Comment Monique Olivier a mis les enquêteurs sur la piste de Michel Fourniret dans les trois affaires pour lesquelles elle est jugée
Cette fois, elle sera seule dans le box des accusés. Monique Olivier a déjà été condamnée en 2008, aux côtés de Michel Fourniret, à la réclusion à perpétuité pour sa participation à quatre des meurtres de celui qui était encore son mari, dont elle a divorcé en 2010. L'"ogre des Ardennes" est mort en mai 2021 et celle qui l'a assisté dans son itinéraire criminel répondra donc aux questions de la cour d'assises de Nanterre (Hauts-de-Seine) en son absence, à partir du mardi 28 novembre.
A 75 ans, elle comparaît pour complicité dans l'enlèvement, le viol et le meurtre de Marie-Angèle Domèce en 1988, mais aussi de Joanna Parrish en 1990, et pour complicité dans l'enlèvement d'Estelle Mouzin en 2003. Les corps d'Estelle Mouzin et de Marie-Angèle Domèce n'ont jamais été retrouvés, en dépit de plusieurs campagnes de fouilles.
Ces trois affaires, longtemps restées non élucidées, ont été résolues par le pôle "cold cases" du tribunal de Nanterre. Aujourd'hui, les familles attendent avec impatience ce procès, après des décennies d'errances judiciaires.
Des affaires de plus de trente ans
Pour remonter le fil des affaires Domèce et Parrish, il faut revenir plus de trente ans en arrière, à la toute fin des années 1980. Le 8 juillet 1988, Marie-Angèle Domèce, une jeune femme de 19 ans, disparaît après avoir quitté le foyer pour jeunes filles où elle vivait, à Auxerre (Yonne), pour rejoindre la gare et retrouver sa nourrice à quelques kilomètres. Moins d'un an plus tard, le corps de Joanna Parrish est retrouvé le 17 mai 1990 flottant dans l'Yonne, à Monéteau, à une centaine de mètres du foyer de Marie-Angèle. Cette jeune Britannique de 20 ans, qui exerçait comme assistante d'anglais dans un lycée auxerrois, a été battue, violée et étranglée.
Pendant de longues années, la justice française n'apporte aucune réponse aux familles des deux victimes. Leurs cas ne connaissent aucune véritable avancée, dans un département alors tourmenté par de nombreuses disparitions de jeunes femmes, dont Isabelle Laville, disparue en décembre 1987. On apprendra bien plus tard que cette adolescente de 17 ans a été la première victime tuée par Michel Fourniret. "À l'époque, il ne se passe rien dans l'Yonne, aucune disparition de jeune femme ne sera suivie avec succès dans le département", a expliqué Didier Seban, aujourd'hui avocat d'une partie des familles de victimes, à Ouest-France.
Une piste connue dès 2005
Dans ces deux dossiers, le lien avec Michel Fourniret émerge plus d'une décennie plus tard, quand le tueur en série est arrêté en juin 2003 en Belgique, après l'enlèvement raté d'une adolescente. Pendant un an, et après plus d'une centaine d'interrogatoires, la police belge questionne sans relâche celle qui est alors son épouse, Monique Olivier, sans parvenir à lui faire reconnaître quoi que ce soit. Mais en juin 2004, dans un revirement spectaculaire, elle avoue une série de neuf crimes commis par son mari, dans lesquels elle reconnaît avoir eu une participation active.
En juin 2005, à la faveur d'un nouvel interrogatoire, elle l'accuse également du viol et du meurtre de deux autres jeunes femmes. Elle raconte qu'en 1988, l'année de la disparition de Marie-Angèle Domèce, son mari "avait repéré une jeune fille de 18 ou 19 ans, blonde, le visage rond" qu'il a enlevée alors qu'elle marchait sur une route à Auxerre, selon l'ordonnance de mise en accusation, consultée par franceinfo. Pour mettre en confiance la victime, Monique Olivier, alors enceinte de sept mois de leur fils Selim, affirme qu'elle était dans la voiture, lorsque la victime a été enlevée, victime d'une tentative de viol puis tuée.
Elle ajoute qu'"une autre fois", en 1990, ils se sont rendus à la gare routière d'Auxerre et ont "repéré une jeune femme d'environ 18 ou 19 ans", qui a accepté "de les suivre et de monter à l'arrière" de leur véhicule. Michel Fourniret lui a alors asséné des coups, l'a ligotée avant de la violer, inconsciente. Monique Olivier précise "être restée à sa place durant les faits, sans regarder ce qui se passait". Il l'a ensuite étranglée avant de jeter son corps, "entièrement dénudé, dans le cours d'eau à proximité duquel ils se trouvaient". Ce récit coïncide avec les circonstances de la mort de Joanna Parrish.
Les témoins réinterrogés
Pour autant, ces deux affaires ne sont pas jointes aux sept autres meurtres et assassinats pour lesquels le couple est condamné par la cour des assises des Ardennes en 2008. Une ordonnance de non-lieu est même rendue en 2011, les juges parisiens en charge des dossiers faisant notamment valoir que les traces ADN retrouvées sur le corps de Joanna Parrish ne correspondent pas à l'empreinte génétique de Michel Fourniret (l'enquête soulignera par la suite qu'il utilisait des préservatifs). Les magistrats soulignent également que le cadre procédural dans lequel ces aveux ont été recueillis est "incertain".
Car entre-temps, Monique Olivier est revenue sur ces déclarations, affirmant, en 2006, que ses aveux lui ont été extorqués. Quant à Michel Fourniret, il conteste formellement être l'auteur de ces deux meurtres. Mais la cour d'appel annule l'ordonnance et relance l'enquête en 2012. "Une ultime chance de connaître la vérité", déclare alors le père de Joanna Parrish, persuadé de la culpabilité des époux. Et c'est finalement la juge parisienne Sabine Khéris, appuyée par la section de recherches de Dijon, qui va passer à la vitesse supérieure, en 2016.
Les témoins de l'époque sont tous réinterrogés, certains sont même entendus pour la première fois, comme un groupe présent dans un bar d'Auxerre avec Joanna Parrish, la veille de sa disparition. L'un d'eux assure qu'elle a été abordée dans la soirée par un homme ressemblant à Michel Fourniret. La proviseure adjointe du lycée où travaillait la jeune femme, qui n'avait jamais été entendue elle aussi, affirme qu'un homme lui faisant fortement penser au tueur en série est venu se renseigner après sa mort, suite à la parution d'une petite annonce qu'elle avait publiée, dans laquelle elle proposait des cours d'anglais.
Des aveux en 2018
Concernant Marie-Angèle Domèce, un témoignage crucial remet les enquêteurs sur la piste Fourniret. Une amie de son foyer assure aux enquêteurs avoir vu Michel Fourniret rôder autour de l'établissement à plusieurs reprises, "cinq ou six fois", dans une voiture blanche, sale, avec une vieille couverture et des adhésifs à l'arrière, relève l'ordonnance de mise en accusation.
Pendant de longs interrogatoires, ces nombreux éléments à charge sont mis sous le nez des deux accusés. Et finalement, en février 2018, Michel Fourniret passe aux aveux. Il explique, sans donner de détails, être "le seul responsable de leurs sorts".
"Si ces personnes n'avaient pas croisé mon chemin, elles seraient toujours vivantes."
Michel Fourniretà la juge Sabine Khéris
La même année, il est extrait de sa cellule pour être ramené sur les lieux de la disparition de Marie-Angèle Domèce, mais ne révélera jamais l'emplacement du corps. En 2019, une nouvelle campagne de fouilles est organisée avec les deux époux, mais elle ne donnera rien. Une "ultime vérification" a lieu début 2023, sans résultat.
Un alibi qui vole en éclats
La parole de Monique Olivier s'est souvent révélée déterminante pour faire progresser les enquêtes concernant son ex-mari. Ce fut le cas dans un autre dossier, le troisième jugé ces prochaines semaines, et sans doute le plus médiatique : l'affaire Estelle Mouzin. La fillette de 9 ans a disparu à Guermantes (Seine-et-Marne), en janvier 2003, alors qu'elle rentrait de l'école. Durant les premiers mois de l'enquête, des moyens colossaux sont mis en œuvre pour la retrouver et le nom de Michel Fourniret surgit rapidement, alors qu'il vient d'être interpellé. Mais un coup de fil émis depuis son domicile en Belgique le jour de la disparition de la petite fille l'innocente aux yeux des policiers.
Pendant des années, les fausses pistes se multiplient. Et Eric Mouzin, le père de la petite, aidé de ses avocats, vont batailler pour que la piste Fourniret soit étudiée. Début 2018, ils demandent le dessaisissement de la police judiciaire de Versailles, qui a trop négligé cette piste, selon eux. Sans succès. Et c'est seulement lors de son interrogatoire par la juge d'instruction Sabine Khéris, en mars 2018, dans le cadre des affaires Domèce et Parrish, que le tueur ardennais lâche des "aveux en creux" sur Estelle Mouzin.
Un tournant s'opère. D'autant que la magistrate a un atout : Monique Olivier. Et en novembre 2019, l'ex-femme du tueur en série fait voler en éclats son alibi. Elle concède avoir passé le fameux coup de fil au fils de Michel Fourniret, issu d'une précédente union, le soir du 9 janvier 2003. Et ajoute que la fillette "était tout à fait le genre de jeune fille qui pouvait satisfaire" son ex-mari. Il finira par avouer quatre mois plus tard sa responsabilité dans cette disparition.
Des corps jamais retrouvés
Au printemps 2021, Sabine Khéris décide d'entendre Monique Olivier une nouvelle fois. Après de longues heures d'interrogatoire acharné, la septuagénaire reconnaît ainsi avoir joué un rôle dans la séquestration de la fillette. "Je lui ai parlé un petit peu, elle me dit juste qu'elle veut voir sa maman. Elle a l'air triste. (...) Elle était calme, à mon avis, il lui avait donné un calmant", déclare-t-elle à la juge.
Elle donne alors des informations inédites qui vont orienter les enquêteurs vers un morceau de forêt, à quelques kilomètres seulement d'une maison ayant appartenu à la sœur de Michel Fourniret, à Ville-sur-Lumes (Ardennes). Elle assure avoir attendu au bout d'un chemin, dans leur camionnette blanche, que Michel Fourniret enterre le corps de la petite fille. Sur ses indications, d'importantes fouilles ont été menées dans le secteur pour tenter de retrouver ce qui pouvait l'être. En vain.
Dans ce procès qui va s'ouvrir, il manquera donc deux corps : celui de Marie-Angèle Domèce et celui d'Estelle Mouzin. "Je ne pense pas retrouver le corps de ma sœur, à moins que la co-auteure [Monique Olivier] veuille bien s'exprimer à ce sujet pendant le procès", confiait Véronique Domèce en début d'année. Leur père, Claude Domèce, ne saura rien des éventuelles révélations de l'accusée : il est mort il y a quelques jours, après s'être battu toute sa vie pour connaître la vérité sur le sort de sa fille.
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