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Fin de vie : comment la crise du Covid-19 a fait resurgir le débat sur le suicide assisté et l'euthanasie

Une proposition de loi pour une "fin de vie libre et choisie" est débattue jeudi 8 avril à l'Assemblée nationale. Des parlementaires de divers bords politiques s'allient pour faire évoluer la législation, mais le gouvernement y est défavorable.

Article rédigé par franceinfo, Alice Galopin
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Une proposition de loi pour le "droit à une fin de vie libre et choisie" est débattue le 8 avril 2021 à l'Assemblée nationale. (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

"La question de la fin de vie se pose plus que jamais dans cette période de crise sanitaire." Alors que la France a dépassé les 97 000 morts du Covid-19, l'heure de la prise de conscience est venue pour Olivier Falorni. Le député radical de gauche est à l'initiative d'une proposition de loi pour "le droit à une fin de vie libre et choisie", déposée dans le cadre d'une niche parlementaire et examinée jeudi 8 avril à l'Assemblée nationale. Au Palais-Bourbon, le débat sur le sujet semble transcender les clivages. Trois autres textes en faveur d'une "aide active à mourir" ont été déposés récemment : le premier, porté par la députée LR Marine Brenier, un autre par des élus La France insoumise, et un dernier par le député LREM Jean-Louis Touraine.

Tous visent à dépasser la loi Claeys-Leonetti de 2016 qui autorise une "sédation profonde et continue" pour certains malades. "Il y a une détermination [sur ce sujet] que je n'ai jamais connue chez les parlementaires", fait valoir Jean-Luc Romero, président de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Le texte de Jean-Louis Touraine rassemble ainsi 168 signataires de la majorité. Le débat s'invite pourtant réguliÚrement dans l'hémicycle, mais l'épidémie de Covid-19 "a rendu encore plus urgente et impérieuse la législation qui nous permet de moins mal mourir dans notre pays", estime le parlementaire. Pour lui, la crise "a changé notre rapport à la mort. Nous avons repris conscience que l'humain est mortel", avance encore le médecin et élu du RhÎne.

"Avec le Covid-19, nous avons tous été réinterrogés sur cette partie de la vie qu'est la fin de vie."

Jean-Louis Touraine, député LREM

Ă  franceinfo

Une vision partagée par Olivier Falorni. "Certains malades sont décédés du Covid seuls dans leur chambre d'hÎpital, loin de leurs proches, et sans les rites funéraires essentiels", souffle le député. "Il y a effectivement des gens qui 'meurent mal' en France, c'est sûr, mais ce n'est pas juste d'en faire un constat massif et général", nuance Claire Fourcade, médecin et présidente de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (Sfap).

"On pratique des euthanasies clandestines en France"

Au-delĂ  du contexte sanitaire, l'heure est Ă©galement au bilan de la loi Claeys-Leonetti. Cinq ans aprĂšs son adoption, le texte a montrĂ© "ses faiblesses" selon les dĂ©fenseurs d'une aide mĂ©dicalisĂ©e Ă  mourir. La loi interdit l'"obstination dĂ©raisonnable" et autorise un endormissement profond jusqu'au dĂ©cĂšs de certains patients, notamment lorsqu'ils sont atteints d'une maladie "grave et incurable" et que leur pronostic vital est engagĂ© "Ă  court terme". Mais elle ne lĂ©galise pas l'euthanasie (un acte mĂ©dical destinĂ© Ă  mettre dĂ©libĂ©rĂ©ment fin Ă  la vie, comme l'explique le ComitĂ© consultatif national d'Ă©thique) ou le suicide assistĂ© (qui donne la possibilitĂ© Ă  un mĂ©decin de prescrire un produit lĂ©tal que le malade s'administre lui-mĂȘme).

"La loi [Claeys-Leonetti] a constitué des avancées, notamment en termes de reconnaissance du droit des malades, mais on en voit aujourd'hui les insuffisances."

Olivier Falorni, député radical de gauche

Ă  franceinfo

La lĂ©gislation actuelle "apporte une solution pour un petit pourcentage de fins de vie, mais le plus souvent, elle n'est pas sollicitĂ©e par les malades et est assez peu plĂ©biscitĂ©e par les soignants", complĂšte Jean-Louis Touraine. "Il faut ĂȘtre rĂ©aliste, argue Olivier Falorni. On a des Français qui, lorsqu'ils en ont les moyens physiques et financiers, s'exilent en Belgique ou en Suisse, par exemple, pour bĂ©nĂ©ficier d'une aide mĂ©dicalisĂ©e au dĂ©cĂšs." C'est d'ailleurs en Suisse que l'ancienne secrĂ©taire d'Etat aux Personnes ĂągĂ©es Paulette Guinchard a eu recours au suicide assistĂ©, dĂ©but mars. "Dans d'autres cas, dans le secret des familles, d'une chambre d'hĂŽpital ou de domicile, on pratique des euthanasies clandestines en France", poursuit Olivier Falorni. Son texte pourrait, selon lui, permettre d'"encadrer" et de "contrĂŽler" ces situations passibles de poursuites pour les soignants.

Ces pratiques sont-elles nombreuses ? Le nombre de 4 000 euthanasies clandestines est réguliÚrement avancé dans les débats, mais il est largement contesté car il résulte d'une extrapolation d'une étude menée en 2012 par l'Institut national d'études démographiques (Ined), comme l'explique CheckNews.

Le moment n'est pas "opportun", juge le gouvernement

Pour Claire Fourcade, la loi de 2016 n'a "pas besoin d'ĂȘtre rĂ©formĂ©e sur le plan mĂ©dical". "On dispose des moyens [lĂ©gislatifs] pour soulager les patients", juge la mĂ©decin, qui concĂšde toutefois la difficultĂ© de "rassurer les citoyens" quant Ă  "leur prise en charge en fin de vie. Mais c'est une illusion de penser que la loi pourrait rĂ©gler l'inquiĂ©tude autour de la mort."

Pas question d'ailleurs pour le gouvernement de revenir sur la loi Claeys-Leonetti. "Le principal enjeu n'est pas tant de la faire évoluer que de la faire connaßtre", a lancé Olivier Véran, le 11 mars, émettant un avis "défavorable" à la proposition de loi de la sénatrice Marie-Pierre de La Gontrie pour "le droit à mourir dans la dignité". "Je ne crois pas que le moment choisi pour modifier le régime juridique de la fin de vie soit opportun", a justifié le ministre, focalisé sur le combat contre le coronavirus. Une rhétorique qu'adopte également Claire Fourcade, pour qui la tenue d'un débat sur la fin de vie dans ce contexte "paraßt schizophrÚne".

"On se bat depuis un an pour sauver des gens extrĂȘmement ĂągĂ©s, vulnĂ©rables. Le moment est particuliĂšrement mal choisi pour questionner la fin de vie."

Claire Fourcade, présidente de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (Sfap)

Ă  franceinfo

L'argumentaire ne convainc pas le prĂ©sident de l'ADMD, Jean-Luc Romero : "Il ne s'agit pas de faire un choix entre la vie et la mort. C'est un choix entre deux morts", tempĂȘte-t-il. Les dĂ©fenseurs d'une Ă©volution lĂ©gislative rappellent aussi la rĂ©cente lĂ©galisation de l'euthanasie en Espagne, et l'adoption par le Parlement portugais d'une loi similaire, qui devra toutefois ĂȘtre reformulĂ©e aprĂšs avoir Ă©tĂ© censurĂ©e par la Cour constitutionnelle. Ces deux pays "vivent comme nous la crise sanitaire et ils ont votĂ©, dans une grande sĂ©rĂ©nitĂ©, l'aide mĂ©dicalisĂ©e au dĂ©cĂšs", affirme Olivier Falorni.

La crainte d'une "fracture de la société"

Mais comment se positionnent les Français sur la question ? "Quatre-vingt-seize pour cent d'entre eux se déclarent favorables à l'euthanasie", embraye Olivier Falorni, citant un sondage Ipsos, réalisé en 2019 pour l'association Lire la politique. "Le sujet fracture plus qu'on ne le dit et la réponse des Français dépend aussi de la façon dont on pose la question", nuance Damien Le Guay, président du Comité national d'éthique du funéraire. Une étude Ifop pour le collectif Soulager mais pas tuer, publiée en mars dernier, interroge les priorités des sondés quant à leur fin de vie. "Pouvoir obtenir l'euthanasie" est cité par 24% d'entre eux, derriÚre "ne pas faire l'objet d'un acharnement thérapeutique" (46%) ou "ne pas subir de douleur" (48%).

L'exécutif se veut donc prudent. Emmanuel Macron n'a d'ailleurs jamais pris clairement position sur le sujet. "A un an d'une échéance présidentielle (
) je ne suis pas sûr qu'on ait besoin de fracturer la société", déclarait Marc Fesneau, ministre chargé des Relations avec le Parlement, fin janvier, au micro de Sud Radio.

"[La fin de vie] nécessite un débat parlementaire évidemment, mais également un débat national impliquant les Français, les associations, les soignants, les corps intermédiaires."

Olivier Véran, ministre de la Santé

au SĂ©nat, le 11 mars

Pour l'heure, le gouvernement mise plutÎt sur l'amélioration du systÚme de soins palliatifs, avec un nouveau plan de développement annoncé par Olivier Véran. Ces soins, qui visent à soulager les patients atteints d'une maladie grave, sont "encore insuffisamment développés en France", selon le dernier rapport de l'Inspection générale interministérielle du secteur social (Igas). "La courbe de disponibilité de lits et d'équipes en soins palliatifs est d'une horizontalité tout à fait désespérante depuis 2012", souffle Claire Fourcade. En 2017, 26 départements étaient dépourvus de ces unités spécialisées.

Les dĂ©fenseurs d'une aide active Ă  mourir rappellent de leur cĂŽtĂ© que le dĂ©veloppement de ces soins rĂ©pond Ă  une logique complĂ©mentaire. "Il ne faut surtout pas opposer les deux, martĂšle Jean-Louis Touraine. Un cinquiĂšme plan de soins palliatifs ne rĂ©sout pas la question de la fin de vie." Pour Olivier Falorni, l'enjeu de l'examen de son texte Ă  l'AssemblĂ©e est double : "Permettre aux Français de pouvoir bĂ©nĂ©ficier de leur ultime libertĂ©, celle d'une fin de vie libre et choisie", et "montrer que le Parlement peut faire voter par lui-mĂȘme une grande loi de sociĂ©tĂ©" malgrĂ© les rĂ©ticences du gouvernement. Reste qu'avec quelque 3 000 amendements dĂ©posĂ©s, dont 2 300 par des Ă©lus LR, le texte a peu de chances d'aboutir. MĂ©caniquement, cette situation devrait en effet rendre impossible l'examen complet des amendements dans le dĂ©lai d'une journĂ©e prĂ©vu dans le cadre de la niche parlementaire, et risque donc d'empĂȘcher le vote final. 

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