Covid-19 : la situation actuelle en France est-elle comparable à celle du pic de l'épidémie au printemps ?
Malgré la hausse des contaminations, plusieurs indicateurs, qu'il s'agisse du nombre de malades en réanimation ou du nombre de décès, permettent d'établir des différences notables.
"Nous sommes dans une situation très difficile." Le Premier ministre, Jean Castex, a été clair, lundi 12 octobre, sur franceinfo : "Nous sommes dans une deuxième vague, forte." Emmanuel Macron doit faire un point sur la crise sanitaire, mercredi soir, sur France 2 et TF1.
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Pour autant, la situation est-elle aussi grave qu'au pic de l'épidémie de Covid-19 au printemps dernier ? Les chiffres sont-ils comparables d'une période à une autre ? Tour d'horizon des indicateurs sur le coronavirus et ce qu'ils nous enseignent.
Des tests quotidiens beaucoup plus nombreux
La hausse du nombre de cas de contaminations au coronavirus est indéniable depuis la rentrée. Alors qu'elle était en deçà des 10 000 cas fin août, elle a atteint un nouveau record samedi, avec 26 896 cas recensés sur tout le territoire en 24 heures, le plus haut niveau atteint depuis la mise en place des tests à grande échelle. C'est un élément important à prendre en compte : la France teste beaucoup plus actuellement qu'en mars-avril. Si l'on reprend les points presse de la Direction générale de la santé du 23 et du 27 avril, par exemple, seuls 7 535 cas supplémentaires étaient enregistrés sur ces quatre jours. Début mars, ce chiffre plafonnait à quelques centaines de nouveaux cas.
Des études rétrospectives de l'Institut Pasteur et de Santé publique France ont même estimé qu'en réalité, plus de 100 000 personnes étaient infectées chaque jour au début du confinement, rappelle Le Monde (article abonnés). Les données sur le nombre de tests réalisés en France ne sont disponibles que depuis le 19 mai, avec 52 248 tests par jour à cette date, contre 168 816 au 11 octobre. Il est donc très difficile de comparer le niveau des contaminations et la circulation du virus à partir des chiffres disponibles.
Un taux de reproduction (R effectif) moins élevé
C'est l'un des indicateurs les plus guettés depuis le début de l'épidémie : le taux de reproduction (R effectif, c'est-à-dire l'estimation sur les sept derniers jours du nombre de personnes contaminées par un porteur du virus). Si les données ne sont disponibles que depuis le 1er juin sur les graphiques du gouvernement, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a indiqué lors de son point presse du 8 octobre qu'il était de 3 au printemps : une personne malade en contaminait trois. Aujourd'hui, il se situe en moyenne à 1,21. C'est moins qu'autour du 20 août, où il était à 1,5. Depuis, le port du masque a été généralisé sur une grande partie du territoire. Et les gestes barrières sont entrés dans les habitudes des Français.
"La population a changé son comportement", observait mi-septembre pour franceinfo Yves Le Tulzo, chef du service de médecine intensive et réanimation du CHU de Rennes. "Désormais, il y a du gel hydroalcoolique, des masques, les Ehpad sont mieux armés, la notion de confinement existe, on a des tests… La situation est très différente."
"Le facteur essentiel, c'est de faire en sorte que la population se contamine moins, notamment les gens à risques."
Yves Le Tulzo, chef de service au CHU de Rennesà franceinfo
Moins de malades placés en réanimation
Si l'on regarde les chiffres d'admission en réanimation, on est loin, heureusement, de ceux du printemps. Au pic de l'épidémie, début avril, plus de 7 000 malades du Covid-19 (pour une capacité nationale initiale de 5 000 lits de réanimation) étaient soignés dans ce type de service. Ce nombre a ensuite chuté à partir de la fin avril et jusqu'à la mi-août, puis a réaugmenté progressivement pour s'établir à 1 483 personnes, selon le dernier bilan de Santé publique France daté du 11 octobre. Les nouvelles admissions en réanimation sur 24 heures sont en légère baisse, avec 73 patients admis dimanche, soit 37 de moins que la veille.
Non seulement le nombre de cas graves n'est pas aussi élevé qu'en mars-avril, mais l'intubation n'est plus systématique, comme au début de la crise. A ce geste médical invasif pouvant entraîner des complications, notamment des infections, les médecins préfèrent l'oxygénothérapie à haut débit, qui envoie de gros volumes d'air dans le nez du patient via de petits embouts. "En mars, 95 à 100% des malades dans mon service étaient intubés et ventilés en coma artificiel. Depuis quelques semaines, c'est un tiers seulement", évaluait mi-septembre Djillali Annane, chef du service de réanimation de l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine).
Le taux d'occupation des lits de réanimation est toutefois préoccupant dans certaines zones placées en alerte maximale. C'est le cas de la région parisienne. "Avec 474 malades, on a passé les 42% d'occupation" des lits de réanimation par des patients Covid, a indiqué sur BFMTV Aurélien Rousseau, directeur général de l'ARS d'Ile-de-France, lundi 12 octobre.
Le nombre de décès par jour divisé par dix
Au pic de l'épidémie, on dénombrait plusieurs centaines de morts par jour. Ce chiffre a atteint 613 nouveaux décès le 6 avril, un record. Il a diminué constamment depuis pour repartir à la hausse à partir de la mi-août. Dimanche, 46 personnes sont mortes du Covid-19 en 24 heures, ce qui porte le total de décès depuis le début de l'épidémie à au moins 32 730.
Si cette nouvelle hausse est inquiétante, il s'avère que la prise en charge des cas graves a progressé, malgré l'absence de traitement spécifique et de vaccin. L'une des complications graves du Covid-19, la formation de caillots sanguins, est ainsi mieux combattue, grâce aux anticoagulants. Le recours à des corticoïdes permet aussi d'éviter l'aggravation de l'état de certains patients. "Ce n'est pas du tout le même contexte. En mars, on ne comprenait pas ce qu'il se passait, il y avait beaucoup d'incertitudes, la pente était explosive. Là, on connaît mieux la pathologie, on a beaucoup plus de connaissances, on sait mieux gérer les gens et la pente est plus lente, donc on peut voir venir les choses", indiquait à franceinfo, le 2 octobre, Olivier Bouchaud, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis).
Des hôpitaux moins débordés (pour l'instant)
Les séjours à l'hôpital, qui englobent également des formes un peu moins graves de la maladie, sont eux aussi beaucoup moins nombreux qu'au pic de l'épidémie. Mais ils poursuivent leur augmentation continue depuis la rentrée, avec 8 231 hospitalisations pour Covid-19 au 11 octobre, soit 255 de plus que la veille.
"La situation n'est pas du tout celle de mars. Dans mon service, le nombre de patients doublait tous les trois jours. Aujourd'hui, le temps de doublement, c'est entre 10 et 15 jours, constatait le 2 octobre Yazdan Yazdanpanah, chef du service maladies infectieuses à l'hôpital Bichat, à Paris.
Olivier Bouchaud est sur la même ligne, même s'il observe une "croissance lente, progressive et préoccupante" des hospitalisations à Bobigny. "On doit gérer trois flux : le flux habituel, le flux de rattrapage des patients qui n'ont pas consulté pendant le confinement et le flux Covid. On sait qu'on va très vite être à saturation. Dès maintenant, il faut entamer des déprogrammations non urgentes, notamment en chirurgie, sinon dans trois, quatre semaines, on sera submergés", expliquait-il le 2 octobre.
Des soignants à bout de souffle
Si, actuellement, les indicateurs ne sont pas ceux du printemps, tous les spécialistes le disent : il y a toujours un décalage de quelques semaines entre les nouvelles contaminations et le flux de malades dans les hôpitaux. En Ile-de-France, le personnel soignant s'est déjà vu demander de reporter des congés. "On voit venir une situation extrêmement complexe dans les semaines qui viennent, fin octobre-début novembre, s'il n'y a pas de mesures strictes", prévient Olivier Bouchaud.
"On s'attend tous à un automne et un hiver difficiles. On est tous convaincus qu'on est partis sur six mois, alors qu'en mars, le fort de l'affaire a duré un mois et demi."
Olivier Bouchaud, chef de service à l'hôpital Avicenneà franceinfo
"Tenir un mois et demi en apnée, on y arrive, tenir six mois, ça va être très compliqué avec du personnel très ébranlé par la première vague et qui voit avec une vraie appréhension monter la deuxième vague", poursuit Olivier Bouchaud. Selon un sondage, près de 40% des infirmiers ont envie de changer de métier. Plusieurs syndicats hospitaliers et collectifs de soignants ont appelé à une journée de mobilisation et de grève nationale le 15 octobre pour demander des moyens supplémentaires.
Entre les effets collatéraux liés à la première vague, avec le report d'opérations notamment, et l'arrivée de la grippe saisonnière, la situation pourrait donc rapidement se dégrader dans les hôpitaux. "Les hôpitaux ne vont pas pouvoir déprogrammer des patients lourds comme cela s'est passé dans la première phase", a reconnu Jean Castex, appelant à la "responsabilité collective".
"Pensez à tous ces soignants ou ces infirmières, à toutes ces aides-soignantes. Ils vont être mis à rude épreuve."
Jean Castex, Premier ministresur franceinfo
Le Premier ministre a prévenu : "Si, dans cette période de 15 jours, nous voyons que les indicateurs sanitaires se dégradent beaucoup, que les lits de réanimation se remplissent plus encore que prévu, nous pourrons prendre des mesures supplémentaires."
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