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"Je ne panique pas, mais j'y pense" : Baptiste, étudiant dans un studio et employé d'un supermarché, raconte son confinement

Article rédigé par Valentine Pasquesoone - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Cet étudiant nantais en histoire travaille également dans un supermarché. (Pierre-Albert Josserand / FRANCEINFO)

Jour après jour, franceinfo recueille les témoignages de Français confinés depuis le 16 mars. Baptiste, étudiant en histoire de 23 ans et salarié dans un supermarché, nous livre le récit des deux dernières semaines.

Depuis quelques jours, le rituel est obligatoire pour Baptiste. Après chaque journée au supermarché, cet étudiant nantais en histoire désinfecte son téléphone, puis ses gants "à l'eau de Javel". Une mesure vitale tant le jeune homme, employé d'un commerce de proximité, est en première ligne face au Covid-19.

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Comment vit-il cette période inédite, entre le travail au contact d'éventuels malades et la vie quotidienne, lente et répétitive dans un studio de 18m2 ? Voici le récit de son confinement

Vendredi 13 mars : "Je me rue vers la bibliothèque universitaire"

La nouvelle est tombée hier soir. Ecoles, collèges, lycées et universités ferment. "En raison de la situation sanitaire, le contrôle d'anglais est annulé", nous prévient à la dernière minute, par mail, notre enseignante. 

Comme tant d'autres, je me rue vers la bibliothèque universitaire. Les emprunts s'y font dans la panique, beaucoup quittant les lieux, des piles monstrueuses de livres dans les bras. J'en emprunte peut-être 20, 30. Un maximum pour mon mémoire de recherche. 

Je suis, moi aussi, légèrement pris de panique. J'attendais des livres pour mon travail, tous ces prêts sont annulés. Et surtout, j'ai besoin d'être entouré pour travailler. Comment vais-je me motiver, me concentrer, seul chez moi ? Je vis dans 18m2, dans un appartement où seuls la salle de bain et le couloir sont trop grands. A la sortie de mon lit – une place, faute d'espace –, je pose les pieds dans ma kitchenette. 

Lundi 16 mars : "Je vais rester longtemps ici" 

Premier jour sans cours, sans université. Je me lève de bonne heure, tentant de prendre un bon rythme. Vers 9 heures, je quitte les lieux pour le supermarché. Avec mon budget étudiant, seul un plein de courses conséquent est permis chaque mois. Mon salaire, 550 euros, est mon seul revenu en dehors des bourses. Et ce petit appartement me coûte 405 euros par mois. 

Sur place, il n'y a ni pâtes (pourtant les meilleures amies de l'étudiant !), ni papier toilette. J'achète des légumes et produits frais, en me disant que chez moi, j'aurai le temps de cuisiner. A la caisse, la file d'attente s'allonge. Je patiente trente minutes avant de payer, notant les marquages au sol.

Le confinement. En rangeant mes courses, je me dis que je vais rester longtemps dans ce studio. Il y a eu cette idée d'aller vivre chez une amie, dont l'immeuble longe le bord de Loire. D'autres proches m'ont proposé une place dans leur colocation. Mais avec ce travail qui me fait vivre, l'idée est oubliée. Je ne me vois pas traverser Nantes de nuit, quand tout est fermé. 

Mardi 17 mars : "Réquisitionnés"

Vite ! Je pars ce matin acheter du tabac à rouler, de quoi tenir pour les semaines à venir. Puis j'attends midi, l'heure officielle du confinement, chez moi. Le calme va-t-il venir d'un coup ? Comment vivre ça, un pays à l'arrêt ? 

14 heures. Cette quarantaine à peine débutée, il faut déjà rédiger une première attestation pour aller au travail. J'apporte un masque, souvenir d'une violente grippe faite l'année dernière, et enfile des gants. A l'entrée, l'enseigne a placardé une affiche à l'attention des clients : elle n'a d'autre choix que d'imposer un rationnement, un seul paquet de papier toilette par personne. 

L'impression de revivre une scène de Goodbye Lenin en entrant. Le magasin a été dévalisé ces trois derniers jours, jamais je n'avais vu des rayons aussi vides. Nous n'avons plus rien en réserve, c'est très étrange. Le chiffre des deux derniers jours, me dit-on, est inédit.

On me donne une attestation, un justificatif. Les termes qui y sont écrits sont forts : 'Réquisitionnés'.

Baptiste, étudiant et salarié d'un supermarché 

On se sent utile ici. Ce soir, nous fermons nos portes à 19 heures, deux heures plus tôt que d'habitude. Mes gants sont jaunis, noircis par les espèces. Une bonne manière d'éviter de se toucher le visage... Je ne panique pas d'avoir le virus, je le vois comme une éventualité. J'y pense forcément, travaillant en supermarché, avec le public. 

Jeudi 19 mars : "L'ennui me gagne" 

Je m'étais pourtant levé tôt hier. J'avais un rythme de travail à respecter : l'écriture de mes recherches le matin, la lecture d'autres recherches l'après-midi. Ce matin, c'est plutôt l'ennui qui me gagne. Je me suis levé plus tard et, ce rythme de travail, je commence à le perdre. 

Je cuisine, consulte mes mails pour des nouvelles, pour communiquer avec mes professeurs. Puis un épisode d'une série, puis deux, puis trois. Des films, qu'ils soient bons ou mauvais. Une bonne partie de l'après-midi et de la soirée viennent de passer.

Je viens de faire une journée entière chez moi et demain, ce sera pareil.

Baptiste, étudiant et employé dans un supermarché

Ces journées ressemblent de plus en plus aux dimanches quand je ne travaille pas, une fois tous les deux mois. Le confinement devient pesant. 

Samedi 21 mars : "Une femme tousse, des clients l'invectivent"

Reprise du travail. Je suis presque content d'y aller – cela fait trois jours que je n'ai pas mis le pied dehors. Je ne verrais personne si je ne travaillais pas. Ces quelques centaines de mètres de marche me font du bien. Sur le chemin, je passe par une place où presque tout est fermé, par un boulevard où plus aucune voiture ne circule. Tout cela est très étrange. 

A mon arrivée, une dizaine de personnes attendent, à cran, impatients. Je dois me justifier, leur expliquer que je travaille ici quand ils me voient les dépasser. Je n'ai jamais vu cela. Une fois à l'étage, j'entends une voix s'élever dehors. Une femme tousse dans la file d'attente et des clients l'invectivent. "Eloignez-vous, ce n'est pas possible !", lui crient-ils. Le choc. 

L'ambiance est particulière dans le magasin. Les employés en caisse sont protégés par un "rideau" de cellophane, tenus par des manches à balais. Nous portons presque tous masques et gants. Des clients nous disent merci, bon courage. D'habitude, ils nous disent à peine bonjour, comme si nous étions un peu invisibles.

Parmi eux, il y a ceux qui frôlent l'hystérie et les autres, qui prennent ça bien trop à la légère.

Baptiste, étudiant et employé dans un supermarché

Des clients s'approchent trop près de nous dans les rayons. Une dame vient simplement acheter une bouteille de vin, une deuxième de la farine... pour faire de la pâte à sel avec ses enfants. Certains de nos clients reviennent tous les jours ! Personne n'a envie d'être malade. Que va-t-il se passer si j'ai le virus, si ça s'aggrave ? Je pense aussi aux risques pour les autres. Tant que je n'ai aucun symptôme, je continue de travailler. Ce virus, je peux le transmettre à mes collègues, à des clients. Une partie d'entre eux sont âgés. 

En terminant ce soir, j'achète une bouteille de bière. C'est l'heure d'un "apéro-visio" avec des amis de Nantes, de Poitiers. Première tentative manquée sur Facebook, échec sur Discord... Nous nous retrouvons finalement sur Skype, au bout d'une heure d'essais. Nous sommes seuls chez nous et je suis très content de les voir. La discussion dure plus de trois heures. Nous parlons du confinement, de ce que je vois au magasin. D'habitude à la même heure, nous sommes dehors, dans un bar. C'est très étrange. 

Lundi 23 mars : "Je continue le travail" 

Réveil bien matinal, j'ai décidé de me reprendre en main. Je me lave, puis m'habille pour éviter de rester en pyjama. Il est temps de retranscrire cet oral que je devais avoir la semaine dernière. Une présentation de notre sujet de recherche, pour mon cours de médiévisme. 

L'administration de l'université nous écrit, nous assurant de la bienveillance des enseignants. Elle sait que certains étudiants, comme moi, continuent de travailler. Que d'autres ont perdu leur travail, notamment dans la restauration. Dans mon immeuble, je vois encore de nombreux étudiants étrangers, coincés ici. La plupart des autres résidents sont partis. 

Je continue le travail. 

Mercredi 25 mars : "Aller à l'université me manque"

Nous n'en savons pas plus, mais deux employés du magasin sont à l'arrêt. Une autre collègue, étudiante aussi, s'est arrêtée la semaine dernière. Elle est asthmatique et ses parents ont, eux aussi, quelques problèmes de santé. Ils craignent de voir leur fille en première ligne. 

Je continue sur ma lancée ce matin, et poursuis la préparation écrite de mon oral. J'écris, j'écris, j'écris, oubliant même de manger ! L'attente n'est pas la même pour ma professeure. A l'écrit, tout doit être vraiment complet.

Je n'aime pas ce travail à la maison. Nous sommes seuls avec une pression plus importante. Je stresse beaucoup plus.

Baptiste, étudiant et employé dans un supermarché

Aller à l'université me manque. S'endormir devient bien plus difficile sans se dépenser de la journée. Heureusement que j'ai mes amis et ce travail. Sans ça, le confinement serait à se taper la tête contre les murs. J'ai envie de sortir !

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