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Décharges sauvages, pollution des mers ou montée des eaux : la difficile question écologique en Indonésie, en Turquie et au Pays-Bas

Dans le Club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui, direction l'Indonésie, la Turquie et les Pays-Bas, trois pays confrontés à des problèmes écologiques importants.

Article rédigé par franceinfo - Gabrielle Maréchaux, Anne Andlauer et Pierre Benazet
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Des jeunes dans une décharge sauvage d'Istanbul, le 18 novembre 2021. (PHOTO D'ILLUSTRATION / BULENT KILIC / AFP)

Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) a une nouvelle fois tiré la sonnette d'alarme face au réchauffement climatique en avril dernier. En cause notamment : le poids de l'industrie dans la pollution de l'air et des mers. Tour d'horizon de trois pays confrontés directement à des problèmes écologiques. 

En Indonésie, la manne du nickel fait rêver les Etats et Elon Musk 

En Indonésie, l'exploitation du nickel, que l'on surnomme le "métal du diable", suscite l'intérêt des Etats et des industriels. Cette exploitation minière suscite également une préoccupation elle est loin d'être anodine pour les écosystèmes marins. 

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Le président indonésien était au Etats-Unis le mois dernier et son entrevue avec Joe Biden est passée presque inaperçue à côté de sa rencontre avec Elon Musk. Les deux hommes discutaient d’ambitieux projets d’exploitation du nickel indonésien. En tant que premier producteur mondial, l’archipel d’Asie du Sud-Est a de quoi séduire l’entrepreneur à la tête de Tesla. L’année dernière, Elon Musk faisait déjà les yeux doux à l’Indonésie en annonçant vouloir signer "un contrat géant pour une longue période" pour sa production de voiture électrique, qui "exploiterait le nickel de manière efficace et respectueuse de l’environnement".

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Cependant, pour bon nombre d'observateurs indonésiens, une exploitation respectueuse de l’environnement de cette matière première essentielle pour l’industrie des véhicules électriques n'est pas possible. Ces observateurs ne font que constater une raréfaction des poissons ou une pollution aux métaux lourds près des mines.

L’année dernière, les autorités avaient donné à une des principales sociétés minières l’autorisation de déverser sept millions de tonnes de déchets miniers par an dans la mer, avant de devoir faire marche arrière après des protestations. Cependant, d’après les spécialistes interrogés par le média Mongabay, les alternatives possibles pour remplacer ce projet initial pourraient être aussi tout aussi nocives.

Ces ravages environnementaux de la production des voitures électriques sont relativement peu connues, et en Indonésie, certains n’hésitent d’ailleurs pas à y voir une certaine hypocrisie. C’est le cas par exemple de WALHI, la plus grande association indonésienne de protection de l’environnement. Par le passé, son dirigeant a pu pointer du doigt un certain décalage dans la façon dont l’Union européenne s’empresse d'un côté de condamner les ravages environnementaux de l’industrie de l’huile de palme et, de l'autre, son relatif silence quand il est question du  nickel.

Il faut dire qu’il semble bien difficile pour l’Union européenne de bouder le nickel indonésien : un rapport estime que la demande de nickel de l'Union sera multipliée par 31 entre 2020 et 2040 et l’Indonésie reste de loin le premier producteur de ce métal du diable. 

En Turquie, une multiplication des décharges sauvages 

Si des pays d’Asie, comme la Chine depuis 2018, refusent désormais d'être les poubelles des pays occidentaux, la Turquie, elle, importe massivement des déchets plastiques pour les recycler et créer des matières premières utiles à son économie.

Les chiffres sont impressionnants. L'an dernier, la Turquie importait environ 43 000 tonnes de déchets par mois, contre seulement 4 000 tonnes avant 2018. Le pays est devenu le premier importateur de déchets plastiques européens, auxquels s’ajoutent 4 à 6 millions de tonnes générées chaque année par 84 millions de Turcs.

Conséquence de ce phénomène : la multiplication des décharges sauvages. L’ONG Greenpeace dénonce des contrôles sommaires aux frontières et à l’intérieur du pays. Il arrive ainsi que les plastiques importés ne soient finalement pas recyclables, ou que les sociétés de recyclage n’aient finalement pas les moyens de recycler tout ce qu’elles importent. Il y a aussi des entreprises qui opèrent illégalement, dont certaines ont été fermées ces dernières années.

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De plus, il n'y a pas uniquement le problème des décharges sauvages. Le nombre d'incendies dans les usines de recyclage plastique explose. L'an dernier, des incendies dans des centres de retraitement de déchets plastiques ont eu lieu tous les trois jours. Selon des experts et des militants écologistes, certaines entreprises pourraient avoir trouvé un moyen peu coûteux de se débarrasser de déchets non recyclables, qui devraient normalement être envoyés dans des usines d’incinération.

Depuis octobre 2021, un règlement prévoit de retirer son autorisation d’exploitation à toute entreprise du secteur reconnue coupable d’incendie volontaire. Cependant, les autorités manquent de moyens et surtout, de volonté politique pour freiner ces importations massives de déchets européens. Face au tollé provoqué par la publication d’images de décharges sauvages, la Turquie avait décrété en mai 2021 l'interdiction d'importer des déchets plastiques avant de lever l’interdiction une semaine après son entrée en vigueur.

Au Pays-Bas, un combat contre la montée des eaux

La lutte contre la montée des eaux n’est illustrée nulle part ailleurs aussi bien qu’aux Pays-Bas. Le royaume tire précisément son nom de sa faible altitude avec un quart (26%) de son territoire situé en-dessous du niveau moyen de la mer. La lutte contre la montée des eaux est une histoire millénaire puisque la première vague conséquente de construction de polders a commencé au dixième siècle.

La lutte en commun s’est formellement organisée avec les premiers conseils locaux de gestion des eaux créés en 1255. Au fil des siècles, les Néerlandais ont gagné sur les eaux des centaines de milliers d’hectares de terres agricoles avec des gains très frappants comme l’ancienne mer intérieure du Zuyderzée, désormais à moitié occupée par des polders.

Le problème du royaume est double. Il y a d’une part la menace millénaire de la mer aggravée par la perspective actuelle de la montée des océans. D’autre part, 60% du territoire est considéré comme vulnérable aux inondations. À cause de cette double menace, les Néerlandais ont acquis un savoir-faire considérable pour lutter contre les eaux qu’ils exportent même désormais à travers le monde.

Les Néerlandais ont d’abord construit des digues pour faire des polders et ont appris que le plus important n’est pas la hauteur mais la largeur de la digue. Ils ont ensuite constaté qu’on ne peut pas avoir de polder sans avoir un lac à côté. Après avoir construit des ouvrages pharaoniques pour barrer l’entrée de la mer du Nord, les Bataves estiment aujourd’hui qu’il faut lutter avec l’eau et non pas contre l’eau.

Le renforcement des digues continue mais aujourd’hui la priorité est à la création de nouvelles zones inondables. De vieux polders ont été remis en eau, des bras de rivière ont été élargis voire créés et des millions de tonnes de sable sont extraits au fond des mers pour créer de nouvelles dunes côtières. Enfin, dans les villes les plus basses, comme Rotterdam, sont construits des places publiques ou des terrains de sport surbaissés pour servir de bassin d’orage.      

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