"Ça aurait de la gueule que l'on réunisse les démocrates de ce pays et que l'on propose un gouvernement d'union nationale."
Un député du MoDemà franceinfo
"La question d'une large coalition se repose aujourd'hui. Mais qui va jouer le jeu de la discussion ?" se demande un parlementaire de la majorité, sceptique. Celle d'une alliance avec les seuls Républicains est revenue plus fortement sur le devant de la scène. L'hypothèse a été émise vendredi dernier par l'ex-ministre Rachida Dati. "Il faut se mettre autour de la table pour trouver un accord de gouvernement", a déclaré la maire LR du 7e arrondissement de Paris sur France Culture. "Je suis favorable à ce que l'on gouverne avec la droite, mais il faut encore que LR le veuille !" répond toutefois le député Renaissance Charles Sitzenstuhl.
"Je pense que le président a en tête de faire entrer les LR 'Macron-compatible' au gouvernement. Une alliance avec la droite dans une grande coalition repousserait le RN à l'extrême", observe un député du groupe Horizons, allié de Renaissance. "Le pari est difficile, mais c'est peut-être la seule carte aujourd'hui", ajoute-t-il. "Une coalition avec la moitié des LR, ce n'est pas terrible", tempère à son tour un autre élu de la majorité, renvoyant aux profondes divisions du groupe d'Olivier Marleix sur la réforme des retraites.
Au-delà de l'aspect purement politique et partisan de cette crise, se pose aussi la question du fameux changement de méthode. Gilles Le Gendre, ancien président du groupe LREM sous la précédente législature, défend l'idée d'un référendum. "Le président doit prendre de la hauteur pour proposer aux forces politiques et sociales de travailler à une refondation démocratique sur six ou sept mois. Au menu : les institutions, les relations entre les autorités politiques et les corps intermédiaires, la rénovation des services publics et l'organisation de l'action publique", a-t-il expliqué mardi, dans une interview à Libération (article réservé aux abonnés). Cette feuille de route serait ensuite soumise à l'approbation du peuple français.
"On est dans une machine à laver"
Certains, dans la majorité, vont même plus loin. "Il faut une [assemblée] constituante ! On n'a plus de marge de manœuvre", s'enflamme un macroniste. En clair : se pose, pour certains, la question d'un changement pur et simple de régime. "Je ne crois pas à une constituante, qui serait vectrice d'instabilité sans régler la question de la bonne représentation des électeurs, ni la question de l'équilibre des pouvoirs", rétorque un député Renaissance, qui plaide plutôt pour remettre rapidement sur la table l'épineuse réforme des institutions, serpent de mer du précédent quinquennat.
Farouche défenseur de la proportionnelle, cet élu de la majorité souhaite "plus de référendums locaux" mais aussi la réduction du nombre d'échelons de l'administration territoriale, qui se divise aujourd'hui en quatre (régions, départements, intercommunalités et communes). Le chantier a bien été lancé discrètement depuis quelques semaines et comprend des sujets aussi vastes que le retour au septennat, le calendrier électoral ou le mode de scrutin, selon Le Monde (article réservé aux abonnés).
Il pourrait donc revenir rapidement dans l'actualité. Sur la même thématique, le chef de l'Etat a d'ailleurs fait passer le message, lors d'une réunion à l'Elysée, de "légiférer moins" et de faire "plus de réglementaire", "plus de vie quotidienne".
"Il faut continuer à avancer, mais avec moins de textes. On a beaucoup légiféré depuis juillet. Il faut vraiment rationaliser le travail parlementaire."
Charles Sitzenstuhl, député Renaissance du Bas-Rhinà franceinfo
"On est dans une machine à laver, on n'a pas le temps de travailler", regrette un poids lourd de la majorité auprès de France Télévisions. La petite musique du changement de méthode dans la construction de la loi se fait donc de nouveau entendre. Tout comme celle de la dissolution. Mais cette hypothèse est aussitôt balayée par les macronistes : cette arme atomique semble bien être la seule piste qui ne soit pas sérieusement envisagée. "La dissolution ? On risque d'avoir une majorité encore moins forte, vu le contexte", soupire un député Renaissance.
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