Cinq questions sur le gazole non routier, le carburant dont le prix alimente la colère des agriculteurs

Vendredi, le Premier ministre, Gabriel Attal, a annoncé renoncer à la réforme de la fiscalité sur le GNR, qui prévoyait l'abandon progressif d'une aide fiscale sur ce carburant.
Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Des agriculteurs manifestent à Nantes (Loire-Atlantique), le 25 janvier 2024. (LOIC VENANCE / AFP)

Une première réponse aux inquiétudes des agriculteurs. Sommé d'apporter des solutions rapides à la colère qui traverse le monde agricole, le Premier ministre, Gabriel Attal, s'est rendu chez un éleveur en Haute-Garonne, vendredi 26 janvier, et a annoncé que l'Etat renonçait finalement à la hausse de la fiscalité sur le gazole non routier (GNR). La remise de taxe dont bénéficient les agriculteurs s'appliquera dès l'achat plutôt qu'a posteriori, "d'ici à l'été", a également promis le nouveau chef du gouvernement.
 

Très attendue par les manifestants, cette décision intervient alors que la niche fiscale dont bénéficient les agriculteurs sur ce carburant avait été revue à la baisse une première fois au 1er janvier. Après ce coup de rabot initial, la fiscalité sur le GNR devait progressivement se rapprocher de celle des autres carburants d'ici à 2030. Un effort de trop pour les agriculteurs, qui dénoncent, entre autres, le poids grandissant des charges sur leur trésorerie. Franceinfo se penche sur "le rouge", ce gazole qui fait tourner les tracteurs et illustre les difficultés économiques des agriculteurs.

1 Qu'est-ce que le GNR ?

Le GNR est similaire au gazole livré dans les stations-service. Mais contrairement à celui que les Français utilisent pour faire le plein de leurs voitures, il est destiné aux véhicules non routiers : les tracteurs agricoles et forestiers ainsi que les engins de travaux publics, tel que les bulldozers, les pelleteuses ou encore les chasse-neige.

Dans le texte de loi qui impose le GNR à ces engins, en 2011, sa composition est décrite comme "un mélange d'hydrocarbures d'origine minérale ou de synthèse et éventuellement d'esters méthyliques d'acides gras". S'il produit des gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement climatique, il est moins polluant que le fioul domestique utilisé autrefois dans les machines, notamment parce qu'il contient moins de soufre et peut être agrémenté d'une pointe de biocarburant.

Une petite nuance le distingue du gasoil disponible la pompe : sa couleur rouge, obtenue par addition d'un gramme de colorant par hectolitre. Celle-ci est liée à une autre particularité : le GNR, réservé à certains professionnels, est moins taxé que le carburant traditionnel. Sa coloration, qui persiste longtemps dans le filtre à gazole des véhicules, permet aux autorités de contrôler qu'il n'est pas utilisé frauduleusement par des automobilistes. 

2 Comment son prix a-t-il alimenté la colère des agriculteurs ?

Le prix du litre de GNR s'élevait à 1,22 euro en moyenne fin 2023. Il a considérablement augmenté ces dernières années, et a même doublé entre 2020 et 2022. "C'est quelques centaines d'euros qui partent tous les jours", résume à France 3 Aquitaine Sébastien Dégris, agriculteur en bio dans la Vienne. Montant du plein du jour pour lui ? Près de 250 euros pour 200 litres. Face à de tels coûts, certains de ses confrères "se posent la question d'arrêter carrément", témoigne-t-il. Car si les prix des carburants en général ont augmenté, notamment en raison de la guerre en Ukraine, les consommateurs de GNR viennent en outre de voir une aide de l'Etat diminuer.

Annoncée en septembre par le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, la réduction de l'aide allouée aux agriculteurs est entrée en vigueur le 1er janvier. Des négociations menées en juin par le premier syndicat agricole, la FNSEA, ont permis de conserver une partie de cet avantage fiscal – qui coûte 1,3 milliard d'euros par an aux finances publiques, selon Bercy –, d'étaler sa baisse sur plusieurs années, et d'obtenir que les recettes supplémentaires ainsi générées pour l'Etat servent à financer la transition écologique des agriculteurs.

Jusqu'alors, les agriculteurs bénéficiaient d'un double coup de pouce : une TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) moins élevée que dans d'autres secteurs, à laquelle s'ajoutait la possibilité d'être en partie remboursé du montant de cette taxe, à condition d'en faire la demande au moment de remplir sa déclaration d'impôt, factures à l'appui.

En 2023, le taux de la TICPE s'élevait pour les agriculteurs à 3,86 centimes d'euro par litre. En 2024, le montant de la taxe est passé à 6,71 centimes par litre, avant d'autres hausses prévues chaque année, jusqu'à la disparition totale de l'avantage fiscal, prévue à l'horizon 2030. 

Depuis le début du mouvement, les agriculteurs réclamaient le maintien de cette niche fiscale. Lundi, après une entrevue avec le Premier ministre, Arnaud Rousseau avait évoqué la possibilité que les agriculteurs puissent bénéficier d'une remise "immédiatement", au lieu d'avoir à faire la demande via un formulaire. "Près de 35% des agriculteurs ne demandent pas ce remboursement qui leur est dû", a-t-il affirmé. Vendredi, Gabriel Attal a promis que ce serait le cas "d'ici à l'été".

3 Comment le gouvernement avait-il préparé la fin de la niche fiscale sur le GNR ?

"Nous supprimerons la niche fiscale sur le gazole non routier tout simplement pour faire basculer notre fiscalité d'une fiscalité brune – c'est une fiscalité qui incite à consommer des énergies fossiles, donc c'est mauvais pour le climat – à une fiscalité qui valorise les investissements verts", avait justifié, en septembre, le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire.

"On a notre part à prendre pour la décarbonation, mais ce qui a été entendu, dans l'esprit des paysans, c'est 'la niche doit disparaître'", avait réagi le président de la FNSEA, reçu par le président de la République, Emmanuel Macron. "Cela nécessite que ce soit très largement nuancé et que ce soit comblé", déclarait-il alors, précisant que toute disparition de cette aide serait "un casus belli" pour le syndicat. 

"L'objectif, c'est qu'aucun agriculteur ne soit perdant et que l'argent lié à [la diminution de] cette défiscalisation revienne à l'agriculture, pour aider à la transition", précisait quelques jours plus tard le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, au micro de Public Sénat. "Le GNR c'est 1,3 milliard [pour les finances publiques], il est proposé de réduire cette année [cet avantage] de 5%, c'est-à-dire de 70 millions, et que ça retourne à l'agriculture", avait-il ajouté.

4 Quelle place tient le GNR dans les émissions de gaz à effet de serre des agriculteurs ?

En France, l'agriculture représente 19% des émissions totales de gaz à effet de serre, ce qui en fait le deuxième secteur le plus émetteur, derrière les transports. Mais ce sont surtout les émissions de méthane (dues à la digestion des bovins) et de protoxyde d'azote (liées aux engrais) qui plombent les émissions du secteurAinsi, un tract distribué lors d'une action de la FDSEA de l'Aveyron et des Jeunes agriculteurs (JA), le 28 septembre, argumentait qu'une taxation du GNR n'aurait "aucun effet sur la consommation de gazole non routier, ni sur son impact carbone." 

Pour le Haut Conseil pour le climat, qui a publié le 25 janvier un rapport visant à "accélérer la transition climatique avec un système alimentaire bas carbone, résilient et juste", le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre lié à l'abandon des énergies fossiles pour faire fonctionner les engins agricoles dans l'Hexagone s'élèverait toutefois à 1,6 Mt d'équivalent CO2 par an. Une baisse significative, supérieure à celle estimée par la réduction de la consommation d'énergie fossile pour le chauffage des bâtiments d'élevage (0,3 Mt éqCO2 par an), mais moindre que le potentiel du développement de la méthanisation, c'est-à-dire la production de biogaz à partir de déchets et résidus agricoles (5,8 Mt éqCO2 par an). 

5 Existe-t-il une alternative au GNR ?

Les agriculteurs le répètent : impossible pour eux de faire tourner leurs machines sans GNR. Le Haut Conseil pour le climat estime pourtant, dans son dernier rapport, qu'"une conversion du parc vers d'autres énergies (biodiesel, bioGNV, électricité, hydrogène) nécessiterait une mise en œuvre le plus tôt possible", soulignant qu'"une grande partie des tracteurs achetés actuellement seront encore utilisés à l'approche de 2050." 

Fin octobre, les producteurs de biocarburants et les représentants de l'agriculture et du BTP ont entamé une réflexion sur le développement de ces énergies alternatives. Dans le courant de l'année 2024, "nous créerons administrativement un nouveau carburant décarboné pour les usages non routiers, le 'GNR XTL'", avait déclaré à l'issue d'une réunion à Bercy la ministre de la Transition énergétique d'alors, Agnès Pannier-Runacher. A terme, les prix de ces nouvelles solutions "convergeront vers le bas" tandis que "ceux des énergies fossiles s'envoleront", espérait-elle. Quant à l'hydrogène, il reste une hypothèse lointaine, signalait un rapport publié en décembre 2022 par le CGAAER, boîte à idées interne au ministère de l'Agriculture.

Selon le Haut Conseil pour le climat, les biocarburants dits de "première génération", tels que le bioéthanol et le biodiesel, ne sont "pas à privilégier", en raison des vastes surfaces agricoles nécessaires à leur production. Les experts recommandent de développer des biocarburants "obtenus à l'avenir à partir de résidus de cultures, ou de cultures intermédiaires", pour que "leur production [n'entre] pas en compétition avec les surfaces des cultures alimentaires."

En attendant cette transformation, le Haut Conseil pour le climat relève toutefois que, comme pour une voiture ordinaire, il est possible de faire quelques économies sur le coût du GNR en mettant en place des mesures simples : réaliser "un diagnostic moteur, ainsi que l'écoconduite, contribuent à réduire les émissions de l'ordre de 1 à 2 Mt éqCO2 par an".

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