On vous explique ce qu'est la cinquième branche de la Sécurité sociale que le gouvernement propose de créer
Cette nouvelle branche couvrirait les risques liés à la dépendance et à la perte d'autonomie. Dans deux projets de loi, transmis aux partenaires sociaux mardi, le gouvernement constate la hausse des besoins pour la prise en charge des personnes âgées.
Faire face aux dépenses croissantes liées à la perte d'autonomie des personnes âgées. C'est l'objectif du gouvernement, qui va proposer la création d'une cinquième branche de la Sécurité sociale, indiquent deux projets de loi, organique et ordinaire, relatifs à la dette sociale, envoyés mardi 19 mai aux partenaires sociaux, et consultés par plusieurs médias dont Les Echos et l'AFP.
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Dans ces deux textes, le gouvernement tire les conséquences de la crise du coronavirus, qui remet en lumière le besoin d'améliorer la prise en charge des personnes âgées. Reste que le financement d'une nouvelle branche au sein du système de protection sociale pourrait virer au casse-tête. Franceinfo fait le point sur ce projet.
Qu'est-ce que ça signifie, une cinquième branche ?
Le fonctionnement de la Sécurité sociale s’articule autour de dépenses et de recettes, réparties dans différentes branches. Du côté des recettes, la branche recouvrement est chargée de collecter l'ensemble des cotisations et contributions de Sécurité sociale auprès des entreprises, particuliers, etc.
La cinquième branche proposée par le gouvernement viendrait s'ajouter aux quatre déjà existantes pour gérer les dépenses liées à plusieurs risques. La branche maladie couvre ainsi les frais d'hospitalisations, de consultations médicales ou le remboursement des médicaments. Une deuxième branche gère le versement des pensions de retraite ou de veuvage ainsi que le minimum vieillesse. La troisième couvre les maladies professionnelles et les accidents du travail. Enfin, la branche famille aide les ménages dans leur vie quotidienne et épaule les personnes les plus vulnérables. C'est celle dont dépendent notamment les allocations pour le logement (APL) et le revenu de solidarité active (RSA).
Le gouvernement réfléchit donc à faire des risques liés à la perte d'autonomie des personnes âgées et au handicap une branche à part entière de la Sécurité sociale. Pour l'heure, la dépendance est déjà prise en charge, mais elle "n'apparaît que comme un sous-objectif de dépenses de santé", rapportent Les Echos. La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), qui gère les fonds consacrés à la dépendance et au handicap, a des pouvoirs plus limités que la Caisse nationale d'Assurance-maladie, qui elle a la main sur l'ensemble de la chaîne des financements, une fois votés par le Parlement, détaille le quotidien économique.
Pourquoi créer une branche consacrée à la dépendance ?
Cette cinquième branche permettrait d'anticiper une hausse des dépenses liées à la prise en charge des personnes âgées dépendantes. Celles-ci représentent 30 milliards d’euros par an, soit 1,4% du produit intérieur brut (PIB), selon un rapport (lien PDF) remis en mars 2019 par Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFPS). Elles comprennent principalement les frais liés aux soins de santé, à l'aide à la prise en charge spécifique de la perte d’autonomie ou encore à l’hébergement en établissement. Près de 80% de ces dépenses sont actuellement financées par les pouvoirs publics via la Sécurité sociale ou par les collectivités territoriales, entre autres. Toutefois, quelque 6 milliards d’euros restent à la charge des ménages.
Or, ces dépenses vont encore considérablement augmenter dans les prochaines années. Elles pourraient même atteindre 2,78% du PIB de la France, soit le double d'aujourd'hui, selon des projections réalisées par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), remises en 2014 (lien PDF). Le rapport Libault mentionne de son côté que le financement du secteur du grand âge aura besoin de 6,2 milliards d'euros supplémentaires en 2024, et de 9,2 milliards en 2030.
Un bond dû au vieillissement des générations du baby-boom. En 2040, 14,6 % de la population aura plus de 75 ans, contre 9,1% en 2015, soit une hausse de 5,5 points en vingt-cinq ans, projette le rapport Libault. A titre de comparaison, sur un laps de temps équivalent, la part des 75 ans ou plus a augmenté de 2,5 points entre 1990 et 2015.
Outre ces données, la crise du Covid-19, qui affecte particulièrement les personnes âgées, a remis en lumière les difficultés du secteur et "les limites de notre système de prise en charge des personnes âgées", indiquent les deux projets de loi. Les professionnels des maisons de retraite et de l’aide à domicile ont d'ailleurs rappelé l’engagement d’Emmanuel Macron sur une réforme "grand âge", plusieurs fois reportée.
Concrètement, on ne sait pas encore précisément comment fonctionnerait cette nouvelle branche. Impossible, pour l'heure, de dire si elle pourrait déboucher sur la création de nouvelles aides ou sur une revalorisation des dispositifs actuels.
Est-ce un projet inédit ?
Loin de là. L'Association des accidentés de la vie a d'ailleurs accueilli "avec prudence" la création d'un cinquième risque, "maintes et maintes fois" annoncée, écrit-elle dans un communiqué, publié mercredi.
En avril 2018, lors d’une interview télévisée, Emmanuel Macron avait déjà évoqué la création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale consacrée à la dépendance. Elle devait permettre d'améliorer le financement des maisons de retraite, des Ehpad, qui sont de plus en plus médicalisés, mais aussi des soins aux plus âgés.
En 2007, Nicolas Sarkozy en avait même fait une promesse de campagne. Plusieurs fois repoussée, la réforme avait finalement été définitivement enterrée en 2012, faute de solution sur le financement.
Comment financer cette nouvelle branche ?
C'est la question cruciale. Les projets de loi du gouvernement prévoient le financement de la dépendance en réorientant, à partir de 2024, 0,15 point de la contribution sociale généralisée (CSG), soit 2,3 milliards d'euros, depuis la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), organisme chargé d'éponger les dettes de la Sécurité sociale, vers la CNSA. C'est près de 4 milliards de moins que les besoins estimés pour 2024 par le rapport Libault, comme l'explique Le Monde (article payant).
Il va falloir chercher d’autres sources de financement. Le gouvernement en est très conscient mais c’est un signal positif que d’ouvrir ce dossier.
Dominique Libault, président du HCFPSau Monde
En 2018, Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, avait également évoqué l'éventualité d'instaurer un deuxième jour férié travaillé, comme le lundi de Pentecôte, pour financer cette cinquième branche. Mise en place en 2004, cette journée de solidarité contribue déjà à financer la prise en charge des personnes âgées ou handicapées. En 2019, elle a rapporté près de 2,9 milliards d'euros, rapporte la CNSA, dans un communiqué (en PDF).
"Une deuxième journée de solidarité ?", une "piste intéressante" pour Emmanuel Macron #MacronBFMTV pic.twitter.com/iHaIM3lM38
— BFMTV (@BFMTV) April 15, 2018
Henri Sterdyniak, économiste à l'OFCE, estime qu'il est aussi possible d'imaginer la création d'un nouveau prélèvement spécifique, sur les retraites, les salaires ou les revenus du capital. "Il s'agit d'un choix politique délicat", tempère-t-il cependant dans La Croix. D'autant que le gouvernement a déjà augmenté la CSG en janvier 2018, rappelle Henri Sterdyniak. Cette hypothèse parait donc difficile à mettre en place.
Dans quels délais pourrait-elle voir le jour ?
Le gouvernement dit vouloir "mener les travaux conduisant à la création d'un risque spécifique relatif à la perte d'autonomie", en définissant dans un rapport "les modalités de création de cette nouvelle branche dans le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021". Ce rapport sera remis au Parlement "au plus tard le 30 septembre 2020".
Une concertation avec les partenaires sociaux sera organisée pour trouver des "conditions de financement à plus court terme", prévoit le projet de loi ordinaire. Le sujet sera au menu des négociations sur le "Ségur de la santé" qui débute lundi, a assuré mercredi le ministre de la Santé. Les départements, qui versent l’allocation personnalisée d'autonomie (APA), seront également consultés pour trouver des "conditions de financement à plus court terme", précisent les projets de loi.
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