Déconfinement : pourquoi la France veut concentrer ses tests sur les personnes qui présentent des symptômes
Les autorités de santé ont décidé qu'à partir du 11 mai, le dépistage du Covid-19, à plus grande échelle qu'aujourd'hui, sera uniquement pratiqué sur des cas symptomatiques. Voici pourquoi elles ont choisi cette stratégie.
Tester, tester et encore tester. Après de sérieux retards à l'allumage, la France monte progressivement en régime dans la course au dépistage massif. L'objectif : tester à plus grande échelle la population en vue du début du déconfinement, et ainsi lutter plus efficacement contre l'épidémie de Covid-19. Les autorités sanitaires devraient être en mesure de réaliser 500 000 tests biologiques (dits RT-PCR) par semaine à partir du 11 mai, contre 150 000 actuellement, selon les annonces faites dimanche 19 avril par le ministre de la Santé, Olivier Véran. Le temps presse car "le nombre de cas confirmés en France ne reflète plus de manière satisfaisante la dynamique de l'épidémie", reconnaît Santé publique France. Une stratégie claire est aujourd'hui nécessaire pour utiliser au mieux des capacités de tests toujours limitées.
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Un décret du 5 avril a élargi le périmètre des laboratoires autorisés à pratiquer ces tests RT-PCR. Mais, selon France Inter, seuls quelques laboratoires publics de recherche sont aujourd'hui montés dans le train sur la cinquantaine pourtant recensés. Les laboratoires départementaux d'analyses, dont une part importante de l'activité est consacrée à la biologie vétérinaire, ont bien rejoint les rangs de la mobilisation, mais la France peine encore à faire décoller sa capacité de tests.
"Comme on ne peut pas faire 65 millions de tests par jour, il faut un critère. Ce sera le même qu'en phase 2 de l'épidémie [mise en œuvre entre le 28 février et le 14 mars]", résume Astrid Vabret, cheffe du service de virologie au CHU de Caen. Le gouvernement a ainsi annoncé que les tests seront prochainement systématisés pour toutes les personnes symptomatiques, même en cas de signes clinique mineurs (faible toux, courbatures...). Reste que certaines personnes sont déjà contagieuses 24 ou 48 heures avant l'apparition des premiers symptômes. "Quelle que soit la stratégie utilisée, et sauf à confiner tout le monde, il y aura donc toujours quelques transmissions", assure la professeure.
Pas la peine de chercher une solution idéale, il n'y en a pas.
Astrid Vabretà franceinfo
Le pari du gouvernement est donc le suivant : en testant "systématiquement" les personnes symptomatiques après le 11 mai, il sera possible de les identifier, puis d'étendre le diagnostic à leur entourage et aux cas contacts. Partir des cas les plus faciles à identifier permettra donc de briser les "chaînes" de transmission grâce à l'isolement des personnes testées positives. Lors du stade précoce de l'épidémie, pourtant, cette stratégie ciblée n'avait pas permis de freiner la propagation du virus. Sera-t-elle suffisante dans quelques semaines, au moment où le déconfinement commencera à s'effectuer ? Difficile à dire. Le virus, qui présente toujours plusieurs inconnues, notamment sur la contagiosité et l'immunité, circule désormais largement dans la population et une forte part de vecteurs ne présentent aucun symptôme.
La grande problématique des asymptomatiques
"Nous ne souhaitons pas cibler les personnes asymptomatiques", a répondu à ce sujet le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, interrogé lundi par franceinfo. Pour le médecin généraliste Yvan Le Flohic, responsable de la veille épidémique lors de l'épidémie de grippe A (H1N1) en Bretagne, ce point mérite pourtant d'être étudié. "Les principaux vecteurs de l'épidémie sont des personnes asymptomatiques ou paucisymptomatiques (faibles symptômes) qui croisent un grand nombre d'inconnus dans une journée", estime-t-il. Selon lui, les personnes malades font davantage attention aux règles de confinement et d'isolement.
Mais comme le nombre de tests est limité, encore faudrait-il avoir quelques pistes pour orienter le dépistage et en identifier le maximum. Et c'est bien là que le bât blesse. A ce jour, aucune étude ne permet de comprendre où et comment les personnes malades sont majoritairement contaminées – au sein de leur famille, au travail, dans les transports, à l'hôpital ?
"Nous n'avons pas de statistiques pour dire que vous avez été contaminé à tel ou tel endroit parce que personne ne le sait, répond Jérôme Salomon. Quand vous avez une journée complète de travail, vous ne savez pas qui vous a contaminé." Les Agences régionales de santé (ARS) ont bien réalisé des traçages de chaîne pour remonter la piste de certaines contaminations, notamment dans les principaux foyers épidémiques, mais aucune donnée n'est disponible.
Il manque des études en 'cluster' et hors 'cluster' sur la contagion intrafamiliale, au travail et dans les transports. On ne sait pas parce qu'on n'a pas cherché à savoir.
Yvon Le Flohicà franceinfo
En Corée du Sud comme dans plusieurs autres pays, le traçage numérique pourrait livrer quelques éléments sur les principaux lieux de contamination. Mais là encore, aucune donnée fiable n'est connue sur la répartition des infections. Alors que la France planche actuellement sur l'application StopCovid, on ne sait pas encore si ces dispositifs sont efficaces pour identifier une part importante de porteurs sans symptôme mais pourtant contagieux.
Dépister les personnes en première ligne
Malgré l'absence de données, "les milieux confinés sont des lieux où la probabilité de contamination est la plus importante", explique Astrid Vabret, qui cite entre autres les établissements de soin, les Ehpad, les centres pénitentiaires, les lieux de vie communautaire ou les transports. Le dernier bulletin hebdomadaire de Santé publique France recensait 11507 cas confirmés et 18 936 cas possibles au sein du personnel des établissements sociaux et médico-sociaux.
Les chiffres sont très incomplets à l'hôpital mais l'Académie nationale de médecine s'est alarmée des risques de contamination pour les collègues et les proches des personnels soignants asymptomatiques. Dans un communiqué publié mi-avril, elle a donc réclamé un dépistage systématique pour ces salariés en première ligne, après avoir observé des cas de transmission de Covid-19 dans des services dédiés à la gestion de l'épidémie mais également dans d'autres unités.
Les tests n'étant indiqués que pour les personnels soignants présentant des symptômes, les formes asymptomatiques ou pré-symptomatiques échappent à tout contrôle. Or, différentes études internationales révèlent que ces formes inapparentes sont majoritaires.
L'Académie nationale de médecinedans un communiqué
A ce jour, donc, la France n'a pas fait le choix de ces tests catégoriels, hormis sur les personnels et les résidents des Ehpad après un premier cas confirmé. Le Premier ministre Edouard Philippe a simplement annoncé le "probable" port du masque obligatoire dans les transports publics et "d'autres lieux", mais aucun dépistage n'est envisagé pour identifier d'éventuels porteurs asymptomatiques dans les secteurs en première ligne. Pour être efficaces, il faudrait de toute façon que ces tests soient régulièrement répétées.
Selon Xavier Lescure, infectiologue à l'hôpital Bichat, à Paris, il n'est pas raisonnable d'avoir "une PCR toutes les semaines pour un soignant asymptomatique". Et ce, pour deux raisons : "La sensibilité des tests RT-PCR naso-pharyngés est de 65% et les soignants qui vont avoir un test négatif risquent de relâcher un peu les mesures barrières", estime le professeur.
Ce qui rend les gens contagieux, c'est ce qu'ils touchent. Quand il y a une bonne adhésion aux mesures barrières, quelqu'un qui n'a pas de symptômes n'a pas de raison de transmettre le virus.
Xavier Lescureà franceinfo
Le "pooling" pour économiser des tests ?
Pour améliorer la "rentabilité" des tests, et donc élargir leur périmètre, certains chercheurs étrangers envisagent de regrouper les échantillons de plusieurs personnes dans des "pools". Cette méthode, le "pooling", consiste à mélanger les prélèvements de plusieurs personnes et soumettre l'ensemble à un test unique. Si celui-ci est négatif, tant mieux. S'il est positif, il faut alors réaliser un test individuel de toutes les personnes concernées par ce dépistage de groupe. Cette méthode a le mérite de n'utiliser qu'un seul test pour écarter une suspicion chez plusieurs personnes, ce qui économise des réactifs et du temps.
La technique RT-PCR (réalisée par prélèvement nasal) est éprouvée et fiable, mais il faut toutefois "une forte charge virale pour que la dilution due au poolage n'abaisse pas trop la sensibilité de la manipulation", estime le biologiste médical Jérôme Grosjean, interrogé par franceinfo. Le test du pool "n'a aucune influence sur la limite de détection", assurent au contraire les chercheurs de l'Institut de virologie médicale de l'université Goethe de Francfort (Allemagne), après avoir regroupé des échantillons cinq par cinq dans le cadre d'une étude. A Haïfa (Israël), des chercheurs testent même des "pools" de 32, voire 64 échantillons.
En France, l'Institut Pasteur estime que 5,7% de la population sera porteuse du virus autour du 11 mai, ce qui veut dire que la technique du pooling, sur une moyenne nationale, pourrait diviser par deux le nombre de tests nécessaires. Pour Astrid Vabret, "il faut une quasi-majorité de négatifs dans la population" pour que la méthode soit réellement rentable. Un groupe testé positif, et c'est autant de tests individuels à refaire.
Le 'pooling', on y a tous pensé, mais ça pose plus de problèmes que de solutions.
Jérôme Grosjeanà franceinfo
Cette option ne semble donc pas d'actualité en France. Interrogé à ce sujet par franceinfo, Jérôme Salomon a d'ailleurs répondu que la France n'était "pas sur ces techniques de poolage".
Traquer la présence d'anticorps pour être sûrs
Les champs de réflexion autour des tests PCR sont nombreux, mais les tests sérologiques représentent également un outil appréciable. Contrairement aux tests biologiques, qui cherchent la présence du virus et donc une infection en cours, ces tests sanguins ont pour but d'identifier la présence d'anticorps, et donc une possible immunité. "On aura besoin de ces deux types de tests pour développer des stratégies de déconfinement responsables", estime sur franceinfo l'immunologue Michel Goldman, de l'université libre de Bruxelles (Belgique).
Il conviendrait alors de laisser travailler les personnes qui sont saines (PCR négatif) et immunisées (test sanguin positif), explique-t-il dans un article coécrit avec d'autres chercheurs et publié sur le site The Conversation (en anglais). Au regard du nombre limité de kits, ces doubles tests pourraient être réservés en priorité aux professionnels de la santé, des transports ou des biens essentiels. "Les personnes qui reprendraient le travail seraient majoritairement des individus immunisés, ce qui minimiserait le risque de 'vagues supplémentaires' de l'épidémie."
Dans son avis du 2 avril, le Conseil scientifique Covid-19 recommandait déjà de réaliser ces doubles tests dans les Ehpad (personnels et résidents) ainsi que dans les prisons et les établissements fermés. Mais à ce jour, "les données restent insuffisantes pour définir précisément la place de ces tests dans la stratégie de prise en charge du Covid-19", a prévenu la Haute Autorité de santé la semaine dernière. De fait, aucun test sérologique n'a encore obtenu l'agrément du Centre national de référence (CNR) des virus des infections respiratoires.
>> Coronavirus : pourquoi les résultats des tests sérologiques sont à prendre avec précaution
Des kits sont actuellement en cours de validation à l'Institut Pasteur et "il y a d'autres tests commerciaux qui existent et qui sont également en cours de validation, d'homologation", a expliqué sur Europe 1 Olivier Schwartz, responsable de l'unité virus et immunité à l'institut, jeudi 23 avril. "Notre rôle (...) va être de déterminer quels sont les meilleurs tests à utiliser au niveau de la population pour déterminer l'état sérologique des personnes." Les résultats devraient être connus d'ici quelques jours, ce qui laisse encore un peu de temps pour imaginer l'après-déconfinement.
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