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"Le but est de faire de la place, de dégager des lits" : comment les hôpitaux se préparent à l'intensification de l'épidémie de coronavirus

Le gouvernement a déclenché le plan blanc maximal, ordonnant aux hôpitaux et cliniques d'annuler toute chirurgie non urgente afin d'accueillir le maximum de malades du coronavirus.

Article rédigé par franceinfo
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Une tente installée à l'hôpital Henri Mondor de Créteil (Val-de-Marne) pour le dépistage du coronavirus, le 6 mars 2020. (THOMAS SAMSON / AFP)

"Ce n'est pas vraiment une nouvelle vague, mais plutôt un tsunami, si on veut reprendre l'analogie !" commente Alexandre Bleibtreu, infectiologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. La veille, lors de son allocution, Emmanuel Macron a prévenu que la France devait se préparer à ce qu'"une deuxième vague" de contaminations au coronavirus "touche un peu plus tard les personnes plus jeunes". Une déclaration floue qui ne correspond pas vraiment à la situation, selon le médecin. L'idée d'une "deuxième vague" laisse entendre que l'épidémie pourrait ralentir puis repartir, "or on est plutôt dans une croissance exponentielle", estime-t-il.

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Pour le médecin, il s'agit plutôt de l'évolution "classique" d'une épidémie. "Tous les ans, une minorité de patients entre 30 et 50 ans meurent de symptômes respiratoires qu'on impute à tel ou tel virus, mais on ne connaît pas réellement les mécanismes, explique Alexandre Bleibtreu. Certains peuvent être infectés et au 7e ou 8e jour, peuvent voir leurs symptômes s'aggraver rapidement. Une partie d'entre eux peut être conduite en réanimation, voire pour certains, décéder."

Même analyse pour le docteur Jérôme Marty, président du syndicat Union française pour une médecine libre. "Le terme n'est pas bien employé. Lors d'une épidémie, les patients les plus fragiles sont toujours touchés en premier. Puis ce sont les patients les plus sains, mais en moins grand nombre." A ce stade toutefois, "1% seulement des patients meurent du coronavirus, répète-t-il. Il s'agit de personnes qui présentent déjà d'autres pathologies."

Une organisation qui évolue chaque jour

Si le taux de létalité globale reste à ce jour inchangé, l'intensification de l'épidémie se poursuit. Selon le bilan officiel du jeudi 12 mars, 61 personnes sont mortes du Covid-19 en France et 2 876 ont été contaminées, soit près de 600 personnes de plus en 24 heures. Emmanuel Macron a prévenu, lors de son allocution télévisée : il s'agit de "la plus grave crise sanitaire que la France ait connue depuis un siècle". Le président a demandé la "déprogrammation immédiate des interventions chirurgicales non urgentes" afin de libérer des lits en réanimation et en salles de réveil ainsi que du personnel qualifié, conformément au stade 2 du plan blanc des hôpitaux. 

"On rentre dans le dur", avertit Xavier Lescure, infectiologue à l'hôpital Bichat, à Paris, dans Le Monde. "On est en face d'une épidémie qui va affecter tout le système et va imposer très vite une réorganisation totale de la prise en charge." Dans les établissements, des réunions de crise sont organisées chaque jour pour mettre en place les consignes délivrées par les autorités de santé et la direction générale de la santé. "Actuellement, la situation évolue de jour en jour, de 48 heures en 48 heures", explique Thomas Gille, médecin au service pneumologie de l'hôpital Avicenne à Bobigny (Seine-Saint-Denis). "On va être dans une adaptation permanente pour repousser les murs des services."

Le but est de faire de la place pour les patients qui vont être de plus en plus nombreux au service infectiologie, de dégager des lits et de déprogrammer les opérations moins urgentes.

Thomas Gille, médecin à l'hôpital Avicenne de Bobigny

à franceinfo

Le service de réanimation de l'hôpital Avicenne a déjà créé une aile spécifique pour recevoir les patients présentant des symptômes. "Cet espace est saturé maintenant, on essaye de trouver de la place, mais il n'y en a pas !" reprend Thomas Gille.

"Il faut se préparer au pire"

Selon le ministère de la Santé, la France dispose de 5 000 lits équipés pour les patients graves, et 105 personnes en occupent à ce jour. Problème : ces lits nécessitent du matériel que tous les hôpitaux ne possèdent pas forcément. "Si un patient développe un problème respiratoire aigu, il faut trouver un respirateur et cela peut amener à annuler un bloc opératoire et retarder une opération", poursuit Thomas Gille.

On essaye de limiter les soins non urgents, mais il faut qu'on reste capables de prendre en charge les autres cas graves comme les infarctus ou les AVC.

Thomas Gille, médecin à l'hôpital Avicenne de Bobigny

à franceinfo

La reprogrammation de ces opérations s'effectue au cas par cas, selon les hôpitaux. "Une chirurgie de la vésicule biliaire peut être décalée s'il n'y a pas eu de complications récentes, tout comme une fracture… Mais la douleur reste pour le patient, illustre le médecin. On s'attend à des semaines très difficiles."

A la Pitié-Salpêtrière, 14 lits ont été réservés aux malades atteints par le coronavirus, d'autres patients ont été transférés vers d'autres services. Mais la capacité reste insuffisante. "Hier, nous avons ouvert un nouveau service de réanimation dédié au coronavirus à 20 heures. A 2 heures, il était déjà saturé", décrit l'infectiologue Alexandre Bleibtreu, à la sortie de sa nuit de garde. 

Nous avons entre 30 et 40 patients positifs par jour. Leur nombre ne cesse d'augmenter.

Alexandre Bleibtreu, infectiologue à la Pitié-Salpêtrière

à franceinfo

De plus, les patients contaminés par le virus restent, en moyenne, vingt jours en réanimation sous ventilation artificielle, rapporte Le Parisien. Pendant cette période, d'autres patients ne peuvent donc pas occuper les lits. "C'est la mauvaise nouvelle dans la mauvaise nouvelle. Soyons clairs, il faut se préparer au pire", déplore Gilles Pialoux, chef du service infectiologie de l'hôpital Tenon, à Paris.

Tous les services touchés

Les établissements qui ont pris des dispositions depuis plusieurs jours craignent d'en voir rapidement les limites. "Pour l'heure, malgré la charge de travail supplémentaire, les équipes gèrent… Cependant, l'un des enjeux de cette épidémie est de bien préserver les personnels soignants. Si deux ou trois autres personnes venaient à manquer, allez savoir comment la crise pourrait être absorbée", confie un fonctionnaire hospitalier du CHU de Nîmes au Quotidien du médecin (article réservé aux abonnés). Une infectiologue de l'établissement a d'ailleurs été diagnostiquée positive cette semaine et a dû rester en quatorzaine chez elle.

Julien Huntzinger, chef du service réanimation du CHU de Vannes (Morbihan), s'inquiète notamment de "l'effet cumulatif" sur tous les autres services. "L'enjeu n'est pas directement le service de réanimation, mais plutôt tout ce qu'il y a autour : les urgences, le dépistage, l'information au public, explique-t-il au Quotidien du médecin (article réservé aux abonnés).

Dans l'unité de soins continus, il a fallu passer de trois à cinq infirmières pour 24 heures.

Julien Huntzinger, chef du service réanimation au CHU de Vannes

au "Quotidien du médecin"

"Cette mobilisation de tous les personnels ne pourra être suffisante et durable si elle n'est pas soutenue", estime de son côté le Collectif inter-hôpitaux (CIH). Dans un communiqué, il demande ainsi le recrutement "très vite" de 40 000 infirmières nécessaires pour rouvrir les lits fermés, remplacer les arrêts maladie ou congés maternité et "obtenir des ratios d'effectifs soutenables au lit des malades, y compris en psychiatrie".

Pour limiter l'afflux dans les hôpitaux, l'AP-HP a mis en place une application de e-santé destinée à suivre à domicile les patients porteurs ou suspectés de Covid-19 et qui ne nécessitent pas d'hospitalisation.

Des étudiants et jeunes retraités en renfort

En plus de moyens matériels limités, les services doivent composer avec un nombre de soignants parfois insuffisant. "L'hôpital s'est réorganisé et a mis le paquet sur l'infectiologie. Mais nous, on est en première ligne depuis le mois de janvier, et au bout de trois mois d'heures supplémentaires, de stress, de dépassements d'horaires, c'est fatigant, même si c'est notre métier et qu'on l'a choisi", confie Alexandre Bleibtreu, de la Pitié-Salpêtrière.

Des spécialistes, des infectiologues, ne se forment pas en deux minutes, tout comme des infirmières. On travaille à flux tendu en permanence et c'est encore plus visible en ce moment.

Alexandre Bleibtreu, infectiologue à la Pitié-Salpêtrière

à franceinfo

Lors de son allocution, Emmanuel Macron a déclaré que certains étudiants en médecine et "jeunes retraités" pourraient être appelés en renfort. "Ce n'est pas nouveau, on a déjà des externes [étudiants en quatrième année de médecine] qui sont mobilisés, c'est le cas à chaque crise sanitaire ou en période de canicule, reprend Thomas Gille. On les a déjà formés dans certains endroits pour décharger le Samu, prendre des appels." Le recours aux jeunes retraités est aussi un dispositif "classique". "Les conseils de l'ordre ont déjà commencé à leur écrire pour les prévenir qu'ils seraient probablement appelés."

Des hôpitaux de "deuxième ligne"

D'autres solutions sont sur la table, comme le recours à des soignants intérimaires, "mais c'est dur de les trouver et il faut débloquer des budgets… que l'hôpital public n'a pas", commente Thomas Gille. En Bourgogne-Franche-Comté, plusieurs hôpitaux ont déclenché leur plan blanc. "A l'hôpital de Besançon, une équipe de 30 soignants – médecins, infirmiers, aides-soignants – de la réserve sanitaire ont été appelés en renfort", explique l'Agence régionale de santé (ARS) à franceinfo. 

Chaque région a également désigné des hôpitaux de "deuxième ligne" afin de recevoir de nouveaux patients si les capacités des CHU étaient dépassées. En Ile-de-France, les établissements de Pontoise, Melun, Versailles et Corbeil-Essonnes "sont en préparation et seront activés sur décision en fonction de l'évolution de la situation", a fait savoir l'ARS, citée par Le Monde.

Des enfants à garder

Depuis les annonces d'Emmanuel Macron, un autre problème préoccupe les soignants : la garde de leurs enfants. Le président a annoncé que les écoles seraient fermées dans tout le pays à partir du 16 mars et jusqu'à nouvel ordre. "Au CHU de Nancy, on avait envoyé un mail pour que les hospitaliers puissent prendre des jours enfant malade, explique Sophie Perrin-Phan Dinh, infirmière et responsable CGT. On peut le faire, sauf en cas de 'besoins spécifiques' au service… Mais c'est le cas en permanence avec le coronavirus ! Vu l'état des effectifs, il sera impossible de prendre des journées enfant malade."

La crise sanitaire du coronavirus arrive aussi dans un contexte particulier. Il y a quelques semaines, plusieurs centaines de chefs de service avaient démissionné de leurs fonctions d'encadrement pour dénoncer le manque de lits et d'effectifs. Depuis plus d'un an, de nombreux soignants de l'hôpital public alertent également sur leurs conditions de travail et la dégradation de leurs services.

"Depuis dix ans, 17 500 lits ont été supprimés, les budgets de l'hôpital sont systématiquement en déficit, la tarification à l'acte a transformé l'hôpital en usine, énumère Thomas Gille, de l'hôpital Avicenne. En temps normal, on est déjà en fonctionnement dégradé, donc on a forcément moins de marge pour gérer des crises comme celle-là. L'épidémie agit comme un révélateur de ces dysfonctionnements." Emmanuel Macron s'est engagé jeudi soir à dépenser sans compter car "la santé n'a pas de prix".

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