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"On est au milieu du cyclone" : secoués par la réforme des retraites, les députés LREM tentent de garder le cap

Malgré l'opposition dans la rue, les parlementaires de la majorité n'entendent pas reculer sur la réforme des retraites. Mais entre la démission de Jean-Paul Delevoye et la stratégie du Premier ministre face aux syndicats dits réformistes, ils s'interrogent.

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Des manifestants contre la réforme des retraites à Paris, le 17 décembre 2019.  (ALAIN JOCARD / AFP)

Face aux syndicats "jusqu'au-boutistes", eux aussi sont déterminés à ne rien lâcher. Les députés La République en marche contactés par franceinfo sont unanimes : pas question de renoncer à la réforme des retraites alors que la contestation ne faiblit pas. "Reculer maintenant, c'est dire : 'On ne fera rien d'ici la fin du quinquennat'", assure Sereine Mauborgne, députée LREM du Var. Son collègue de Corrèze, Christophe Jerretie, est encore plus affimatif : "Si on n'aboutit pas à cette réforme, ce sera une défaite pour le quinquennat et les gens qui nous soutiennent". Et "on est venus pour faire, donc il faut faire", glisse-t-il.

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Pourtant, au quatorzième jour de la grève illimitée contre la réforme des retraites, les indicateurs ne sont pas au beau fixe : les perturbations sont toujours très importantes dans les transports, notamment en Ile-de-France, les nouvelles manifestations qui se sont déroulées mardi 17 décembre ont réuni au moins 615 000 personnes dans tout le pays, dont 76 000 à Paris, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur (ils étaient plus de 800 000 à manifester le 5 décembre), les syndicats dits réformistes comme la CFDT, l'UNSA et la CFTC ont rejoint le mouvement et, cerise sur le gâteau, le haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye, a été contraint de démissionner lundi, après une série d'"oublis" dans sa déclaration d'intérêts.

"Les oublis fâcheux" de Delevoye

Un épisode dont les députés de la majorité se seraient bien passés. "Sa position était devenue intenable, cela portait préjudice à la réforme et cette faute est incompréhensible de la part d'un vieux loup de mer de la politique", tacle un parlementaire. "C'est un petit séisme, je ne comprends pas qu'il n'ait pas fait plus attention, soupire Sereine Mauborgne. On est au milieu du cyclone et on est obligés d'être corécipiendaires des effets de cette démission, même si on n'est pas responsables".

Beaucoup espèrent cependant qu'avec son départ du gouvernement, le feuilleton soit clos. "Cela rajoute à cet instant précis de la colère, cela empêche que le débat ait lieu dans de bonnes conditions mais ce sera anecdotique lorsque la réforme sera passée. C'est un épiphénomène", veut croire Philippe Chassaing, député de Dordogne, qui fustige néanmoins "des oublis fâcheux". Pour se consoler (et se rassurer), les élus tournent le regard du côté de leur circonscription. Et, à les entendre, les retours sont plutôt bons.

Les citoyens me disent qu'il ne faut pas lâcher la réforme des retraites, je suis surpris du soutien que l'on peut avoir.

Christophe Jerretie, député LREM de Corrèze

à franceinfo

"Des gens viennent nous dire : 'Tenez bon, ne lâchez pas.' Ils disent qu'ils ont compris qu'il faut travailler davantage", abonde Philippe Chassaing. Avec une nuance de taille tout de même : "Il y a aussi une autre frange de la population qui est plutôt radicalisée, ce sont des gens qui sont hostiles à la réforme et qui expriment la même colère que les 'gilets jaunes'". D'ailleurs, dans les sondages, les Français soutiennent globalement les grèves, même s'ils sont plus partagés sur la réforme. Selon un sondage Harris Interactive pour RTL, daté de mardi 17 décembre, 62% des Français interrogés soutiennent ainsi le mouvement social.

D'autres parlementaires, à l'image de Catherine Osson, ressentent "un peu de frustration" face "aux mensonges qui sont dits sur la réforme". "Quand on rentre en circo, on se rend compte qu'une partie du mécontentement vient du fait que les gens ne comprennent pas tout, présume cette élue du Nord. J'ai beaucoup été interpellée sur le marché de Noël sur des situations individuelles. Il faut rassurer".

La délicate question de l'âge pivot 

Même constat pour Sereine Mauborgne : "Il faut faire preuve de beaucoup de pédagogie. Si on en avait suffisamment fait, il n'y aurait pas eu les mouvements que l'on a aujourd'hui". De la pédagogie certes, mais encore faudrait-il pouvoir défendre la réforme dans sa totalité. Sur l'universalité du nouveau système et ses grands principes, l'unanimité est de mise chez les députés. "Tout le monde est d'accord pour faire la réforme, la majorité est unie", assure Christophe Jerretie. "Le groupe est plutôt serein, je n'ai pas entendu un seul député qui dise : 'Il faut arrêter'", ajoute Christophe Di Pompeo, député du Nord.

Mais lorsque l'on rentre dans le détail, un point majeur suscite des désaccords et des interrogations au sein du groupe : la fixation d'un âge pivot à 64 ans annoncée par Edouard Philippe et qui a fait totalement basculer la CFDT du côté des grévistes"La question de l'âge me chiffonne : celui qui a commencé sa carrière à 18 ans, ce n'est pas la même chose qu'à 26 ans", souligne Catherine Osson. "Il ne faut pas mélanger le systémique [uniformiser le système avec le régime à pointset le paramétrique [les mesures budgétaires] quand on réforme. Il faut faire par étape", indique Christophe Jerretie. De son côté, Christophe Di Pompeo plaide pour un maintien de l'âge légal à 62 ans : "L'âge pivot engendre des craintes qui sont légitimes". Ils sont plusieurs à se demander pourquoi cette question n'a pas été précisément laissée à l'appréciation des syndicats. 

Annoncer à l'avance que ce sera 64 ans, c'est tuer dans l'œuf cette gouvernance annoncée entre le gouvernement et les partenaires sociaux. Se retrancher derrière cette gouvernance était plus prudent.

Sereine Mauborgne, députée LREM du Var

à franceinfo

Des inquiétudes qui trouvent une résonnance chez les Français puisque, selon un sondage Odoxa-Dentsu Consulting pour franceinfo, daté du 12 décembre, 61% des personnes interrogées n'ont pas été convaincues par le discours du Premier ministre. Mais, les parlementaires de la majorité se rassurent en se disant que cette question de l'âge pivot est justement l'un des points centraux des négociations à venir avec les organisations syndicales. Edouard Philippe ne l'a-t-il pas promis lui-même ? "Si les partenaires sociaux qui croient au régime universel se mettent d'accord pour dire quel est le chemin qui permet d'arriver à l'équilibre [financier du système], la trajectoire et les instruments, je prends", a ainsi promis le chef du gouvernement, le 11 décembre, sur le plateau de TF1. 

Faire revenir la CFDT dans le camp de la réforme

Pour les députés, c'est d'ailleurs sur cet aspect de la réforme que va se jouer la sortie de crise, du moins avec les syndicats réformistes. "C'est le point pivot, si j'ose dire, pour sortir de la crise. D'ici deux ou trois jours, ça sera réglé à mon avis", assure Christophe Jerretie. "Il faut raccrocher rapidement les syndicats réformistes. On n'est pas très loin avec la CFDT, ils sont pour cette retraite à points", souligne Jean-René Cazeneuve, député du Gers. Le Premier ministre va d'ailleurs recevoir les organisations syndicales et patronales représentatives pour des réunions bilatérales mercredi, suivies d'une "multilatérale" jeudi. "Il faut que l'on trouve une porte de sortie honorable pour la CFDT, elle joue aussi sa survie, il faut qu'elle ait un impact positif sur la réforme", indique un député. 

ll faut donner du 'storytelling', que les syndicats racontent une histoire pour faire comprendre aux gens qu'ils ont gagné.

Un député LREM

à franceinfo

Et la CGT dans tout ça ? "Ce n'est pas l'objectif, de dialoguer avec la CGT", tranche un parlementaire. "M. Martinez n'a pas envie de discuter mais d'exister. Il conteste, il n'a pas envie de changer ce pays", renchérit Catherine Osson. Pourtant, la centrale syndicale, qui demande le retrait pur et simple de la réforme, a la capacité de mobiliser de manière importante, notamment chez les cheminots.

Certains députés de la majorité parient, eux, sur une usure de la grève côté cégétistes. "Ils ne vont plus tenir, affirme l'un deux. Il va y avoir une double pression : celle de l'opinion publique, avec les vacances de Noël, et une pression financière. Leurs réserves ne sont pas extraordinaires". Pour ce dernier, pas de doute : les cheminots "ne sont pas en situation de faire durer le plaisir très longtemps". Alors, en attendant le très espéré raccrochage de la CFDT, les députés LREM en sont persuadés : "Il faut tenir bon"

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