Colère des agriculteurs : quelles concessions ont-ils déjà obtenues du gouvernement, et que demandent-ils encore ?

Le gouvernement a déjà annoncé plusieurs mesures de soutien économique et de simplification administrative. Mais les organisations professionnelles réclament d'aller plus loin.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Un tracteur lors d'une manifestation de producteurs laitiers près de l'Ecole militaire à Paris, le 13 février 2024. (LUDOVIC MARIN / AFP)

"On ne fera pas retomber la pression aussi longtemps que les engagements [du gouvernement] ne seront pas tenus", a prévenu le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, sur RTL, jeudi 15 février. A quelques jours du Salon de l'agriculture, le souvenir des mobilisations nationales massives dans la profession, fin janvier, est encore dans tous les esprits. Les barrages ont été levés début février après une série d'annonces, et sous condition du respect d'une liste d'exigences supplémentaires, mais certains estiment que leur concrétisation est trop lente. Qu'est-ce que les agriculteurs ont déjà obtenu ? Et que demandent-ils encore ? Franceinfo fait le point.

Ce que les agriculteurs ont déjà obtenu

Parmi les principales annonces de Gabriel Attal, un ensemble d'aides financières d'urgence pour un montant total de 400 millions d'euros. Elles sont réparties notamment entre les éleveurs (150 millions d'euros en soutien fiscal et social), les viticulteurs (un fonds d'urgence quadruplé pour atteindre 80 millions d'euros), et la filière bio (50 millions d'euros), entre autres.

Le Premier ministre a annoncé un renforcement des lois Egalim, qui visent à protéger les revenus des agriculteurs. Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a dit avoir identifié 124 contrats, signés entre industriels et distributeurs, qui ne respectent pas ces lois et envoyé des injonctions à ces entreprises.

Pour attirer les jeunes, le gouvernement a également annoncé la réduction des droits de succession en relevant les seuils d'exonération. Une autre mesure financière très réclamée concernait le gazole non routier (GNR), le carburant utilisé par les véhicules agricoles. Le gouvernement a abandonné la hausse prévue de la taxe sur ce carburant et promis que l'avantage fiscal dont les agriculteurs bénéficient serait appliqué dès la livraison, sans avoir besoin de demander un remboursement après coup, à partir de juillet.

Le Premier ministre a aussi promis dix mesures immédiates de "simplification administrative", pour accélérer par exemple les procédures pour le curage des cours d'eau, la construction de bâtiments d'élevage ou de projets de stockage d'eau. Il s'est engagé à mettre "fin au régime d'exception pour les délais de recours contre les projets agricoles", ainsi qu'à "supprimer un niveau de juridiction" dans les procédures concernant des agriculteurs, citant notamment les litiges concernant les retenues d'eau ou les bâtiments agricoles.

En déplacement dans la Marne, jeudi, Gabriel Attal a précisé qu'"une soixantaine d'arrêtés préfectoraux" avaient déjà été "modifiés ou abrogés". Le Premier ministre a aussi accepté le principe d'un point mensuel avec les syndicats pour suivre l'application de la volonté de simplification normative. Des réunions "ont eu lieu dans toutes les préfectures de département" pour "faire remonter les propositions de simplification" d'arrêtés, a précisé le cabinet du ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau.

Les normes de réduction des pesticides, elles aussi, étaient prises pour cible par certains syndicats. Gabriel Attal a déjà annoncé la suspension provisoire du plan Ecophyto, qui vise une réduction de moitié de l'utilisation des pesticides d'ici à 2030, "le temps de mettre en place un nouvel indicateur".

De nombreux agriculteurs réclamaient également des mesures au niveau international, avec un allègement des règles européennes et la protection contre la "concurrence déloyale" étrangère. La Commission européenne a déjà adopté une exemption partielle des règles de jachère pour 2024. Le gouvernement a également rappelé l'opposition de la France à l'accord commercial en cours de négociation entre l'UE et les pays latino-américains du Mercosur.

Ce que les agriculteurs demandent encore

Si cet ensemble d'annonces a été salué par les organisations professionnelles, beaucoup estiment qu'elles ne vont pas assez loin. La Coordination rurale a par exemple dénoncé les conditions complexes d'accès aux indemnisations promises et réclame "l'assurance qu'on ne laisse personne sur le bord de la route". Elle demande aussi d'aller plus loin au sujet des taxes sur le GNR et des droits de succession : dans les deux cas, elle plaide pour leur suppression pure et simple.

Pour aller plus loin que l'application des lois Egalim, la Confédération paysanne a appelé à inscrire dans la loi "l'interdiction des transactions sous le prix de revient, c'est-à-dire les coûts de production, la rémunération et la protection sociale".

Le président de la FNSEA, le syndicat majoritaire, a réclamé des détails sur le "grand plan" pour l'élevage annoncé par le gouvernement, estimant qu'"on ne peut pas parler de souveraineté alimentaire et voir les importations de viande bovine continuer à augmenter" en France.

Certaines catégories d'exploitants s'estiment par ailleurs lésées par les annonces. Des éleveurs de moutons se sont rassemblés mardi devant le ministère de l'Economie, estimant être "les grands oubliés de l'exception agricole" alors que les aides d'urgence aux éleveurs "concernent surtout les bovins". Dans le même temps, des producteurs de lait ont manifesté entre l'Assemblée nationale et la tour Eiffel, réclamant une meilleure rémunération.

A l'international aussi, les agriculteurs réclament davantage. La Confédération paysanne demande à la France "l'arrêt des négociations des traités de libre-échange". "Il faut que les produits importés soient soumis aux mêmes normes" que les produits français, a une nouvelle fois avancé le patron de la FNSEA, Arnaud Rousseau. Beaucoup souhaitent l'adoption d'un "Egalim européen", pour éviter que les industriels n'utilisent la concurrence européenne pour payer les producteurs français moins cher.

Les normes contre l'usage de pesticides sont aussi dans le viseur de la plupart des organisations. La Coordination rurale demande que la France "obtienne la renégociation immédiate de la PAC [Politique agricole commune]", qui conditionne le paiement des aides à certaines normes environnementales. "L'écologie, c'est nous qui la faisons dans nos champs, on a déjà fait plein d'efforts. Laissez-nous produire", déclare sa coprésidente Karine Duc. La Confédération paysanne, à contre-courant, demande un "accompagnement fort pour la transition agroécologique" et la réaffirmation "indispensable" d'une trajectoire ambitieuse de réduction des pesticides.

Si les organisations syndicales continuent donc de demande de nouvelles annonces, leur discours porte également sur l'application stricte et rapide des promesses faites par le gouvernement pour obtenir la levée des barrages. Elles espèrent "un calendrier clair" pour l'application des mesures, et un "changement de logiciel". Des messages que la Coordination rurale et la Confédération paysanne ont pu transmettre à Emmanuel Macron, qui les a reçues séparément à l'Elysée mercredi. Le président de la République doit encore s'entretenir avec la FNSEA avant l'ouverture du Salon de l'agriculture.

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