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Récit De la disparition d'Estelle Mouzin au procès de Monique Olivier, retour sur vingt ans d'enquête pour assembler les pièces du puzzle

L'ancienne épouse du tueur en série Michel Fourniret, mort en 2021, est jugée à partir de mardi pour complicité dans trois enlèvements suivis de meurtres, dont cette affaire demeurée longtemps irrésolue.
Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
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Dans cette affaire qui a vu se succéder huit juges d'instruction, il a fallu attendre la magistrate Sabine Khéris pour que la piste Michel Fourniret se confirme. (HELOISE KROB / FRANCE INFO)

L'affaire Estelle Mouzin a tout du conte cruel. Elle commence dans une rue du village de Guermantes (Seine-et-Marne), le 9 janvier 2003, par -5°C. Une petite fille de 9 ans, emmitouflée dans une doudoune bleu marine et un pull rouge tricoté par sa grand-mère, rentre de l'école à pied, vers 18 heures. Comme chaque soir, elle dit au revoir à son amie avec laquelle elle a l'habitude de parcourir le chemin, passe devant la boulangerie et emprunte les derniers 500 mètres jusqu'au pavillon où elle vit avec sa mère et sa sœur depuis le divorce de ses parents. Elle n'y parviendra jamais.

Vingt ans plus tard, un épilogue judiciaire se dessine avec l'ouverture du procès de Monique Olivier, mardi 28 novembre, devant la cour d'assises de Nanterre (Hauts-de-Seine). Son nom et, surtout, celui de Michel Fourniret ont fini par se détacher parmi les nombreuses pistes explorées pendant vingt ans. Le tueur en série est mort en mai 2021, à 79 ans. Son ancienne épouse, jugée pour complicité dans ce dossier ainsi que dans les affaires Marie-Angèle Domèce et Joanna Parrish, deux jeunes femmes tuées en 1988 et 1990 dans l'Yonne, sera donc seule dans le box pour répondre aux questions de la cour d'assises. Un dénouement tardif au goût d'inachevé, après de multiples fausses routes.

Des traces de pas pour seul indice

La disparition d'Estelle Mouzin est signalée au commissariat peu avant 20 heures, le 9 janvier 2003. Lors des premières recherches, dans la nuit, un chien spécialisé marque l'arrêt environ dix mètres derrière le jardin du pavillon familial. Des empreintes de pas sont figées dans la neige. Mais personne n'a vu Estelle être abordée par un inconnu ou monter à bord d'un véhicule.

"Quand sa mère m'a appelé pour me dire qu'elle n'était pas rentrée de l'école, je me souviens très exactement de ce que j'ai ressenti. L'impression que ma colonne vertébrale venait de se transformer en un bloc de glace."

Eric Mouzin

dans "Retrouver Estelle" (éditions Stock, 2011)

Dès le lendemain, le parquet de Meaux ouvre une information judiciaire pour "enlèvement et séquestration de mineur" et saisit le service régional de police judiciaire (SRPJ) de Versailles (Yvelines). "J'ai la chance, à l'époque, d'être le patron d'un gros service, composé de 350 enquêteurs. On n'a clairement pas lésiné sur les moyens", se souvient pour franceinfo Jean-Marc Bloch, le commissaire à la tête des premières investigations. Etangs dragués, golf, bois et parc du château explorés, questionnaire distribué à tous les habitants, barrages routiers, maisons perquisitionnées, téléphonie épluchée... Tout est passé au peigne fin. En vain.

Un coup de téléphone comme alibi

Un signalement intéressant finit par émerger. Le père d'une amie d'Estelle Mouzin rapporte que sa fille a été abordée à Guermantes trois semains plus tôt, le 19 décembre 2002, par un homme à bord d'une fourgonnette blanche. Elle identifie un modèle, la Citroën Jumpy, et décrit son conducteur aux enquêteurs : "gros sourcils", "lunettes petites et rondes", "brun", "la barbe mal rasée", "sale", "tout maigre". Un portrait-robot est diffusé sur tout le territoire.

Quelques mois plus tard, un homme pouvant correspondre à cette description est arrêté en Belgique. Michel Fourniret a tenté d'enlever une adolescente de 13 ans, parvenue à s'échapper du fourgon où elle avait été ligotée. Les policiers belges préviennent leurs homologues français. Son épouse, Monique Olivier, leur confirme qu'il a bien un utilitaire Citroën Jumpy et des connaissances à Gournay-sur-Marne, non loin de Guermantes. Mais un élément détourne rapidement les enquêteurs versaillais de cette piste : un coup de fil passé le 9 janvier 2003, à 20h08, depuis le domicile de Michel Fourniret à Sart-Custinne (Belgique) vers celui de son fils, dont c'est l'anniversaire. Monique Olivier assure qu'elle n'a pas composé elle-même ce numéro, fournissant ainsi un alibi à son mari.

Les investigations reprennent dans d'autres directions. Fin 2003, 75 personnes condamnées pour agression sexuelle de mineur ou enlèvement d'enfant sont entendues dans toute la France par les enquêteurs. Chou blanc. Eric Mouzin ne désarme pas. Secondé par l'association Estelle, créée en mars 2003 par des proches, il œuvre pour que la disparition de sa fille soit connue de tous. Campagnes d'affichage, lâcher de ballons… L'avis de recherche est partout.

Une longue errance judiciaire et policière

Depuis sa prison, Michel Fourniret refait parler de lui. En 2007, il écrit à la justice pour demander que les affaires Estelle Mouzin, Marie-Angèle Domèce et Joanna Parrish soient jointes aux huit crimes pour lesquels il doit être jugé un an plus tard. Le parquet général de la cour d'appel de Reims rejette la demande. "Cela aurait retardé le procès d'au moins deux ans, et les familles voulaient un procès le plus vite possible", a justifié plus tard dans Le Monde Francis Nachbar, alors procureur de Charleville-Mézières (Ardennes).

De leur côté, les policiers de Versailles continuent à ouvrir et refermer des portes. En 2008, ils font détruire la dalle d'un restaurant situé à 25 km de Guermantes, sur la base d'un signalement : le corps d'une fillette aurait été enseveli en dessous. Ils ne retrouvent que des ossements de chiens et de moutons. Un an plus tard, la photo d'une adolescente qui ressemble à la jeune disparue est repérée sur un site pornographique estonien. La juge d'instruction dépêche des enquêteurs sur place. Fausse piste, là encore : l'image a été mise en ligne avant la disparition d'Estelle Mouzin. En 2010, la SRPJ utilise une technique américaine pour vieillir son portrait et lancer un nouvel appel à témoins, dans l'espoir qu'elle soit toujours vivante, quelque part.

Les avocats d'Eric Mouzin, Didier Seban et Corinne Herrmann, se résignent à une issue plus funeste. Leur conviction est renforcée par les révélations d'une codétenue de Monique Olivier, en 2015. Elle affirme que cette dernière lui a confié que c'est elle qui a appelé le fils de Michel Fourniret, le soir du 9 janvier 2003, à la demande de son "ogre" de mari, parti "en chasse". Réinterrogée, l'intéressée dément. Mais de premières failles apparaissent dans ses dénégations.

"Si j'ai fait ça [le coup de téléphone], je ne m'en souviens pas. Il m'a fait faire tellement de trucs pendant toutes ces années. Par peur, j'aurais pu faire ça, mais vraiment à contrecœur."

Monique Olivier

lors d'un interrogatoire en 2015

  

"Ça n'est pas forcément impossible que j'ai demandé à Monique de téléphoner, ça n'est pas impossible du tout, mais pourquoi ?", feint de s'interroger de son côté Michel Fourniret.

Des aveux en pointillé

Début 2018, le duo d'avocats du père d'Estelle Mouzin demande le dessaisissement de la police judiciaire de Versailles, qui a, selon eux, trop négligé l'hypothèse du tueur en série. "Estelle a disparu ? Oui. Estelle est recherchée ? Non", martèle Eric Mouzin, annonçant, lors d'une conférence de presse, porter plainte contre l'Etat pour faute lourde. Dans cette enquête, où sept magistrats se sont déjà succédé, il faudra finalement attendre la huitième, Sabine Khéris, pour que l'alibi de Michel Fourniret tombe définitivement. Après avoir rencontré Monique Olivier dans le cadre des affaires Marie-Angèle Domèce et Joanna Parrish, la juge d'instruction a obtenu le transfert du tentaculaire dossier Mouzin – 85 tomes et 85 000 pages – de Meaux à Paris. En novembre 2019, dans son cabinet, l'ex-épouse de "l'ogre des Ardennes" reconnaît avoir passé à la demande de ce dernier, dont elle a divorcé en 2010, l'appel téléphonique qui lui servait de seul alibi.

Les gendarmes de la section de recherches de Dijon reprennent en main les investigations et rentrent les données dans Anacrim, un logiciel d'analyse criminelle. Mis en examen, l'orgueilleux Michel Fourniret est impressionné par leur travail : "J'ai le sentiment que vous êtes sur le vrai, vous avez bien bossé." Au cours de plusieurs interrogatoires, il consent à s'attribuer l'enlèvement et le meurtre d'Estelle Mouzin. "Il est possible que cette image m'indispose (...) et je reconnais là un être qui n'est plus là par ma faute", déclare-t-il à la juge Sabine Kheris lorsqu'elle lui tend une photo de l'enfant. Comment l'a-t-il enlevée ? "Il y a eu accostage idoine", "vraisemblablement une demande de renseignement", réplique-t-il. Comment lui a-t-il ôté la vie ? Michel Fourniret cite une chanson de Félix Leclerc :

"Pour avoir une plume à son chapeau, Petit Jean a tué un oiseau. Demain, si Petit Jean veut manger, il lui faudra recommencer."

Michel Fourniret

lors d'un interrogatoire en 2019

Pour la justice, il faut faire vite. La mémoire du septuagénaire, atteint de la maladie d'Alzheimer, "fiche le camp". En août 2020, l'ADN d'Estelle Mouzin est isolé sur un matelas saisi dans la maison de la sœur défunte de Michel Fourniret, à Ville-sur-Lumes (Ardennes). Mais le tueur en série reste muet lors d'une reconstitution organisée à Guermantes. C'est au fil des interrogatoires de Monique Olivier, mise en examen pour "enlèvement et séquestration suivis de mort", que le scénario criminel se précise.

Elle admet avoir gardé plusieurs heures la fillette dans la maison, avant que son mari ne revienne la violer et la tuer. "Je lui ai parlé un petit peu, elle me dit juste qu'elle veut voir sa maman. Elle a l'air triste. (...) Elle était calme. A mon avis, il lui avait donné un calmant", déclare-t-elle à la juge. Monique Olivier affirme avoir ensuite rejoint Michel Fourniret au lieu de l'enfouissement du corps, qu'elle situe dans un bois près des villages d'Issancourt et Rumel. Sur ses indications, d'importantes fouilles ont été menées dans le secteur pour tenter de retrouver ce qui pouvait l'être. Sans résultat.

Un "grand vide" dans le box

C'est donc un procès sans corps et sans auteur principal qui s'ouvre mardi dans l'affaire Estelle Mouzin. "Michel Fourniret ne pourra jamais être déclaré coupable", regrette auprès de franceinfo Didier Seban, estimant que "la justice française" sera aussi sur le banc des accusés : "Les Belges nous avaient livré toutes les clés, mais elle a séparé les affaires. Pour comprendre un tueur en série, il faut assembler les pièces d'un puzzle." Monique Olivier permettra peut-être de le compléter à l'audience. Pour son avocat, Richard Delgenes, "la tentation" va être "grande de l'interroger sur ce que pensait Michel Fourniret, ce qu'il a fait, puisqu'il n'est pas là. On va avoir un grand vide."

Le père d'Estelle Mouzin, lui, se garde bien de "se placer en position de demandeur vis-à-vis de la bonne parole qu'elle voudra bien nous donner". "C'est se faire du mal", a-t-il prévenu lors d'une conférence de presse depuis le cabinet de ses avocats. Eric Mouzin attend principalement de ce procès que l'accusée "soit condamnée à la hauteur du crime commis". Monique Olivier encourt la réclusion à perpétuité.

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