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Covid-19 : pourquoi le Royaume-Uni affiche-t-il un bilan aussi catastrophique, avec plus de 100 000 morts recensés ?

Le voisin britannique est devenu, mardi, le premier pays d'Europe à dépasser ce seuil. Si l'émergence, ces dernières semaines, d'un variant du virus beaucoup plus contagieux aggrave la situation sanitaire, ce n'est pas la seule explication. 

Article rédigé par franceinfo
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Des ambulanciers amènent un patient aux urgences du Royal London Hospital, dans la capitale du Royaume-Uni, le 25 janvier 2021. (DAVID CLIFF / NURPHOTO / AFP)

"Je suis profondément désolé pour chaque vie perdue." Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, dit assumer "la pleine responsabilité de tout ce que le gouvernement a fait" pour lutter contre l'épidémie de Covid-19, alors que le Royaume-Uni a passé le seuil des 100 000 morts liées à la maladie, mardi 26 janvier. Les autorités sanitaires ont dénombré 1 631 décès supplémentaires sur cette journée, portant le total à 100 162 morts (101 887, selon les dernières données officielles mercredi 27 janvier).

Comment expliquer que le Royaume-Uni soit désormais le cinquième pays du monde le plus endeuillé par la pandémie, le premier en Europe à atteindre ce très lourd bilan ? Franceinfo livre plusieurs éléments de réponse.

Parce que le Royaume-Uni est frappé par une troisième vague très virulente

Le Royaume-Uni fait actuellement face à un rebond épidémique particulièrement intense. Il a rejoint, mardi, la liste des pays qui ont franchi le seuil des 100 000 morts (après les Etats-Unis, le Brésil, l'Inde et le Mexique), note la BBC*. Plus de 37 000 malades du Covid-19 étaient hospitalisés à cette date à travers le pays, un chiffre en hausse constante depuis la mi-décembre, précise le Guardian*. Autre donnée inquiétante : le nombre quotidien de cas confirmés de coronavirus – qui était de 20 089 mardi – alors que le pays est de nouveau confiné depuis début janvier (et théoriquement jusqu'à mi-février). Une situation qui tend à prouver que le confinement est aujourd'hui moins efficace qu'au printemps dernier, notamment à cause du variant identifié sur le sol britannique et qui s'est propagé à toute allure ces dernières semaines.

Le Royaume-Uni a pourtant mis en place une importante campagne de vaccination – lancée le 7 décembre, avant bon nombre d'autres pays occidentaux – pour tenter d'endiguer la progression du virus. Quelque 500 000 doses ont été inoculées samedi 23 janvier, un record depuis le début de l'opération, selon l'agence AP*. Au total, ce sont près de 7 millions de premières injections qui ont déjà été réalisées (selon les chiffres officiels au 26 janvier). Deux vaccins ont pour l'instant été autorisés outre-Manche : celui Pfizer-BioNTech et celui développé par AstraZeneca et l'université d'Oxford. Mais ces efforts ne suffisent pas, pour le moment, à enrayer la troisième vague. 

"Un des principaux problèmes du pays en ce moment, c'est la circulation du variant B.1.1.7 [identifié au Royaume-Uni], bien plus infectieux. Il ne circule pas autant dans d'autres pays."

Andrew Pollard, directeur de l'Oxford Vaccine Group

au Monde

"La démographie, les comportements nationaux, tout cela doit aussi être pris en compte", ajoute ce groupe de chercheurs auprès du Monde.

L'institut de santé publique anglais, Public Health England, a publié fin décembre une étude (PDF en anglais) sur cette nouvelle forme du coronavirus. Les chercheurs ont comparé deux groupes de 1 769 patients chacun. Dans un groupe, des patients atteints par le variant, dans l'autre, des malades touchés par la version initiale du virus. Conclusion : le variant se transmet bien 50% plus facilement, y compris chez les enfants. Les cas contacts des patients infectés par ce variant se retrouvent par exemple plus facilement infectés que les cas contacts d'une personne porteuse du virus d'origine (15% contre 9%).

Parce que les soignants manquent de moyens

En début d'année, les hôpitaux britanniques ont une nouvelle fois été submergés par les patients atteint de Covid-19. Près de 40 000 personnes étaient hospitalisées à travers le pays à la date du 18 janvier, soit presque deux fois plus que lors de la première vague. La situation était particulièrement critique à Londres. Des militaires ont dû être déployés dans la capitale pour aider à déplacer malades et matériel, quand certains établissements craignaient une pénurie d'oxygène. "Nous sommes tellement sous tension que nous devons faire des choix entre les patients", a témoigné début janvier une infirmière interrogée par la BBC*.

La situation n'est pas uniquement due à la hausse du nombre de contaminations. Au printemps, les soignants avaient alerté sur le manque de personnel, de matériel de protection et surtout de places en réanimation. Le Royaume-Uni a en effet le deuxième taux le plus bas d'Europe pour les lits en soins intensifs par habitant, comme le montre ce graphique.

Malgré les efforts de l'exécutif, les soignants manquent toujours de moyens au moment où la troisième vague frappe de plein fouet le pays. "Nous venons de traverser plus d'une décennie d'austérité financière qui a entraîné des coupes importantes dans notre système de santé. Cela a affaibli notre capacité à répondre efficacement à cette pandémie", explique Sarah Hawkes, professeure de santé publique mondiale à l'University College de Londres, citée par France 24. "Les hôpitaux doivent aujourd'hui faire appel à du personnel extérieur pour les aider à faire face à l'afflux de patients."

Parce que le gouvernement a tardé à imposer des restrictions sanitaires

Plusieurs experts et observateurs estiment que le bilan dramatique du Covid-19 outre-Manche est dû à la lenteur des mesures prises par Downing Street pour endiguer la propagation du virus. Au printemps 2020, Boris Johnson a d'abord privilégié la stratégie de l'immunité collective, rappelle la BBC*. En mars, le Premier ministre britannique plaisantait en serrant des mains dans des hôpitaux, avant d'être hospitalisé en avril, car il avait lui-même contracté le virus.

Ce n'est que fin mars que son gouvernement a décidé de mettre en place le confinement, une semaine après la plupart des autres pays européens. Selon Neil Ferguson, épidémiologiste et ex-directeur du Conseil scientifique britannique (Scientific Advisory Group for Emergencies ou SAGE), ce retard a causé une explosion du nombre de contaminations et provoqué la mort de 20 000 Britanniques*. Soit la moitié du bilan humain de la première vague au Royaume-Uni, qui a notamment touché les maisons de retraite (40% des 40 000 décès enregistrés), relève la BBC. Il a par ailleurs fallu attendre le mois de juin pour qu'une quarantaine soit imposée aux personnes entrant sur le territoire, alors qu'il est en théorie plus facile de contrôler les frontières d'une île, pointe la chaîne britannique.

L'exécutif a également tardé à agir pour les deuxièmes et troisièmes vagues, estime le New York Times*. Alors que le Conseil scientifique – qui conseille, comme en France, le gouvernement – appelait à un confinement national dès septembre, Boris Johnson a attendu le mois de novembre pour fermer les commerces non-essentiels et généraliser le télétravail. Le 22 décembre, les experts ont une nouvelle fois réclamé des mesures plus strictes, dont la fermeture des écoles. Mais cette décision n'a finalement été prise que le 4 janvier.

Face aux critiques, Boris Johnson a déclaré mardi 26 janvier que le gouvernement "avait fait tout ce qu'il pouvait, et continuerait à le faire, pour minimiser le nombre de morts", rapporte le Guardian. Si le Premier ministre britannique s'est déjà engagé à ce qu'une enquête soit menée sur la réponse de l'exécutif à la pandémie, il a exclu* qu'elle ait lieu avant la fin de la crise sanitaire.

Parce que la stratégie de dépistage-traçage a connu de gros ratés

La propagation rapide du virus serait également due – à l'instar de ce qu'a connu la France – à des difficultés à mettre en place une stratégie efficace de dépistage et de traçage des malades, écrit Bloomberg*. Comme d'autres pays, le Royaume-Uni a, dans un premier temps, manqué de kits pour identifier les porteurs du coronavirus. Au début de l'épidémie, environ 2 000 personnes étaient testées chaque jour. Au cours de l'été, l'exécutif a investi 22 milliards de livres (près de 25 milliards d'euros) pour développer les capacités de dépistage, poursuit Bloomberg. Environ 500 000 tests sont désormais réalisés chaque jour en moyenne.

Le gouvernement a également mis en place un système pour identifier et prévenir les cas contacts, mais avec des résultats très mitigés. Selon une enquête menée en novembre par Reuters*, les autorités sanitaires ne parvenaient à joindre, entre fin mai et début novembre, que deux tiers des personnes signalées (ces personnes ne représentant, selon Reuters, que la moitié des cas contacts potentiels). En Angleterre, il leur fallait en moyenne une semaine pour avertir un cas contact et lui demander de s'isoler. Un délai bien plus long "que ce qui est nécessaire pour contrôler la propagation du virus de façon efficace", pointait alors l'agence de presse.

Parce que la population est âgée, dense et mobile

L'ampleur de l'épidémie est enfin liée à des causes plus "profondes", avance la BBC*. "Le Royaume-Uni compte parmi les dix grandes nations [de plus de 20 millions d'habitants] les plus densément peuplées", rappelle le média britannique, qui ajoute que "les villes sont plus connectées entre elles" que dans beaucoup d'autres pays. Ce qui permet au virus de se propager plus rapidement et plus facilement. Ceci explique notamment que Londres (qui concentre 5 700 habitants par kilomètre carré*) soit devenue l'épicentre de l'épidémie au Royaume-Uni, avec les plus forts taux de personnes testées positives sur une semaine juste avant les fêtes de fin d'année (notamment à cause du variant initialement détecté dans le Kent), rapportait The Independent* fin décembre.

Facteur aggravant : le Royaume-Uni et sa capitale sont une plaque tournante mondiale pour le transport aérien, par laquelle transitent de très nombreux voyageurs chaque jour. Fin mars, le coronavirus avait ainsi été importé 1 300 fois depuis des pays étrangers, selon des analyses génétiques citées par la BBC.

Le risque accru d'importation et de propagation du virus est d'autant plus problématique qu'une part importante de la population a des comorbidités. "Un peu comme la France, le pays a une population vieillissante, alors que le risque de mourir du virus est maximal pour les plus de 85 ans", note José Manuel Aburto, démographe au Leverhulme Center for Demographic Science d'Oxford, dans les colonnes du MondeSelon la BBC, le Royaume-Uni a par ailleurs un des plus hauts taux d'obésité de la planète (28%). 

Mardi, le secrétaire d'Etat à la Santé a appelé les Britanniques à poursuivre leurs efforts pour endiguer l'épidémie. "La pression sur [les services de santé] reste énorme et nous devons faire baisser le nombre de cas, a martelé Matt Hancock, cité par la BBC*. Ce n'est pas le moment de se relâcher."

* Ces liens renvoient vers des pages en anglais.

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