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Procès de Monique Olivier : entre "instrument" et "instrumentiste", la personnalité de l'ex-femme de Michel Fourniret divise les experts

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
Monique Olivier est jugée à partir du 28 novembre 2023 devant la cour d'assises de Nanterre (Hauts-de-Seine) pour complicité dans les affaires Estelle Mouzin, Marie-Angèle Domece et Johanna Parrish. (HELOISE KROB / FRANCE INFO)
Cette femme de 75 ans est jugée à partir de mardi à Nanterre pour complicité dans les affaires Estelle Mouzin, Marie-Angèle Domèce et Joanna Parrish. Depuis près de vingt ans, le profil de l'ancienne épouse de "l'ogre des Ardennes" désarçonne les spécialistes.

"Mon cher Sher Khan", "tu sais que c'est avec plaisir que j'exécuterai tes ordres (non monsieur, ce n'est pas dit du bout des lèvres). Tu sais que ta Natouchka est prête à t'aider dans beaucoup de choses, elle veut se savoir utile, (...) je veux travailler auprès de mon fauve, le seconder, cela me ferait tellement plaisir, comprends-tu ce que je veux dire ?" Au milieu des années 1980, un pacte criminel est en train de se nouer dans le secret d'une correspondance entre un détenu de Fleury-Mérogis et une femme. Monique Olivier, 37 ans, écrit à Michel Fourniret, de six ans son aîné, condamné pour viol. "Sa mésange", comme il l'appelle, accepte de composer avec son obsession des jeunes vierges. En échange, "son petit taulard préféré" la vengera de son ex-mari, qu'elle accuse de violences et qui a la garde de leurs deux enfants.

Près de trente ans plus tard, douze meurtres ont été attribués par la justice au tueur en série, parmi lesquels ceux d'Estelle Mouzin, 9 ans, Marie-Angèle Domèce, 19 ans, et Joanna Parrish, 21 ans. Monique Olivier comparaît à partir du mardi 28 novembre devant la cour d'assises de Nanterre pour complicité dans ces trois affaires. Déjà condamnée à perpétuité en 2008 pour sa participation à quatre des meurtres de "l'ogre des Ardennes", elle sera cette fois-ci seule dans le box. Michel Fourniret étant mort il y a deux ans, c'est sa partenaire, qui l'a assisté dans son itinéraire criminel, qui devra répondre aux questions de la cour. Dès le premier jour du procès, l'accusée sera interrogée sur sa personnalité, qui fait l'objet d'âpres débats, tout comme son intelligence.

Une personnalité "dépendante"...

Le premier expert à avoir rencontré Monique Olivier est un neuropsychiatre belge. Xavier Bongaerts s'entretient avec elle en prison, à Namur, en juillet 2004, un an après l'arrestation de Michel Fourniret en Belgique pour la tentative d'enlèvement d'une adolescente. Il ne relève aucune déficience intellectuelle chez cette femme au visage de cire, qui apparaît sur toutes les photos de presse de l'époque la tête baissée, racines apparentes au milieu d'un carré de cheveux noir corbeau. Le spécialiste identifie une "une personnalité dépendante, caractérisée par un sentiment d'indignité, une faible estime de soi, une incapacité décisionnelle et une faille narcissique".

Née à Tours en 1948, Monique Olivier est la dernière d'une fratrie de quatre enfants. Elle grandit à Nantes, entre un père artisan-peintre, souvent absent, et une mère au foyer accaparée par sa mère malade. Dans cette famille modeste, la cadette pousse sans bruit, effacée derrière ses grands frères. Élève moyenne, elle ne passe pas son certificat d'études en raison de problèmes de santé. Sur l'insistance de son père, elle s'oriente vers des cours privés de secrétariat puis enchaîne quelques petits boulots avant de rencontrer son premier mari, un gérant d'auto-école et peintre amateur, à l'âge de 22 ans. Deux garçons naîtront en 1980 et 1981.

Le couple divorce au bout d'une dizaine d'années, en raison, selon Monique Olivier, des violences et de la jalousie de son époux. Elle lui laisse la garde de leurs enfants âgés de 4 ans. Pour tenter de les récupérer, elle se remarie avec un Américain, en échange d'une régularisation de sa situation. Le troc échoue au bout de six mois. Un nouveau marché l'attend lorsqu'elle répond à une petite annonce dans l'hebdomadaire catholique Le Pèlerin : "Prisonnier aimerait correspondre avec personne de tout âge pour oublier solitude."

... ou une complice "perverse" ?

Après plus de 200 lettres échangées, l'insipide Monique Olivier s'installe avec l'érudit Michel Fourniret à sa sortie de prison, le 22 octobre 1987. Un mois et demi plus tard, elle remplit sa part du marché : elle fait monter Isabelle Laville, 17 ans, à bord de leur véhicule à Auxerre (Yonne), puis fait mine de prendre en stop Michel Fourniret. Il viole et tue la jeune fille. En guise de remerciement, il mène cinq jours plus tard une expédition punitive à La Chapelle-sur-Erdre (Loire-Atlantique), avec "sa mésange", pour brûler les toiles de son premier mari. Le pacte est consommé. Un enfant naît neuf mois plus tard et ils officialisent leur union devant le maire en 1989. Michel Fourniret a déjà fait quatre autres victimes.

Leur vie commune est rythmée par ses pulsions criminelles. Comme promis, Monique Olivier s'exécute. Elle met en confiance les victimes par sa présence, et parfois celle de leur bébé, dans la fourgonnette. Elle les aborde, en tient une en joue pendant que Michel Fourniret lui lie les mains, en maîtrise une autre avec du scotch pendant qu'elle se débat, conduit pendant que son mari passe à l'arrière pour agresser sa proie, effectue une toilette intime avant un viol, garde les séquestrées sans s'émouvoir de leurs pleurs et n'est jamais très loin quand son effroyable conjoint se débarrasse du corps. "Quand il me donnait un ordre, je ne posais pas de question", dira-t-elle lors de fouilles pour retrouver une disparue.

Si les experts psychologues et psychiatres français s'accordent avec leur collègue belge sur la faille narcissique béante chez cette associée du crime, certains lui ont trouvé un QI supérieur à son époux (131 contre 124). "L'égérie" du tueur en série devient alors celle qui tire les ficelles dans l'ombre. "On peut penser qu'elle trouvait chez lui de quoi satisfaire par procuration désirs ou fantasmes les plus archaïques", écrit le psychanalyste Philippe Herbelot en 2005. Pour son confrère psychiatre Jean-Luc Ployé, Monique Olivier n'est ni dépendante ni suggestible et très éloignée d'une femme influençable. Les experts Michel Dubec et Daniel Zagury confirment une intelligence supérieure à la normale et décrivent un comportement "pervers".

"Malgré le ton monotone qu'elle adopte et sa position de contrainte supposée, on ne peut pas concevoir sa participation telle qu'elle la décrit sans considérer qu'elle y a pris un plaisir ou une jouissance au moment de la réalisation de tels actes."

Michel Dubec et Daniel Zagury, experts-psychiatres

dans leur rapport sur Monique Olivier

Selon ces deux psychiatres, cette complémentarité criminelle entre Michel Fourniret et Monique Olivier, tour à tour "instrument et instrumentiste", se révèle dès leurs échanges épistolaires. Dans une ultime expertise réalisée cette année, trois spécialistes estiment au contraire que c'est dans ces courriers que le futur assassin a mis en place son "contrôle coercitif" sur sa correspondante, "tel un joueur d'échec" plaçant "ses pions".

Un "respect mutuel" au sein du tandem

Balayant le test d'intelligence réalisé en 2005, au motif qu'il était obsolète, l'expert-psychologue Mickaël Morlet-Rivelli et ses sapiteurs ont évalué le QI de Monique Olivier dans "la zone basse de la moyenne". Au terme de "38 heures" d'entretiens, ils ont vu se dégager avec netteté les traits d'une personnalité "dépendante" et "évitante". Les troubles qui en découlent, dont "un besoin excessif d'être prise en charge", peuvent "conduire à un comportement de soumission" et à la "difficulté à exprimer un désaccord, par peur de perdre le soutien ou l'approbation de l'autre". "J'ai tout le temps manqué de confiance en moi, je ne vais pas m'imposer, m'affirmer et dire que je veux ça et ça, je n'ai jamais été comme ça", leur a confié Monique Olivier, resituant le contexte dans lequel elle a répondu à la petite annonce de Michel Fourniret.

"J'avais besoin d'exister pour quelqu'un. Et j'ai trouvé cette annonce… Moi, ce dont j'avais besoin, c'était d'exister. Moi, ce que je voulais, c'était m'accrocher pour quelqu'un et exister pour quelqu'un."

Monique Olivier

lors de ses entretiens avec un expert-psychologue en 2023

L'avocat des proches d'Estelle Mouzin, Marie-Angèle Domèce et Joanna Parrish ne souscrit pas à cette thèse de "la moule accrochée à son rocher". "Je crois avoir croisé la noirceur absolue et je ne fais pas de différence entre les deux", estime Didier Seban. Le pénaliste, aux côtés des familles de victimes depuis des années, a observé "un rapport de force" et une "sorte de respect mutuel" au sein du tandem. Malgré leur divorce en 2010, "on a vu le couple se reconstituer lors des confrontations et reconstitutions", témoigne-t-il. L'avocat dépeint sans sourciller Monique Olivier comme un "monstre d'égoïsme, insensible à la douleur des autres et assez heureuse avec Michel Fourniret".

"Il lui a fait vivre une forme d'aventure, de vie hors norme."

Didier Seban, avocat

à franceinfo

Du côté de la partie adverse, Richard Delgenes estime que "la vision" de sa cliente Monique Olivier et "de son rôle", héritée d'un "amalgame malheureux entre QI élevé et manipulation", a été "complètement remise en question" depuis la reprise en main des investigations par la juge Sabine Khéris, qui a obtenu des aveux dans les trois affaires jugées et sollicité cette nouvelle expertise. "C'est aussi parce qu'ils partaient d'un mauvais postulat que les enquêteurs ont eu du mal à l'interroger", argue l'avocat.

Pour la défense, la complicité de Monique Olivier, "responsable de ses actes", ne fait pas débat. Mais elle est le fruit d'"une impossibilité totale à s'opposer à autrui" et non d'une "envie ou d'un besoin de faire du mal". "Cette femme est tellement inexistante (...) qu'on en fait un peu ce qu'on veut", plaide Richard Delgenes, rappelant le pedigree de Michel Fourniret, "un manipulateur hors norme". Les experts viendront livrer à la barre leurs conclusions respectives à la fin du procès, prévu pour durer trois semaines. D'ici là, Monique Olivier lèvera peut-être elle-même une part du voile sur sa personnalité.

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