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Témoignages "Manque de recul sur les vaccins", "injustice", "perte de libertés"... On a rencontré des opposants au pass sanitaire

Au-delà de la sphère complotiste et anti-vaccin, les opposants au pass sanitaire rencontrés dans une manifestation samedi et contactés dans la semaine présentent des profils hétéroclites. Vaccinés ou pas, ils protestent contre une mesure liberticide, s'inquiètent d'un outil dangereux à long terme et témoignent, aussi, d'un rejet de la politique d’Emmanuel Macron.

Article rédigé par franceinfo, Paolo Philippe
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Des opposants au pass sanitaire, le 24 juillet 2021 place du Trocadéro, à Paris. (THOMAS MOREL-FORT / HANS LUCAS)

Un groupe d'hommes se promène à travers la foule, s'arrête dès qu'on les prend en photo et montre à tout le monde leurs pancartes. "Le masque rend vos enfants autistes, le vaccin les rendra immuno-tarés", ou encore "Le vaccin crée des variants". Certains regardent avec attention, d'autres rigolent à leur passage. Au loin, les intervenants s'enchaînent sur l'estrade, place du Trocadéro, à Paris, où un rassemblement anti-pass sanitaire (deux autres étaient prévus dans la capitale) était organisé samedi 24 juillet par Florian Philippot, président du parti Les Patriotes, qui déplore une "dictature sanitaire" et appelle à la "liberté" et au "boycott" du pass sanitaire. 

Entre deux Marseillaises et des "Macron démission", Louise et Patrick enchaînent les discussions. Leur pancarte "Pas anti-vax, mais anti-pass" attire. Les deux soignants venus des Deux-Sèvres dénoncent l'obligation vaccinale pour les soignants, "un chantage au licenciement". Ils jugent important d'être dans la rue mais, quand même, ça les embête de manifester avec Florian Philippot et quelques "vaccino-sceptiques".

Les opposants au pass sanitaire sont-ils forcément anti-vaccins et complotistes, membres d'une frange "capricieuse et défaitiste", comme l'a récemment sous-entendu le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, dans Le Parisien ? Les Français interrogés par franceinfo, par le biais d’un appel à témoignages qui a recueilli près de 1 000 réponses, et rencontrés à Paris, samedi, dressent un autre portrait, plus modéré.

"Une injustice qui donne envie de l'ouvrir"

Des vaccinés, d'autres non, des politisés, d'autres pas, des profils hétéroclites et un leitmotiv commun : l'opposition au pass sanitaire, adopté par l'Assemblée nationale dans la nuit de jeudi à vendredi, jugé liberticide. Louis, un ingénieur du son qui a reçu ses deux doses de vaccin, est de ceux-là. "On met des pancartes antivax, complotistes, alors que plein de personnes comme moi sont vaccinées et opposées à ces mesures liberticides, explique l'homme de 30 ans contacté dans la semaine. On fragmente de plus en plus la société, ici en créant une classe de parias tout indiqués puis jetés à la vindicte populaire sous le nom de complotistes ou anti-vaccins." Et d'ajouter : "Il y a les gentils et les méchants, et une injustice qui donne envie de l'ouvrir."

"Ce n'est pas un problème de vaccin, c'est un problème de pass sanitaire", abonde Michaël, un fonctionnaire de 37 ans qui a "failli tomber de sa chaise" après le discours d'Emmanuel Macron, le 12 juillet. Alors, pour la première fois de sa vie, il est allé manifester à Charleville-Mézières (Ardennes) tellement il était "choqué, sonné".

"Ma femme est vaccinée, pas moi, mais on ne peut pas accepter que des millions de personnes soient mises au ban de la société. Du jour au lendemain, on va leur interdire leurs droits fondamentaux. Si on ne fait rien, c'est le début de la fin."

Michaël

à franceinfo

Pour Eva, 22 ans, ce pass sanitaire est une "perte de nos libertés", quelque chose de "très restrictif, coercitif". "On est dans un film de science-fiction", ose cette jeune femme clerc de notaire à Angers (Maine-et-Loire), contactée dans la semaine, qui ne veut pas être vaccinée, "quitte à perdre [s]on emploi".

Le profil des personnes interrogées par franceinfo, et le mouvement dans son ensemble, ne dégagent pour l'instant aucune tendance politique, même si le président des Patriotes Florian Philippot, la députée Martine Wonner ou le chanteur Francis Lalanne, proches des mouvements complotistes, sont des figures médiatiques du mouvement.

Des citoyens aux profils variés

Selon une note du renseignement territorial concernant les manifestants et que franceinfo a pu consulter, le mouvement des anti-pass rassemble des citoyens aux profils très variés, souvent venus en famille. Au-delà de la manifestation parisienne, aucun leader apparent n'a vraiment été identifié. Les opposants construisent notamment leur fronde sur les réseaux sociaux. Davantage que le vaccin, c'est la vaccination des enfants à partir de 12 ans et l'extension du pass sanitaire qui crispent les manifestants. Le renseignement note que les comparaisons entre le pass sanitaire et l'étoile jaune sont seulement l'œuvre des plus déterminés.

"Le message, c'est 'liberté' et 'non au pass sanitaire', il n'y a aucune allusion à la haine. On ne veut pas de ça, ça va nous desservir", juge au téléphone Laurette Josserand, porte-parole du "Collectif Mayenne Défense des libertés". Un collectif qu'elle a lancé après les annonces "extrêmement violentes" du chef de l'Etat. "Ce n'est pas un débat vacciné/non-vacciné. On veut être le porte-parole de millions de personnes qui ne se retrouvent pas dans ce pass sanitaire."

Des opposants au pass sanitaire, le 24 juillet 2021 place du Trocadéro, à Paris. (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)

Pour Louis, un Toulousain qui comptait manifester à Nantes, ce pass sanitaire ouvre la voie à une "surveillance de masse, où il faudra présenter patte blanche n'importe où". "Ce qui me choque, c'est que ça ne choque pas grand monde", lance de son côté Michaël, qui regrette, comme d'autres, une obligation vaccinale masquée. "On est quand même libres de faire ce qu'on veut avec notre corps ? Alors oui, peut-être que l'intention de protéger les gens est bonne, mais le moyen est aberrant, assez fou."

"J'assume l'expression de 'dictature sanitaire'"

Puisqu'elle est au cœur du pass sanitaire, la vaccination revient sans cesse, crispe, divise. Il y a des doutes, des peurs, de la mesure et, parfois, un vrai rejet et des messages pour le moins fantaisistes. Dans la manifestation parisienne, certains s'emportent, dénoncent un "eugénisme" et pointent les effets secondaires des vaccins ou encore le "lobby pharmaceutique".

"J'assume l'expression de 'dictature sanitaire', avance Emmanuel, agent aéroportuaire à Roissy-Charles-de-Gaulle, qui a répondu à l'appel à témoignages lancé par franceinfo. Ce qui m'exaspère, c'est qu'on veuille piquer tout le monde. Ils nous parlent de la vie d'avant, mais la vie d'avant, ce n'est pas d'avoir un pass vaccinal pour aller en terrasse." L'homme de 47 ans ne se considère pas comme un anti-vaccin, n'est "pas du genre à dire qu'on va nous injecter une puce", mais regrette qu'on ne lui laisse pas la "possibilité de dire non". Se vacciner pour le bien collectif ? Pas vraiment. "J'ai 92% de chances de ne pas décéder (du Covid-19)", a-t-il calculé. Alors, le vaccin, c'est non, le pass sanitaire, c'est non, et tant pis pour son "café en terrasse".

"Je n'arrive pas à concevoir qu'on puisse imposer à des gens de se faire vacciner", regrette de son côté Eva, qui a plus que des doutes. "Comment peut-on créer un vaccin en un an ?" s'interroge celle qui ne voit pas l'intérêt de se faire "vacciner pour une maladie où [elle a] à peu près 0,1% de risque d'en décéder". Pierre a 32 ans. L'homme qui a répondu à l'appel à témoignages lancé par franceinfo travaille dans le milieu du cinéma à Paris, est vacciné, et confie avoir "le cul entre deux chaises".

"Je sais que la vaccination est une clé, mais je ne pense pas qu'il faut l'imposer, surtout avec des menaces, parce que quelque part, ce vaccin est imposé. Inciter les gens, ce n'est pas la même chose que les obliger."

Pierre

à franceinfo

Michaël partage cet avis et s'inquiète de l'extension du pass sanitaire aux 12-17 ans (elle a été repoussée au 30 septembre). "Quand on est parents, on s'en fout de nous, mais nos enfants, c'est une autre histoire. Moi, et c'est peut-être égoïste, j'estime que je ne suis pas concerné et qu'il y a un manque de recul (sur les vaccins). Mais j'ai honte vis-à-vis de ma fille. Je n'ai pas envie de la faire vacciner, elle n'a rien à voir avec ça, qu'on la laisse tranquille." Pour Laurette Josserand, porte-parole du "Collectif Mayenne, Défense des libertés", la vaccination des enfants fait "peur". Une future obligation pour les enfants, dit-elle, pourrait en pousser d'autres à "réagir".

Si le collectif de la Mayennaise est apolitique, "chacun a son positionnement politique", précise-t-elle. "Il y a une extrême hétérogénéité de profils sociaux, beaucoup de gens qui ont toute une série de griefs qui s'accumulent", jugeait récemment sur franceinfo Jean-Yves Camus, co-directeur de l'observatoire des radicalités politiques, qui observe une "détestation du président de la République" parmi les manifestants. Et une opposition à la politique sanitaire du gouvernement.

"Cette chose-là va peut-être perdurer et c'est ça le problème"

Michaël, qui vit dans les Ardennes, n'est "ni de gauche, ni de droite". Il ne vote pas, mais a pris un coup sur la tête avec les annonces du chef de l'Etat, qu'il juge "infantilisant". "Macron, ce n'est pas notre père." Emmanuel, lui, est un électeur LREM de la première heure. Il a voté Macron en 2017, et jusqu'à présent il était en accord avec la gestion par le gouvernement de la crise sanitaire. "Mais là, c'est fini, je ne voterai plus LREM." "On dit qu'ils manifestent contre le pass sanitaire, que ce sont des anti-vax, mais les manifestants protestent aussi contre une politique et des réformes, estime Louis, qui se dit de gauche. Les slogans 'Macron démission', c'est aussi un ras-le-bol général."

Un opposant au pass sanitaire, le 24 juillet 2021 place du Trocadéro, à Paris. (THOMAS MOREL-FORT / HANS LUCAS)

Et des craintes à moyen terme. "Le pass sanitaire, je n'y suis pas forcément opposé comme j'ai l'impression qu'il n'y a pas d'autres solutions. Mais j'ai peur d'une dérive qui pourrait entraver davantage nos libertés", explique Pierre. "Cette chose-là va peut-être perdurer dans le temps, et c'est ça le problème. Une société sécuritaire, de la surveillance généralisée, avec des privations des libertés, est en train de naître sous nos yeux", craint de son côté Louis.

Michaël résume un discours qui revient régulièrement : "J'ai peur qu'on mette le doigt dans un engrenage. On commence à conditionner la liberté à certaines choses, mais est-ce que plus tard ça ne va pas rester ? Là, c'est la santé, après ce sera la sécurité. Il faut dire stop tout de suite."

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