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"On travaille 24 heures sur 24" : dans un bunker de Kiev, des nurses veillent sur des bébés nés de GPA

L'Ukraine est l’un des seuls pays au monde à autoriser la GPA pour des parents étrangers. Mais la guerre a tout bouleversé. Et sur place, les nouveaux-nés attendent dans des pouponnières à l'abri des bombes.

Article rédigé par Etienne Monin, Gilles Gallinaro
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Dans une pouponnière, à l'abri dans le sous-sol d'un immeuble de Kiev, des nurses veillent 24h/24 sur des bébés nés de gestation pour autrui.  (GILLES GALLINARO / RADIO FRANCE)

Une pouponnière improvisée a été aménagée au sous-sol d’un immeuble couleur crème de la capitale ukrainienne, Kiev. Des poussettes et des landaus sont alignés dans ce deux pièces sans fenêtre, derrière une porte en fer. Selon Biotexcom, principale agence de GPA en Ukraine, 50 enfants sont nés d'une mère porteuse depuis le début la guerre, il y a plus d'un mois désormais, et 450 mères porteuses doivent encore accoucher.

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Six nurses, dont Svetlana, veillent, dans ce bunker, sur les 21 bébés nés par gestation pour autrui (GPA). "Dès que nous avons compris que la guerre était une réalité, nous avons préparé cet abri et installé les enfants à l’intérieur. Nous avions pris le maximum de choses dont nous avions besoin. Ensuite, quand les explosions se sont calmées, on a apporté des landaus, des lits, des poussettes. On a rendu l’endroit plus confortable. On travaille 24 heures sur 24. Nous n’abandonnerons pas ces bébés", promet-elle.  

Six nurses veillent sur les bébés nés de la gestation pour autrui, dans cette pouponnière installée au sous-sol d’un immeuble à Kiev, en Ukraine. (GILLES GALLINARO / RADIO FRANCE)

Le plus jeune des bébés a quatre jours, le plus âgé six mois. Les mères porteuses ont signé le document d’abandon mais tous les parents d’intention n’ont pas encore pu venir. La récupération des enfants a été bouleversée d’abord par la pandémie Covid-19 et désormais par la guerre en Ukraine

Igor Petrovitch, médecin en chef de Biotexcom, principale agence de GPA en Ukraine, organise presque une opération d'exfiltration lorsque les parents viennent dans le pays ou à la frontière.

"Je prends une arme. Je prends le bébé dans les bras. On part en convoi dans une voiture. On rencontre les parents, on donne le bébé, les documents, on se serre la main. Et on part."

Igor Petrovitch, médecin en chef de Biotexcom

à franceinfo

"Dans cette situation, les parents sont choqués. Ils ont les yeux écarquillés. Entre ces sirènes qui sonnent et leur bébé", raconte le médecin. Les parents d’intention sont Français, Italiens, Espagnol, Chinois, Canadiens... La plupart des Français ont pu venir chercher leur enfant malgré la guerre. La fille d'intention de Mathilde (nom d'emprunt) est née le 13 mars à une centaine de kilomètres de Kiev. Elle l’a rencontré le lendemain. "Nous étions très angoissés. Je risquais ma vie, mon mari aussi. Mais on ne pouvait pas laisser notre bébé dans ce contexte de guerre. On est arrivé à l’hôpital, on nous l’a mis dans les bras. Et on est repartis", explique-t-elle à franceinfo.

Des bébés apatrides 

En revanche, le bébé de Mathilde n'a eu qu'un laisser-passer pour entrer en France : l'Ukraine n'a pas pu délivrer un certificat de naissance. Sa fille n’a donc pas d’identité officielle, pas de sécurité sociale. Plusieurs familles sont dans ce cas en France. Maître Catherine Clavin, avocate spécialisée en droit de la filiation a lancé une dizaine de procédures depuis le début guerre pour établir l’identité de ces bébés nés de GPA. "Il ne nous reste plus qu’à saisir le tribunal du domicile des parents pour demander à obtenir un jugement qui va palier l’inexistence de l’acte de naissance, et donc déclarer l’état civil de cet enfant".

En attendant, les bébés dans cette pouponnière ont une identité fictive, provisoire. Des post-it, mauves pour les filles et bleus pour les garçons, sont collés sur leurs berceaux. Les nurses y ont écrit le nom de famille de la mère porteuse "parce que l’enfant n’a pas encore de documents. On leur donne nous-même un prénom. On choisit des prénoms ukrainiens comme Igor Petrovich, qui est un enfant qui vient d’être récupéré par ses parents, ou Nicolaï Igorevich", explique Svetlana. 

Sur des post-it, les nurses ont inscrit les prénoms qu'elles ont donné à ces bébés nés de GPA pendant la guerre en Ukraine, en attendant que leurs parents puissent les récupérer.  (GILLES GALLINARO / RADIO FRANCE)

A côté de ces enfants loin de leurs parents, il y aussi la situation des mères porteuses. Selon Biotexcom, 450 doivent encore accoucher. Sonia et Samuel Vacher attendent, angoissés, la naissance d'une petite fille pour début juin. Depuis la France, le couple prend des nouvelles de la mère porteuse. Elle vit en zone occupée, dans le secteur de Kharkiv, à l'est du pays. "Elle s’est sentie en sécurité chez elle. Puis, un jour elle nous a dit : 'les Russes sont dans ma ville'. Puis après ça a été : 'ça bombarde'. On lui a dit qu'il fallait vraiment qu'elle parte mais elle nous a dit 'maintenant c’est trop dangereux parce qu’il y a une voiture qui a essayé de sortir de la ville, ils lui ont tiré dessus, ils sont tous morts".

"Qu’est ce qui peut arriver à notre gestatrice, à sa famille, du coup à notre enfant ?"

Samuel Vacher

à franceinfo

Le couple a plusieurs craintes : "Est-ce qu’elle va pouvoir être évacuée dans une zone plus sure ? Si s’est pas le cas, comment va-t-elle faire pour accoucher si dans sa ville il n'y a plus d’hôpital, plus de médecins ? Comment va-t-on pouvoir récupérer notre enfant ?", s'interroge Samuel Vacher.

La nurserie de Kiev n'est pas un cas isolé. Il existe une dizaine d’agences de GPA en Ukraine. C’était une importante activité avant la guerre car c'est l'un des rares pays à proposer la gestation pour autrui aux étrangers. La procédure coûte environ  50 000 euros.

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