Mer Rouge : la première victime des attaques houthies est finalement l'Égypte et son canal de Suez
Au départ, les rebelles houthis voulaient affaiblir l'économie d'Israël à travers des actions de piratage sur les navires marchands en mer Rouge liés à I'État hébreu. Mais ces attaques ont découragé les plus grandes compagnies de fret maritime. Depuis la mi-décembre 2023, les cargos ne passent plus par le canal de Suez mais par le cap de Bonne-Espérance. Ainsi 10% à 15% du transport maritime mondial se retrouvent perturbés. L’Égypte, privé de la rente des droits de passage, est finalement la grande victime de cette crise sécuritaire en mer Rouge et le président Sissi est mis à rude épreuve.
Les dégâts pourraient rapidement s’avérer catastrophiques pour l’économie égyptienne. Les conséquences sont immédiates : le canal de Suez est la 2e plus importante source de liquidités du pays. En temps normal, le revenu annuel est de 7,5 milliards d’euros. Chaque mois, 450 millions d’euros tombaient dans les caisses de l’État, grâce aux taxes de passages imposées aux compagnies de fret maritime. Depuis la mi-décembre, le trafic s’est considérablement ralenti, le Fonds monétaire international (FMI) vient de constater une chute de 35% des volumes transportés habituellement.
Stabiliser la zone et retrouver un niveau de confiance
L’économie égyptienne n’avait vraiment pas besoin de ça. En 2023, le pays a frôlé le défaut de paiement. En 2024, la dette devrait avaler près de 70% des revenus de l’État. La monnaie égyptienne vient d’être dévaluée et le gouvernement de Sissi a enchaîné les coups durs ces dernières années, notamment avec la crise du blé ukrainien. L’Égypte est l'un des plus gros exportateurs au monde et déjà en 2021, l’obstruction du canal de Suez par le porte-conteneurs Ever Green avait fait perdre beaucoup d’argent au pays.
Cet incident n’avait bloqué le passage que pendant deux semaines, mais cette fois-ci la situation est différente. David Des Roches, professeur à l’université de Défense nationale de Washington, a affirmé sur le plateau d’Al Jazeera : "Le grand perdant ici c’est l’Egypte, qui va perdre 30% de ces rentrées d’argent, en dollars, que lui rapporte le Canal. De plus, dans ce genre de contexte de menace sécuritaire, ça prendra du temps pour stabiliser la zone et retrouver un niveau de confiance."
Dépendance à l’opération Gardien de la Prospérité
Pour l’instant, tous les experts parlent d’une "crise temporaire" mais certains considèrent que si l’économie égyptienne a les capacités d’encaisser pendant un mois, au-delà, ce sera nettement plus compliqué. L’Égypte est donc aujourd’hui dépendante de l’opération Gardien de la Prospérité, l'opération militaire menée en mer Rouge par les Américains et une vingtaine d’alliés pour dissuader les rebelles houthis d’attaquer.
On note que l'Égypte ne participe pas à cette opération. Cela peut paraître étonnant, compte tenu de l’enjeu économique pour le pays. L'option était beaucoup trop dangereuse politiquement, la rue égyptienne étant majoritairement pro palestinienne. Abdel Fattah al-Sissi a déjà refusé d’envisager d’accueillir la population gazaouie sur son territoire, il préfère garder ses distances avec le conflit au Proche-Orient, quitte à s’exposer à une crise sur son propre territoire. Plus de 60% des Égyptiens flirtent aujourd’hui avec le seuil de pauvreté et, sans l’argent du canal de Suez, leur président aura du mal à subventionner le pain quotidien de la population, premier baromètre de la stabilité sociale du pays.
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