Traitements contre le Covid-19 : pourquoi les autorités de santé surveillent de près les effets indésirables liés au Plaquénil
L'Agence nationale de sécurité du médicament met en garde contre la prise d'hydroxychloroquine en dehors des circuits dédiés et en l'absence de surveillance. Au moins deux décès suspects de malades du Covid-19 soignés avec ce traitement ont été signalés.
Plusieurs traitements sont actuellement testés contre le Covid-19 dans le cadre d'études cliniques. En attendant d'en avoir le cœur net, hors de question de succomber à l'automédication. Voilà en substance le message de l'Agence du médicament (ANSM), qui lance une alerte, lundi 30 mars, sur de possibles effets indésirables liés à la prise de Plaquénil (hydroxychloroquine) et d'autres médicaments comme le Kaletra (lopinavir/ritonavir). Pour l'heure, trois décès suspects ont été signalés en Ile-de-France, dans le Centre-Est et dans le Nord-Est.
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"L'un d'eux était entré à l'hôpital pour un Covid-19, où il avait reçu un traitement par Plaquénil et azithromycine", explique Milou-Daniel Drici, directeur du centre régional de pharmacovigilance Nice Alpes-Côte-d'Azur, chargé de la centralisation des données.
Ce patient avait nécessité une oxygénation et il allait de mieux en mieux. Il était d'ailleurs prêt de quitter l'hôpital quand les infirmières l'ont retrouvé mort dans son lit.
Milou-Daniel Dricià franceinfo
Ce cas et un second "posent vraiment question" au professeur Drici, "même en considérant la présence de facteurs de risques". En revanche, le médecin n'exclut pas que le troisième patient ait pu mourir des suites d'un infarctus massif.
Pour le moment, le spécialiste n'a eu affaire qu'à des suspicions liées à la prise d'hydroxychloroquine et d'azithromycine, le Kaletra étant plus difficile à se procurer. Quand elles sont mal dosées ou prescrites à des personnes à risques, ces molécules peuvent bloquer les canaux potassiques, qui laissent entrer le potassium dans certaines cellules. Ce blocage risque de favoriser des troubles du rythme cardiaque nommés "torsades de pointe". Lorsque plusieurs médicaments ayant cet effet sont administrés ensemble, le risque augmente encore.
Des interactions médicamenteuses dangereuses
Ces arythmies peuvent être accompagnées d'étourdissements qui durent "quinze, vingt ou trente secondes et s'arrêtent spontanément parce que le cœur accélère", explique Milou-Daniel Drici. Toutefois, "dans 10% à 20% des cas, cette arythmie dégénère en fibrillation ventriculaire et cela aboutit à une mort subite." Il est excessivement rare qu'un médicament soit à l'origine de telles complications cardiaques, mais ce risque existe. C'est pourquoi l'ANSM recommande de placer les patients sous étroite surveillance, avec des électrocardiogrammes réguliers.
"Quelques cas" suspects ont aussi été signalés en Nouvelle-Aquitaine. "Nous n'avons pas encore la totalité des renseignements sur tous les produits qui ont été pris", prévient Gilles Auzemery, conseiller médical du directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS). Cette donnée est pourtant cruciale, car le Kaletra, l'hydroxychloroquine et l'azithromycine peuvent aussi interagir avec d'autres traitements (antiarythmique, antipsychotique, antidépresseurs, neuroleptiques) connus pour favoriser l'hypokaliémie, c'est-à-dire un défaut de potassium dans le plasma sanguin. Pour ne rien arranger, le Covid-19 favorise lui aussi la diminution du potassium dans le plasma sanguin.
Des enquêtes délicates sur les effets indésirables
Les professionnels de santé ont le devoir de signaler les effets indésirables au centre de pharmacologie de leur région. Depuis deux ans, les patients peuvent également remplir un signalement sur le portail de l'agence du médicament. "Bien entendu, on vérifie par exemple que l'effet indésirable est bien apparu après la prise du médicament", explique Milou-Daniel Drici. Ces données sont ensuite enregistrées dans la base nationale de pharmacovigilance, qui alimente une base européenne.
Ce travail d'enquête est difficile, car les centres de pharmacologie disposent parfois seulement d'éléments indirects pour retracer l'origine des effets indésirables signalés. "Si vous observez le trouble cardiaque sur l'électrocardiogramme, vous avez pratiquement la certitude que le médicament cause le trouble du rythme", résume Milou-Daniel Drici. En l'absence de tracé, il faut en revanche mener un travail d'enquête et croiser les indices permettant de faire "pencher la balance d'un côté ou d'un autre".
"Le risque est certain et le bénéfice est douteux"
En attendant, les prises de parole médiatiques de certains chercheurs et politiques ont lancé une machine bien difficile à contrôler. Le directeur général de l'ANSM Dominique Martin a notamment expliqué sur franceinfo que les ventes de Plaquénil avaient doublé dans les pharmacies de ville. "Je ne devrais pas le dire, mais certains de mes confrères se ruent sur les boîtes en disant ça n'arrive qu'aux autres, regrette Milou-Daniel Drici. Certains perçoivent cette molécule comme miraculeuse, à cause du bruit ambiant et parce qu'il n'y a pas de traitement disponible."
Ce spécialiste estime qu'il faut "garder la tête froide et revenir à des notions de base", car, pour le moment, "le risque est certain et le bénéfice est douteux". Le 25 mars, un décret a mis le hola à cette tendance en réduisant la liste des professionnels de santé habilités à prescrire de l'hydroxychloroquine. "Actuellement, je ne vois pas un pharmacien délivrer un produit alors que le médecin n'est pas dans la liste de ceux qui peuvent le prescrire", estime Gilles Auzemery.
Il faut être prudent dans la prescription et même avec une nouvelle ordonnance sous les yeux, le pharmacien doit refuser la vente.
Gilles Auzemeryà franceinfo
Les études cliniques en cours, par exemple dans le cadre de l'essai européen Discovery, devraient donner prochainement des premières tendances sur l'efficacité du produit. En attendant, il convient de prêter attention à l'encadrement et à la surveillance des patients.
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