Comment l'exécutif a changé de pied sur les prix planchers réclamés par les agriculteurs

Article rédigé par Pauline Lecouvé
France Télévisions
Publié
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Le président de la République Emmanuel Macron et le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau, en visite au Salon de l'agriculture, samedi 24 février 2024. (STEPHANE ROUPPERT / NURPHOTO / AFP)
En visite au Salon de l'agriculture, Emmanuel Macron a exprimé son souhait "qu'on puisse déboucher véritablement sur ces prix planchers" afin de protéger les revenus des agriculteurs. La Confédération paysanne a salué "une petite révolution".

Après que des heurts ont éclaté à l'arrivée d'Emmanuel Macron au Salon de l'agriculture, le président de la République a fait plusieurs annonces samedi 24 février pour répondre à la colère des agriculteurs, qui restent mobilisés depuis plusieurs semaines après d'importants blocages à travers la France. Parmi les promesses faites par Emmanuel Macron pour calmer la situation : un plan de trésorerie d'urgence, une extension du "droit à l'erreur" et l'instauration de prix planchers dans chaque filière.

Cette dernière mesure, qui consiste à fixer un prix minimum pour certains produits afin de garantir la rémunération des agriculteurs, était réclamée de longue date par la Confédération paysanne, mais l'exécutif s'y opposait fermement jusqu'alors. Franceinfo revient sur les revirements du gouvernement sur la question des prix planchers avant de finalement promettre leurs mises en place.

1 La majorité s'y oppose

La proposition d'instaurer des prix planchers n'est pas nouvelle. La Confédération paysanne, syndicat d'agriculteurs marqué à gauche, et les groupes politiques de gauche portent cette revendication depuis plusieurs années. "Ça fait maintenant treize ans que cette proposition est sur la table", a regretté le sénateur communiste Ian Brossat sur franceinfo. Le groupe PCF proposait déjà en 2011 l'instauration de prix planchers à l'Assemblée nationale, a-t-il souligné. A l'époque, le gouvernement d'Emmanuel Macron n'était pas au pouvoir, mais la proposition n'a pas manqué d'être renouvelée depuis 2017.

En avril 2018, "dans le cadre de l'examen de la loi Egalim, nous avons défendu par amendement l'instauration de prix planchers", a rappelé Manuel Bompard, le coordinateur de La France insoumise, sur X. Et le texte avait été rejeté alors que le gouvernement d'Emmanuel Macron disposait de la majorité absolue à l'Assemblée. Une proposition renouvelée en novembre 2023 par le député insoumis, mais à nouveau rejetée. "Il a manqué six voix pour la voter, les macronistes et Les Républicains ayant tout fait pour s'y opposer", a regretté Manuel Bompart.

2 Le ministre de l'Agriculture juge la mesure "démagogique"

Interrogé sur franceinfo en pleine vague de blocages, Marc Fesneau s'était formellement opposé à l'instauration de prix planchers sur les produits agricoles, dénonçant une "proposition démagogique". "Fixer une obligation de prix plancher sur les prix agricoles français [alors] qu'on ne peut pas le faire sur les prix des autres pays, qu'est-ce que ça fait ? Ça vient mettre en concurrence déloyale les produits agricoles français !" dénonçait-il.

Le ministre de l'Agriculture estimait même que l'instauration de prix planchers serait contre-productive. "Si c'était aussi simple que ça de dire moi je mets le kg de tomates à 10 euros en France pour payer les agriculteurs mais qu'à l'arrivée on a des tomates à 3 euros, vous croyez qu'il va se passer quoi ?", illustrait-il, arguant que les agriculteurs français seraient désavantagés sur le marché, face à des prix moins chers à l'étranger.

3 Emmanuel Macron annonce leur mise en place

Quelques semaines plus tard, après avoir été chahuté à son arrivée au Salon de l'agriculture, Emmanuel Macron a annoncé samedi 24 février être favorable à la mise en place de prix planchers sur les produits agricoles. "L'objectif que je fixe aux travaux qui ont été lancés par le Premier ministre et ses ministres, et en particulier les travaux parlementaires, c'est qu'on puisse déboucher sur véritablement ces prix planchers qui permettront de protéger le revenu agricole et de ne pas céder à toutes les pratiques les plus prédatrices qui aujourd'hui sacrifient nos agriculteurs et leurs revenus", a affirmé le président à la sortie d'un entretien avec des responsables syndicaux.

"Poser le mot sur le concept de prix plancher est déjà une petite révolution", a salué Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne. "Ce prix plancher va être construit par filière. Du coup, ça va être tiraillé entre producteurs et l'aval. On fera attention", ajoute-t-elle. Certains économistes restent également suspicieux face à l'annonce d'Emmanuel Macron. "Promettre des prix planchers sans réexaminer les accords de libre-échange est une promesse en l'air", estime l'économiste Maxime Combes.

"Tant que vous laissez la concurrence internationale tirer les prix vers le bas, mettre en place des prix planchers en France est totalement vain, car les centrales d'achat de la grande distribution n'hésiteront pas à se fournir à l'étranger pour y échapper."

Maxime Combes, économiste

à franceinfo

Le spécialiste rappelle par ailleurs que les prix planchers sont considérés par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) comme de la distorsion de concurrence, ce qui fait planer de sérieux doutes sur la mise en place effective d'un tel dispositif par la France.

4 Marc Fesnau se défend d'avoir changé d'avis

Interviewé sur CNews, dimanche 25 février, Marc Fesneau s'est défendu d'avoir changé d'avis sur les prix planchers. Confronté à ses propos tenus en janvier sur franceinfo, le ministre de l'Agriculture a maintenu son opposition vis-à-vis de la proposition de loi insoumise sur les prix planchers, qu'il continue de juger "soviétique". Selon lui, la proposition du président de la République d'instaurer des prix planchers est totalement différente car elle vise à "construire un prix basé sur les coûts de production".

Pour mettre en place cette politique, le ministre de l'Agriculture concède toutefois "qu'une évolution du cadre européen" est nécessaire, mais appelle les Français à faire confiance à la "capacité de persuasion de la France" vis-à-vis des autres pays membres de l'Union européenne. "Ce n'est pas parce que le combat est difficile qu'il faut renoncer au combat", argumente Marc Fesneau, qui rappelle que la France était pionnière en Europe sur les lois Egalim.

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