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Plus fréquent, plus longtemps mais toujours des progrès à faire sur le partage des tâches : le congé paternité progresse en France, mais des inégalités perdurent

Entre 2013 et 2021, la part des pères ayant recours au congé paternité à la naissance de leur enfant est passée de 68% à 71%, note cette étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees).
Article rédigé par franceinfo - Laura Lavenne
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Selon l'enquête, sur les six derniers mois de l'année 2021, les deux tiers de pères (65%) ont pris la totalité de leurs 25 jours de congé paternité. (FRANK MAY / PICTURE ALLIANCE)

L'utilisation du congé paternité progresse, mais des inégalités perdurent. C'est ce qui ressort d'une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) sur les congés pris par les parents à l’occasion de la naissance d’un enfant publiée ce jeudi 20 juillet.

>> L’histoire du congé paternité en France

Pour être éligible au congé paternité ou maternité, les parents doivent, au moment de la naissance, être en emploi ou au chômage indemnisé au cours des 12 derniers mois. Ils touchent ainsi des indemnités, sous conditions. Selon cette enquête de la Drees, 29% des pères éligibles n'ont pas recours au congé paternité. A titre de comparaison, 7% des mères n'y ont pas recours.

Toutefois, entre 2013 et 2021, période sur laquelle porte l'étude, la part des pères ayant recours au congé paternité à la naissance de leur enfant est passée de 68% à 71%. De plus en plus de pères font donc valoir ce droit. Mais des disparités persistent entre les pères salariés, les indépendants, les cadres ou les chômeurs.

Sentiment d'"illégitimité" des chômeurs


Ainsi, en 2021, seuls 13% des pères au chômage indemnisé ont pris leur congé paternité, alors que les trois quarts des pères en emploi (76%) y ont eu recours. A titre de comparaison 75% des mères au chômage indemnisé ont pris un congé de maternité, contre 95% des mères en emploi. Ce non-recours s'explique par une mauvaise information, selon la Drees. Si certains pères au chômage l’ignorent, ils ont pourtant droit au congé paternité, parce qu’ils perçoivent des indemnités ou parce qu’ils en ont perçues dans l’année précédent la naissance. Il y a aussi un "sentiment d’illégitimité", selon la Dress. Le congé paternité permet pourtant de suspendre les obligations de recherche d’emploi et de reporter les droits aux allocations. 

Pour les indépendants ou les professions libérales, le recours au congé paternité progresse aussi. Il est passé de 32% en 2013 à 46% en 2021. Mais ce taux reste très inférieur à celui des pères fonctionnaires ou salariés en CDI. 91% d'entre eux font valoir leur droit. C'est 82% pour les salariés du privé. L'enquête constate que l’entrée plus fréquente dans le dispositif des pères indépendants ou en contrat court s’est accompagnée d’une hausse des congés de paternité pris partiellement. Selon la Drees, ce recours partiel constitue pour les indépendants "un compromis entre une norme de présence paternelle qui s’impose de plus en plus et une contrainte de présence professionnelle plus forte pour eux".

Cette étude fait également apparaître qu'en 2021, une majorité de pères (72%) prennent ce congé dans la semaine suivant la naissance de leur enfant. En 2013, ils n'étaient que la moitié dans ce cas (49%). Cela témoigne "de la valorisation croissante du temps d’accueil du nouveau-né", écrivent les auteurs. Pour prolonger ce temps passé avec leur enfant, deux pères sur cinq assurent même avoir assorti leur congé de paternité d’autres types de congés. 

Depuis la réforme, les 25 jours plébiscités, avec des disparités 


En juillet 2021, la réforme du congé paternité est entrée en vigueur, allongeant sa durée de 11 à 25 jours, s'ajoutant aux trois jours déjà obligatoires depuis 2002. Les pères bénéficient donc de 28 jours maximum à la naissance de leur enfant, avec la possibilité de les fractionner. Selon l'enquête, sur les six derniers mois de l'année 2021, les deux tiers de pères (65%) ont pris la totalité de leurs jours en une ou plusieurs fois. La majorité d'entre eux (80%) l'ont pris d'un bloc. Ceux qui fractionnent (20%) en prenant leurs jours en deux fois sont le plus souvent des cadres. Ils le font pour ne pas s’absenter trop longtemps, mettant en avant leurs responsabilités managériales. Ce sont aussi des pères n'ayant pas le choix de conserver des jours pour des raisons d’organisation liée au mode de garde ou à la reprise du travail de la mère. 

La Drees livre également les premiers enseignements d’une étude en cours menée sur 54 pères d’enfants âgés d’un an environ, ayant bénéficié ou non de la réforme. Menée entre avril et septembre 2022, cette étude montre que la quasi-totalité des pères interrogés ont pris l’intégralité des jours du congé paternité auxquels ils avaient droit. Pour les personnes ciblées par l'enquête, le congé paternité apparaît comme une "évidence", qui répond à un besoin d’être associé à la naissance de leurs enfants. Il apparaît également que l’environnement professionnel des pères interrogés se révèle plutôt facilitateur envers les pères qui prennent un congé paternité. 

Mais là encore, quelques disparités existent. Certaines contraintes ont été intériorisées par les pères, en particulier les cadres. La précarité du statut professionnel peut également influencer la mise en place du congé paternité. Pour les travailleurs indépendants, l’arrêt temporaire du travail est parfois perçu comme un risque professionnel, avec la perte de clients ou des pertes financières. Les indemnités journalières versées par la Sécurité sociale sont plafonnées en 2023 à environ 95 euros nets par jour pour les salariés, 60 euros pour les indépendants. Les pères dont les revenus baissent doivent donc l’anticiper. Certains vont jusqu'à renoncer à prendre la totalité du congé de paternité. C’est le cas de certains indépendants, mais aussi de salariés dont l’entreprise ne compense pas entièrement la perte de revenus.

Partage des tâches : des progrès à faire 


La réforme de juillet 2021 visait deux objectifs principaux : renforcer la présence du père auprès de l’enfant et le lien père-enfant, et favoriser l’égalité femmes-hommes en rééquilibrant le partage des tâches domestiques (ménagères et parentales) entre le père et la mère. L'enquête montre que des progrès restent à faire. 

Les parents interrogés pour l'étude font état d’une répartition inégale du travail domestique entre les conjoints. Malgré un surcroît d’investissement des pères pendant leur congé paternité, les mères en accomplissent globalement davantage. En plus des tâches parentales et de certaines tâches ménagères partagées, les femmes gèrent souvent des tâches supplémentaires, "avec une spécialisation de genre qui affecte la réalisation de certaines tâches", explique l'étude. Elle cite la prise en charge du linge, ou encore la charge mentale de planification de la vie domestique, qui incombent principalement aux mères. 

Les réponses des personnes ciblées par l'enquête mettent en évidence une modification du nouvel équilibre familial mis en place pendant le congé paternité au moment de la reprise de l’activité professionnelle du père. Cette reprise intervient dans la plupart des cas avant celle de la mère. "Cela vient généralement (re)créer de l’inégalité dans la prise en charge des tâches domestiques", constate la Drees. Pour les auteurs de l'enquête, le retour à l’emploi de la mère signifie de nouveau un partage des tâches moins inégalitaire. Il est vécu par certaines mères comme un soulagement. 

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