Crédits immobiliers, épargne, investissement... Ce que peut changer la légère baisse des taux d'intérêt directeurs de la Banque centrale européenne

Cette première diminution des taux depuis 2019 et le début de la crise inflationniste il y a deux ans devrait avoir des effets positifs pour les emprunteurs privés et les entreprises, mais pas forcément à court terme.
Article rédigé par Luc Chagnon
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Le siège de la Banque centrale européenne (BCE), à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), le 11 avril 2024. (KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP)

Un premier assouplissement après deux ans de durcissement de la politique monétaire en zone euro. La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé une baisse de ses taux d'intérêt directeurs, jeudi 6 juin. Le taux d'intérêt principal, qui détermine à quel prix les banques commerciales peuvent se refinancer auprès de la BCE, passera de 4% à 3,75% à partir du 12 juin. Quels impacts concrets cette baisse va-t-elle engendrer sur le quotidien des ménages et des entreprises ? Eléments de réponse.

Des taux sur les crédits immobiliers (très légèrement) en baisse

"Une baisse des taux directeurs fait diminuer le 'coût de l'argent'", résume pour franceinfo Stéphanie Villers, économiste spécialiste de la zone euro à PwC France. Les banques commerciales pourront donc accorder plus facilement des crédits, et à des conditions plus avantageuses. Avec la baisse des taux, elles pourront se refinancer plus facilement auprès de la BCE, comme c'était le cas avant que l'institution n'entame un resserrement de sa politique monétaire sans précédent en juillet 2022 (dix hausses de taux successives) pour contrer une inflation galopante.

Cette baisse des taux pourrait donc permettre une augmentation de l'octroi de crédits immobiliers, avec des taux plus bas. "Le taux immobilier va continuer à s'assouplir", comme c'est déjà le cas ces derniers mois, anticipe Stéphanie Villers, qui rappelle qu'"on était montés très haut" : le taux moyen d'un nouveau prêt immobilier avait atteint 4,17% (hors assurance) en janvier 2024, le taux le plus élevé depuis près de dix ans, selon la Banque de France. Il a déjà commencé à redescendre depuis ce pic, selon les chiffres de l'institution, et "on peut s'attendre d'ici la fin de l'année à une baisse du taux immobilier de 1 point de pourcentage par rapport au point haut, si le marché est rassuré", estime l'économiste.

Mais cette baisse des taux d'intérêt devrait être limitée, car "les banques sont généralement plus enclines à répercuter sur leurs consommateurs une hausse du coût de l'argent qu'une baisse", analyse de son côté Jezabel Couppey-Soubeyran, économiste et maîtresse de conférences à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle rappelle qu'il n'y a pas nécessairement de lien automatique entre les taux directeurs de la BCE et les taux d'intérêt auxquels les banques prêtent : "Les liquidités de la banque centrale ne servent qu'aux échanges entre elle et les banques, ou aux banques entre elles".

"C'est en faisant crédit aux autres agents économiques que les banques commerciales créent la monnaie, et elles décident du taux d'intérêt qu'elles appliquent."

Jezabel Couppey-Soubeyran, économiste

à franceinfo

La baisse des taux directeurs de la BCE pourrait donc ne pas avoir d'effet marqué sur la relance de la demande de crédits, et le marché de l'immobilier au sens large. "Je pense plutôt que les Français attendent une baisse des prix [des biens immobiliers], et je crains que cette baisse des prix ne vienne pas vraiment", estimait d'ailleurs en mai sur franceinfo Daniel Baal, président du Crédit Mutuel alliance fédérale.

Des livrets d'épargne aux taux stables (pour l'instant)

La baisse des taux directeurs de la BCE peut aussi rendre les livrets d'épargne moins rentables. Le taux d'intérêt du livret A est par exemple déterminé par plusieurs variables économiques qui suivent en partie les taux de l'institution basée à Francfort (Allemagne), comme l'évolution de l'inflation et le taux auquel les banques se prêtent entre elles, explique le ministère de l'Economie. Mais il est fixé par l'Etat en dernière instance, et "Bruno Le Maire avait promis qu'il resterait à 3% jusqu'à janvier 2025", rappelle Stéphanie Villers.

La baisse des taux directeurs n'aura donc pas d'impact à court terme sur le placement privilégié des Français, ni sur le Livret de développement durable et solidaire (LDDS), qui rémunère l'épargne au même taux de 3%. Mais ces taux pourraient donc baisser en 2025, si l'on s'en tient à la formule de calcul.

De meilleures perspectives pour l'investissement des entreprises

Grâce aux marges de manœuvre élargies des banques, les entreprises pourront, elles aussi, emprunter plus facilement et à de meilleures conditions, pour se refinancer ou pour investir. "Cette baisse de taux est un très bon signal adressé aux entreprises, qui étaient dans une période un peu attentiste" , analyse Stéphanie Villers.

"Elles avaient souffert de la faiblesse de la consommation l'année dernière et, depuis le début d'année, on voit que les ménages dépensent davantage, rappelle l'experte. Donc si les taux sont aussi amenés à s'assouplir, c'est une bonne nouvelle pour l'investissement." Une bonne nouvelle dont l'effet pourrait être largement psychologique.

"Les banques centrales sont très attentives aux anticipations que font les autres acteurs économiques, et elles essaient de les influencer."

Jezabel Couppey-Soubeyran, économiste

à franceinfo

"Même si la baisse annoncée des taux directeurs est faible, si on anticipe qu'ils vont continuer de baisser, on peut penser que les acteurs économiques vont pouvoir davantage emprunter, acheter, et que l'économie va être plus dynamique, détaille Jezabel Couppey-Soubeyran. Il sera donc plus facile de rentabiliser des investissements maintenant pour répondre à la demande future."

Les placements risqués (très légèrement) plus rentables

En revanche, pour les investisseurs, une baisse des taux directeurs favorise en général une hausse du prix des actifs, de l'immobilier aux actions. "Quand le prix de l'argent baisse, on peut s'endetter davantage pour investir dans l'économie réelle, mais aussi pour acheter des titres dans des perspectives plus ou moins spéculatives, explique Jezabel Couppey-Soubeyran. Et plus la demande de titres est élevée, plus leur prix augmente."

Mais là aussi, "les marchés anticipent déjà majoritairement une baisse des taux de la BCE dans leurs décisions de prix, estime Stéphanie Villers. La confirmation du consensus ne changera pas fondamentalement les choses."

Des effets suspendus à d'autres décisions

"Cette baisse, à elle seule, n'aura pas d'effet majeur pour les entreprises ou les ménages", estime Stéphanie Villers. Déjà, parce que son ampleur est très limitée. "L'assouplissement va être extrêmement progressif, c'est seulement 0,25 point. Et s'il continue, ce sera sur le long terme." Une analyse confirmée par la BCE, qui insiste bien dans son communiqué qu'elle "ne s’engage pas à l’avance sur une trajectoire de taux particulière" et qu'elle "maintiendra une approche s’appuyant sur les données, réunion par réunion, pour déterminer de manière appropriée le degré et la durée de cette orientation restrictive".

Cette progressivité doit notamment éviter de faire repartir l'inflation qui, à 2,2% sur un an en mai, est toujours au-dessus de l'objectif de 2% visé par la BCE. Or, une baisse des taux d'intérêt risque de favoriser la croissance, mais aussi la hausse des prix, par exemple en facilitant les prêts et donc les achats ou les investissements. "La BCE est prudente", insiste Stéphanie Villers.

"La BCE explique qu'au vu de la stabilisation de l'inflation, il y a moins besoin de maintenir des taux élevés. Mais il n'y a pas de raison de les baisser fortement non plus."

Jezabel Couppey-Soubeyran, économiste

à franceinfo

Et par ailleurs, les marchés ne scrutent pas uniquement les annonces de la BCE avec attention. "L'autre référence mondiale, c'est la Fed, la Banque centrale américaine" , rappelle Stéphanie Villers.

"Pour que les marchés financiers intègrent l'idée qu'on entre dans une période d'assouplissement monétaire, il faut attendre la décision de la Fed."

Stéphanie Villers, économiste

à franceinfo

"La Fed a laissé entendre qu'elle n'envisageait pas de baisse de ses taux avant l'automne", rappelle la spécialiste. Pour que le contexte mondial soit officiellement plus favorable à l'activité, avec des conséquences plus visibles sur les crédits, l'investissement ou les placements, il faudra donc attendre au moins quelques mois.

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