La majorité face au spectre d'une dissolution de l'Assemblée nationale : "Si on y pense, on va ressortir cassés en 1 000 morceaux"
Emmanuel Macron a récemment brandi la menace de dissoudre la chambre basse. Pourtant, l'hypothèse n'est pas privilégiée au sein de son propre camp. Du moins, pas pour le moment.
C'était le 7 juillet, trois petites semaines après le second tour des élections législatives, marqué par la perte de la majorité absolue pour le camp d'Emmanuel Macron. Attablé dans une brasserie parisienne, ce député Horizons sait que son mandat ne durera peut-être pas le temps du quinquennat. "J'ai dit à mes militants : 'On ne range pas la colle'", plaisante-t-il à moitié. Et d'ajouter, plus sérieux : "La probabilité que ça ne dure pas est plus forte que sous les autres législatures, forcément, on n'a jamais eu cette équation."
Quelques semaines plus tard, la menace d'une dissolution est devenue encore plus réelle. Elle a été, pour la première fois, brandie par Emmanuel Macron lui-même, au cours d'un dîner à l'Elysée avec les responsables de la majorité, le 28 septembre, selon les informations recueillies par franceinfo. Le président de la République a évoqué cet outil constitutionnel qui pourrait être utilisé en cas de mise en échec du gouvernement sur la réforme des retraites.
"Moi, je ne veux pas la chienlit, si une motion de censure est votée, je dissous dans la minute qui suit."
Emmanuel Macronlors d'un dîner à l'Elysée
Le lendemain, c'est au ministre du Travail de confirmer le message du chef de l'Etat. "Si toutes les oppositions se coalisaient pour adopter une motion de censure et faire tomber le gouvernement, [le président de la République] s'en remettrait aux Français et les Français trancheraient et diraient quelle est la nouvelle majorité qu'ils veulent", a affirmé Olivier Dussopt sur LCI.
Certains sont sereins, d'autres moins
Au sein de la majorité, beaucoup minorent l'importance de la menace présidentielle. Tant sur la forme que sur le fond. "Dire qu'il y a dissolution si le gouvernement est renversé par une motion de censure est d'une banalité évidente", lâche un proche du chef de l'Etat. "Ce sont des propos rapportés d'un dîner, il n'a pas fait un tweet ou une conférence de presse non plus", relève Charles Sitzenstuhl, député du Bas-Rhin. Et les parlementaires l'assurent : la dissolution n'est pas leur préoccupation du moment.
"Personne dans la majorité ne part dans l'idée que la dissolution va se faire prochainement. Sinon on n'essayerait pas de négocier avec l'opposition."
Ludovic Mendès, député de Moselleà franceinfo
"Oui, je prends des rendez-vous pour dans trois mois", sourit Eric Bothorel, son collègue des Côtes-d'Armor.
Il n'empêche : le spectre de la dissolution agite les esprits. "J'ai redit à mes militants : il faut rester dans un état d'esprit où la campagne peut redémarrer", glisse le député Horizons croisé en juillet. Mais la perspective de reprendre son bâton de candidat après une année électorale très chargée n'enthousiasme personne. "Retourner à l'élection, avec tout le stress que ça induit et le risque d'être battu...", soupire un député MoDem. "On essaye de ne pas y penser, lâche un collègue de Renaissance. Si on y pense, on va ressortir cassés en 1 000 morceaux."
Un coup de pression du président
A défaut d'y penser, les députés de la majorité tentent d'interpréter les propos d'Emmanuel Macron : à qui étaient-ils destinés ? "Chiche", a réagi Marine Le Pen. "Quand vous voulez : la Nupes est prête à vous défaire !" a lancé l'insoumise Mathilde Panot. Pour une cadre de Renaissance, la menace présidentielle visait surtout à "rappeler au PS, à LR et à tout l'arc républicain qu'ils ont des responsabilités".
Mais pour d'autres, la fuite orchestrée des propos d'Emmanuel Macron s'adresse à tout le monde. Y compris à la majorité. "Ça fait un peu crise d'autorité du président, ça nous infantilise un peu. Le message, c'est : 'Si vous n'êtes pas sages, on va vous dissoudre'", assure un député Renaissance. "L'idée, c'est vous avez intérêt à être présent, sur chaque amendement", appuie un autre député de la majorité.
Ce qui fait dire à certains que le don d'ubiquité fait désormais partie intégrante de la panoplie du député. Etre sur le terrain, en circonscription, "en campagne permanente", comme l'avait lui-même demandé Emmanuel Macron début juillet, et ne rater aucun vote en commission et dans l'hémicycle. Car avec une simple majorité relative, chaque voix compte.
"On est un peu schizophrène avec nos agendas, on essaye de se démultiplier."
Ludovic Mendès, député de Moselleà franceinfo
"Pour l'instant, ça tient", poursuit l'élu mosellan, alors que les séances publiques viennent à peine de reprendre. "Il faut être à l'Assemblée mais ne pas être dans une position où les électeurs vous disent : 'Vous nous avez oubliés, lâchés'", observe un député Horizons. En cas de dissolution, il faudra que tout soit prêt pour repartir, et vite.
A qui profiterait la crise ?
Au sein de Renaissance, les équipes du pôle élections ont d'ailleurs fait le bilan des législatives de juin et des candidats investis. Mis à part une vingtaine de changements potentiels, le parti présidentiel serait en mesure de repartir rapidement en campagne, s'il le fallait, selon une source interne. Pour autant, personne ne mise sur une dissolution prochaine. "Je n'y crois pas", assure Aurore Bergé, la présidente du groupe Renaissance.
"Je ne crois pas à l'adoption d'une motion de censure des oppositions. Personne ne veut repartir en campagne."
Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissanceà franceinfo
Dans l'opposition, Les Républicains sont les moins susceptibles de voter une motion de censure, le parti n'ayant aucun intérêt à remettre en jeu la soixantaine de sièges sauvés malgré le score catastrophique de Valérie Pécresse à la présidentielle. "Le président dit à LR : si on repart aux élections, vous êtes morts", décrypte une cadre d'Horizons. Le vote d'une motion de censure ne semble pas à l'ordre du jour du parti de droite. "Nous sommes par principe responsables. Il est hors de question d'aller ajouter du bazar dans le bazar", a ainsi affirmé le député Julien Dive sur LCP.
Mais l'ancien parti de Nicolas Sarkozy ira-t-il jusqu'à voter la réforme des retraites d'Emmanuel Macron ? "Pécresse avait dit que Macron avait copié son programme, eh bien qu'ils s'y collent", lance Eric Bothorel. "C'est LR qui a une partie de la clé, appuie Charles Sitzenstuhl. S'ils ne votent pas la réforme des retraites, ils ont perdu toute colonne vertébrale idéologique." Mais d'autres ne se font pas beaucoup d'illusions : "Les LR ne voteront jamais la réforme des retraites, ils trouveront toujours un prétexte."
Avant une éventuelle dissolution, c'est une autre prérogative de l'exécutif – le 49.3 – qui va agiter les débats dans les prochains jours. Le gouvernement pourrait y avoir recours pour passer en force dès l'examen du budget qui commence ce lundi à l'Assemblée nationale.
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