:
Reportage
"Ça me faisait un poids sur le corps, sur le cœur" : le harcèlement scolaire avec des mots d'enfants
Le harcèlement est un fléau qui peut pousser parfois les adolescents au suicide. Un élève sur dix est victime de harcèlement en France, soit près d’un million d’enfants concernés selon les chiffres du ministère de l’Éducation, qui en a fait une priorité absolue. Selon une autre étude, réalisée par l'Ifop pour l'association Marion la main tendue, un jeune sur cinq en serait même victime. Pour réaliser cette immersion, il a fallu obtenir les autorisations du ministère de l’Éducation et du Rectorat de Toulouse. Une règle à respecter : l’anonymat.
Nous vous emmenons donc dans un collège de 630 élèves en Haute-Garonne, et vous n’en saurez pas plus. Une précision importante : parmi les dizaines d’élèves interrogés, huit d’entre eux nous ont dit avoir été victimes de harcèlement. Leurs histoires n’ont pas de lien entre elles. Ils ont tous tenu à témoigner, venant le plus souvent spontanément jusqu’au micro. Les adultes ne sont pas absents de ce reportage, mais ils sont là uniquement dans le dialogue qu’ils peuvent avoir avec les enfants et les réponses qu’ils peuvent leur apporter. La priorité est donnée aux élèves, à leur vérité, leur réalité, celle de la cour de récréation, des couloirs, de la cantine.
Dans le hall du collège, il y a une exposition de photographies sur le harcèlement. Sous les cadres, les élèves ont écrit quelques mots importants : " jugement", " effet de groupe", " estime de soi", " stop harcèlement", "entraide". Et cette phrase : "Mettre des mots sur les maux". Un seul objectif donc, pendant les trois jours qui nous ont été accordés pour réaliser ce reportage : raconter le harcèlement avec leurs mots d’enfants.
"Ce n’est pas normal que des enfants se suicident"
Il est 8h, le collège se réveille, les surveillants font rentrer au pas de course les élèves. À l’intérieur, certains sortent déjà un ballon. Ils ont une petite demi-heure devant eux pour se dégourdir les jambes avant que la sonnerie ne retentisse, signe du début des cours. Pour un journaliste, impossible de passer inaperçu. Chacun leur tour, les élèves regardent du coin de l’œil ce micro franceinfo, intrus du matin. "Vous êtes là pour le harcèlement !, sourit une petite, qui a deviné. Je suis trop intelligente !". Ils savent de quoi ils parlent : " Le harcèlement, il faut tout de suite venir en parler, à partir d’une semaine ça devient grave". "C e n’est pas facile d’en parler, parce que tu as peur que ça recommence si on le dit, mais en pire !", ajoute une copine.
Un élève s’approche, la voix un peu étranglée, un peu révoltée : " Ce n'est pas normal que des enfants se suicident pour un sujet pareil ! Ça ne devrait pas arriver !". Très vite, les enfants pointent du doigt mon téléphone portable, et le cyberharcèlement s’invite dans la discussion : "Le harcèlement, c’est devenu banal à cause des réseaux". Le collège n’est pas épargné, une jeune fille raconte pendant que ses amies opinent du chef : " Il y a des gens qui ont créé un compte Instagram dans le collège l’année dernière pour juger les gens, en anonyme". Sur ce compte, on pouvait lire selon elle des insultes : " elle est grosse", " elle a des boutons"... Des élèves de l’établissement étaient directement ciblés. La sentence des élèves tombe : " C’est inutile et hyper méchant".
"Il est souvent tout seul dans la cour"
Discrètement, une élève de 3e s’approche de l’un des conseillers principaux d’éducation (CPE). Elle est venue signaler le cas d’un camarade : " Depuis le début de l’année, il est souvent tout seul dans la cour, il est souvent assis tout seul en classe. À force, ça devient inquiétant... Peut-être qu’il ne se sent pas bien dans le collège ou des trucs comme ça". Le CPE tend l’oreille et ne laisse pas passer l’occasion. Le réflexe de cette élève est le bon : "On travaille énormément sur ça (...) avec tes camarades n’hésite pas à aller vers lui (...) lui demander si ça va ou pas. Même nous en tant qu’adulte, on observe, mais après si tu vois que ça s’aggrave, n’hésite pas à faire remonter les choses et nous, on avisera".
On demande à cette adolescente si elle est concernée : elle l’est. Elle dit avoir été harcelée en 6e et en 5e : "J’essaie de faire gaffe maintenant (...) voir si les gens sont tout seuls, car, que ce soit les insultes ou des trucs comme ça, ça peut vite devenir du harcèlement et c’est très dangereux pour nous". À l’époque, personne n’a signalé son cas, et elle-même n’a rien dit. Une erreur selon elle : "Ça pouvait être grave, je n’en pouvais plus. C’était des insultes tous les jours, sur les réseaux sociaux ou au collège. Vivre ça, ce n’est pas cool, c’est la boule au ventre à venir au collège en se disant ce qui va se passer ?"
Sa mère s’en est rendu compte, elle a menacé de déposer une plainte à la gendarmerie. Le harcèlement a cessé "d’un coup". "J'ai eu des excuses (...), mais j’ai toujours peur que ça recommence", confie-t-elle .
"Je ne suis pas comme avant le harcèlement. Les gens qui vivent ça, c’est dur pour eux, parce qu’ils vont se remettre en question. Et après, ils ne sont plus pareils. Il y a quelque chose en eux qui aura changé".
Une élèveà franceinfo
Peut-on le réparer ? Silence. L’adolescente reprend : "C’est compliqué. C’est comme si on perdait confiance en nous. Moi j’ai plus confiance en moi." On s’arrête là. La sonnerie retentit. Il faut aller en cours.
Balbutiements de harcèlement
Il y a deux petits retardataires au bureau de la vie scolaire, mais c’est la faute du journaliste qui voulait leur parler. La vie scolaire, c’est le fief des AED, des assistants d’éducation, pédagogiques et de prévention sécurité qui interviennent au quotidien dans les collèges et lycées publics, auprès des élèves et en lien avec les équipes pédagogiques.
Bastien, l’un des AED, nous présente donc ces deux retardataires avec leurs gros cartables, l’un est en 6e, l’autre en 5e. Ces derniers jours, dans la cour, le second a mis à terre le premier, "deux ou trois fois" et "pour rigoler". L’élève de 6e "était un peu énervé" qu’on lui fasse cela. On leur demande si, pour eux, cela ressemble à du harcèlement. Les deux répondent en chœur : "Oui un peu, un tout petit peu, parce que ce n’est pas bien", concède l’élève de 5e, qui a finalement présenté ses excuses après l’intervention de l’AED, Bastien.
Excuses acceptées, mais toujours copains ? "Moyennement", lâche le 6e, alors que son aîné avoue qu’il a subi des brimades lui aussi, en primaire : "Comme lui, on me mettait par terre". Alors, pourquoi faire vivre la même chose à d’autres ? L’élève de 5e regarde les adultes qui l’entourent un peu perdu : "J’sais pas". Le 6e promet que s’il voit des gestes similaires dans la cour, il préviendra "les grands, comme Bastien".
Bastien est toujours là : "Je suis fier de vous les garçons, ce n’est pas facile surtout à leur âge. C’est moi qui m’en suis occupé, je t’ai grondé, tu t’en souviens ?" Le 5e s’en souvient très bien oui. Bastien explique : "Il fallait lui faire comprendre qu’il était en train de basculer dans du harcèlement, car quand on voit son camarade pleurer et qu’on continue c’est qu’il y a un manque flagrant d’empathie et il fallait recadrer tout ça". Bastien raccompagne les deux petits retardataires à la vie scolaire.
La gendarme, le prof et l’élève
Salle 109, les gendarmes sont en visite au collège. Comme ils le font régulièrement, ils sont venus sensibiliser les élèves au harcèlement et au cyberharcèlement. Ce jour-là devant une classe de 4e. La gendarme s’adresse à eux sans détour : "Si vous êtes présent au moment où un élève est en train de se faire frapper, insulter, humilier, rabaisser, et que vous ne faites rien pour l’empêcher, vous êtes complices de cette situation. Vous avez maintenant toutes les informations (...), vous êtes grands, vous êtes élèves de 4e. À vous de réfléchir à vos comportements, vous avez été prévenus. Des questions ?" La seule question vient du professeur de français assis en fond de classe, question qu’il pose aux élèves : "Levez la main ceux qui se seraient sentis harcelés. Est-ce que vous arriveriez à le faire ?" Une main se lève. Le micro se rapproche. Avec l’accord de l’élève, à notre tour de poser des questions.
C’était dur de lever cette main ? L’élève dit non, "je crois vraiment que je suis harcelé". Il a posté une vidéo sur Internet. Il y a un an et demi. Sur cette vidéo, il danse, avec sa mère : " Ils se sont tous moqués de moi (...), tous les jours, ils me rabaissaient toute la journée. Au tout début, c’était facile, j’arrivais à le tenir, ça ne me faisait pas forcément de peine parce que ça me faisait un peu rire, mais au bout d’un moment ça devenait abusif. C’était long, ça me faisait un poids sur le corps, sur le cœur". Il a cherché une solution. Il a trouvé une médiation. Une forme d’autorégulation : "Un de mes amis qui est ami avec ceux qui me faisaient du mal, il a parlé avec eux et depuis ça a cessé, mais il y a des moments où ça recommence".
Le professeur de français se joint à la conversation : "Je t’avais en classe l’année dernière, et je ne l’ai pas su sur le moment. Je l’ai un peu appris plus tard. Je le trouve à la fois courageux et je suis embêté de ne pas avoir été au courant au moment où il y a des choses qui ont eu lieu". Il demande à son élève : "Est-ce qu’il y a eu un accompagnement ?" L’élève fait non avec la tête : "Je trouve que ce n’était pas vraiment un accompagnement, je l’ai juste dit à ma mère".
Le professeur réagit : " Depuis l’année dernière, il y a un dispositif, le pHARe, par rapport au harcèlement, et qui a fonctionné sur plusieurs cas. Donc il faut vraiment le dire à la communauté éducative pour qu’on puisse le traiter à l’intérieur du collège avec les familles, le chef d’établissement et surtout la victime. Mais merci d’en parler, c’est très bien de le faire." De nouveau, la sonnerie vient mettre un point final à cet échange. En partant, l’élève de 4e rassure son professeur. En cas de soucis, il reviendra vers lui. Et il nous le promet, il continuera à danser : "Je fais ce que j’aime". Un petit sourire et il file. La cantine n’attend pas.
"J’avais un peu honte de me faire harceler"
Dans la file d’attente pour aller manger, c’est sauvage. Les surveillants haussent le ton, mais le brouhaha des élèves affamés prend le dessus en termes de décibel, et laisse peu de chances aux réprimandes. On se bouscule, on grappille des places, "les grands 3e" grillent la politesse aux "petits 6e" car manger vite veut aussi dire avoir une récréation plus copieuse. Une élève s’agace et nous prend à témoin en désignant un groupe de garçons : "Ils font que m’appeler Sarah-croche et Sarah-pelle, c’est un peu soûlant ! Pourquoi ils m’appellent comme ça ? C’est comme du harcèlement, mais ce n'est pas du harcèlement..." Et sa copine précise : "Ce sont des vannes, mais c’est un peu du harcèlement".
On prend notre place dans la file, on décline poliment la soupe de potimarron au menu, mais on pose deux desserts sur le plateau. Reste à trouver une place à table. Nous sommes conviés par des jeunes de 12 ou 13 ans. En avalant une purée tout à fait sympathique, les élèves relancent le débat : "Ce n’est pas bien le harcèlement, il faut arrêter, c’est injuste, personne ne mérite ça", le copain en face acquiesce et complète le propos : "C’est important d’en parler parce que si on n’en parle pas, on peut avoir des intentions suicidaires. Quand il y a eu la fille qui est morte parce qu’elle s'est suicidée à cause de ça, mes parents m’ont dit de dire s'il y avait un problème ou quoi que ce soit au collège".
Pendant que le micro essaie de capter une ambiance de cantine nécessaire au montage du reportage audio, un élève de troisième se manifeste : "Moi j’ai été harcelé". C’était en 5e et en 4e. Il raconte que des groupes ont été créés sur les réseaux pour le critiquer, "on a pris une photo de moi et on l’a publié et ils ont fait des montages avec. Ils disaient des trucs comme quoi j’étais gay, alors que je ne le suis pas donc je ne vois pas pourquoi ils viennent me voir pour ça." Pendant plusieurs mois, il ne dit rien à sa famille : "J’avais un peu honte de me faire harceler", persuadé à l’époque que la honte était du côté de la victime : "Moi, c’est comme ça que je le voyais, je croyais que personne ne m’aimait." Finalement, ses parents sont mis au courant, ils déposent une plainte à la gendarmerie. Le harcèlement cesse, et depuis, ses notes remontent "Je me sens mieux, maintenant, je me rends compte que je m’aime, les autres, ils font ce qu’ils veulent", confie-t-il, réconcilié avec l’estime de soi. La sonnerie nous rappelle à l’ordre. Laissons-le finir tranquillement son dessert.
"Je n’étais pas vraiment considéré comme un harceleur"
On se perd un peu dans les couloirs du collège, et on tombe sur un groupe de 3e. "C’est pour faire un reportage ?", trois garçons veulent bien se poser près de la fenêtre et discuter. L’un d’entre eux fait l’objet d’une plainte pour harcèlement, accusé par un autre élève de l’établissement : "Je suis allé au commissariat pour témoigner. C'est un abus de la part de cet élève, l’impression d’être accusé pour rien". Ce qu’on lui reproche ? Selon lui, il n’est pas le seul visé, il parle d’un groupe d’élèves : "On était accusé de l’avoir frappé, des balayettes ou je ne sais pas, alors qu’il ne s’est rien du tout passé". Il affirme en avoir parlé avec sa professeur d’allemand, et il précise : "Par rapport aux adultes, moi, je n'étais pas vraiment considéré comme un harceleur."
Il ne comprend pas : "Pourquoi cet élève pense qu’on lui fait du mal ? Je suis déçu de cet élève, on n'est plus pote maintenant. Il a dit ça à ses parents, ses parents ont porté plainte et c’est pour ça que je suis allé au commissariat. C’était juste pour une remarque ou deux." Il s'interroge sur les leçons à tirer de tout ça : "Il faut minimiser les blagues qui peuvent être mal prises (...) dans ce cas-là, c’était vraiment une ou deux fois, (...) mais ses parents ont pensé que c’était vraiment un truc grave et qu’il allait en venir à se donner la mort". Est-ce que c’était grave ? Pour lui : "Non pas vraiment".
Ses camarades ont écouté avec attention ce témoignage. Ils nous donnent un peu de contexte : "On connaît bien l’ami qui lui a reproché de l’avoir harcelé, et en fait, c’est un élève plutôt sensible (...) il dit que ça l’a beaucoup blessé parce qu’ils critiquaient son style vestimentaire régulièrement. Il y a quelques fois où ils ont établi un rapport de force parce qu’ils étaient plusieurs. Par exemple, une fois, je crois qu’ils lui ont volé sa trousse et l’ont jeté dans la poubelle. Il y a des fois comme ça où il était en dessous dans le rapport de force, ça lui a fait du mal, je crois. Sur ce cas-là en particulier, les deux côtés doivent en tirer des leçons. Ceux qui l’ont embêté doivent faire leurs blagues qu’avec un groupe restreint, ceux qui comprennent, et ne pas aller embêter quelqu’un qui n’a rien demandé. Et lui [l’élève qui a signalé le harcèlement] peut-être qu’il peut essayer de prendre du recul et de juger si c’est vraiment méchant ou si c’est juste sur un ton de rigolade". La sonnerie ne nous a pas oubliés. Il ne reste plus qu’une heure de récré.
"Je me suis fait frapper beaucoup de fois"
La cour de récréation. Un élève du "Club Journal" veut bien jouer au journaliste avec ses camarades. On lui prête le micro. Première question : "C’est quoi le harcèlement ?" Un copain qui a "13 ans pour l’instant" se charge des réponses : "Quand on embête quelqu’un de façon méchante et à répétition, par exemple si on se fait pousser, si on se fait frapper, quelque chose de récurrent, ça peut être du harcèlement." Deuxième question : "Comment on peut se faire harceler, à quel moment ?" Réponse : "Tu peux te faire harceler la journée quand tu pars à l’école, au collège, le week-end avec du cyberharcèlement, tu peux te faire harceler à n’importe quelle heure. Ça peut se passer dans la cour, ça peut se passer au moment où on va aux toilettes pour boire, ça peut se passer n’importe où, à la fin d’un cours, quand on part dans les couloirs." C’est précis. Car il y a du vécu.
L’élève continue : " Tout à l’heure, je disais que je m’étais fait harceler toute ma primaire. Parce que j’étais différent, j’ai toujours eu des troubles de l’attention, j’ai vu beaucoup de psychologues. Et donc personne ne m’aimait, je suis toujours resté tout seul avec un livre. J’ai surtout subi des coups, je me suis fait frapper beaucoup de fois, je suis revenu beaucoup de fois avec plein de blessures et c’étaient surtout aussi des insultes. Des insultes méchantes." Troisième et dernière question : "Que feriez-vous pour lutter contre le harcèlement ?" Réponse : "Ne restez pas à stagner, à vous faire harceler. Il faut le vouloir, il faut réussir à ressortir de ça, se dire qu’on n’est pas aussi faible que ça, on peut réussir. Sinon à force ça va empirer et ça pourrait ne pas être cool pour votre vie, vous pourriez vous en souvenir." Un dernier conseil de celui qui dit s’en être sorti : "Parlez-en, essayez de vous faire des amis et de voir avec vos parents. Bonne chance à vous".
"On m’a envoyé une photo avec un couteau"
Elle est déjà venue nous voir à la récré de 10h30 pour nous prévenir : "J’ai été victime de harcèlement et cyberharcèlement". Pas le temps de se parler à ce moment-là, la sonnerie l’éloignait déjà du micro au moment où elle nous donnait rendez-vous à la cantine. On se rate à la cantine. Dernière tentative à la récré de 13h. Cette fois, c’est bon, on trouve un banc. Elle s’installe entourée de quelques copines, qui posent leurs mains sur ses épaules. Elle est soutenue. Alors elle parle. Elle est en 5e, elle a 12 ans et une voix d’enfant. Elle a changé de collège cette année : "Que ce soit la victime qui change de collège, ce n’est pas normal."
Pour elle, le harcèlement a duré du mois de juin jusqu’à la rentrée avec des messages effrayants reçus sur les réseaux Snapchat ou TikTok : "Je me souviens qu’on m’avait envoyé une photo avec un couteau en me disant 'on va venir chez toi', ou des vidéos de ma maison en disant 'on arrive'... Je n’en ai pas parlé tout de suite à mes parents, j’avais peur". Peur "d’être jugée, qu’on nous rejette, qu’on nous dise que ce n’est pas du cyberharcèlement". Peur que ce ne soit pas assez grave.
"Au début, je ne m’en rendais pas compte, vu que pour eux, c’était marrant. Je me suis dit que ce n’était pas du harcèlement, que ça ne servait à rien que j’en parle à ma mère".
Une élève victime de harcèlementà franceinfo
Ses parents finissent par l’apprendre et portent plainte à la gendarmerie : "Je dois aller au tribunal pour raconter ce qu’il s’est passé." Elle nous dit qu’elle fait encore des crises d’angoisse, comme le jour de la rentrée dans ce nouveau collège : "Parce que j’avais peur d’être re-harcelée." On lui demande si elle s’est fait du mal, physiquement, pendant cette période. Mais on lui explique aussi qu’elle n’est pas obligée de répondre, c’est elle qui décide. "Oui", elle s’est fait du mal. Elle n’entre pas dans les détails, et on n'en demande pas, mais elle évoque une réunion avec sa mère, le CPE, le principal et l’infirmière de son ancien collège un jour où elle "n’était pas là". Les amies inquiètes avaient alors prévenu les adultes.
Si elle se confie, c’est pour les autres : "J’ai su que ça allait passer à la radio, et peut-être que des gens qui se font harceler vont écouter. Je trouve que c’était important de partager mon histoire et de savoir comment je m’en suis sortie, à peu près." Car il y a encore du chemin à faire : "Il y a des trucs qu’ils ont beaucoup critiqués que j’ai un peu du mal à 're-aimer', mon nez et mon front". Les copines sont en désaccord et interviennent tout de suite : "Elle est trop belle ! C’est la plus belle ! Et en plus, elle a des graves bons goûts, on est habillé pareil !" Elle poursuit avec un message aux élèves harcelés qui auraient du mal à en parler : "Laisser une lettre sur table avant de partir au collège". Elle a moins peur désormais, elle veut faire face et se donne les moyens d’y arriver : "Je fais de la boxe !" Elle plaisante à moitié. Mais surtout, elle sait vers qui se tourner : "Ma mère, ma famille." Sans oublier les copines bien sûr. La sonnerie, toujours elle, nous pousse à en rester là. La petite assemblée s’éloigne bras dessus, bras dessous en se souhaitant "du bonheur, de la joie de vivre !"
Avant que le micro intrus ne se retire une bonne fois pour toutes de la cour du collège, des enfants lancent un dernier cri du cœur : " Appelez le 3020 ou le 3018 et parlez-en à quelqu’un, nous, on est contre le harcèlement !" . La sonnerie se répète, insiste et nous pousse vers la sortie. Cette fois, on ne peut pas y échapper. Un élève compatit : "Elle est horrible cette nouvelle sonnerie."
Pour signaler toute situation de harcèlement ou de cyberharcèlement, que vous soyez victime ou témoin, il existe un numéro de téléphone gratuit, anonyme et confidentiel : le 3018, joignable 7 jours sur 7, de 9 heures à 23 heures, ainsi qu' une application. D'autres informations sont également disponibles sur le site du ministère de l'Education nationale.
Si vous avez besoin d'aide, si vous êtes inquiet ou si vous êtes confronté au suicide d'un membre de votre entourage, il existe des services d'écoute anonymes. Le 3114, numéro national de prévention du suicide, est joignable 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. D'autres informations sont également disponibles sur le site du ministère de la Santé et de la Prévention.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.