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Mali : comment la Russie souffle sur les braises du sentiment anti-français

La communauté internationale a le regard tourné vers l'Ukraine et la menace russe. Mais Moscou cherche aussi à étendre son influence en Afrique.

Article rédigé par franceinfo - Franck Cognard
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Un homme brandit une pancarte "à bas Emmanuel Macron, vive la Russie" lors d'une manifestation de masse à Bamako (Mali), le 14 janvier 2022. (FLORENT VERGNES / AFP)

Alors que l'inquiétude de la communauté internationale monte au sujet de l'Ukraine et des intentions de la Russie, Moscou applique une stratégie anti-française très claire au Mali, en Afrique, avec d'abord l'envoi de 500 mercenaires de la société militaire privée russe Wagner en fin d'année 2021. Face au retrait progressif des troupes françaises, le Mali a annoncé, par la voix de son Premier ministre, explorer d’autres voies pour sa sécurité. L’option d’un groupe paramilitaire est alors apparue, le groupe russe Wagner, qui a déjà fait parler de lui en Ukraine, en Syrie et en Libye. Ce déploiement accepté et signé par les Maliens n'est qu'un volet de cette "stratégie d'éviction de la France", selon les haut-gradés français.

>> Au Mali et en Centrafrique, le message politique de la France ne passe plus

L'autre volet, c'est la désinformation sur les réseaux sociaux. C'est parfois grossier, et cela pourrait même paraître, de loin, rigolo, comme cette vidéo à destination des Maliens. Elle dure cinq minutes, et une voix robotique féminine annonce "un flash journal information". "Savez-vous que les deux tiers du Nord Mali ont déjà été libérés ? En moins d’un mois. La France a fait combien de temps au Mali ?, questionne la fausse présentatrice. Les FAMa [Forces armées maliennes], en collaboration avec les militaires russes, ont procédé ce 12 janvier 2021 à des engagements militaires dans le nord du pays notamment aux environs de la commune d'Ansongo."

Des vidéos mensongères, sur le fond mais aussi sur la forme. Des images prétendument tournées quelques jours auparavant au Mali mais datant de plusieurs années et concernant un autre pays, il y en a des centaines qui saturent les réseaux sociaux. À Paris, au QG des armées françaises, les regards se tournent vers l'est, vers Moscou.

Des "usines à trolls" sur internet

Le sentiment anti-français qui s'exprime au Sahel n'est pas créé par la Russie, mais il est utilisé et instrumentalisé par Moscou. Une partie de la population malienne vit Barkhane comme une armée d'occupation. Elle se dit qu'après neuf ans de guerre, la France n'a pas rétabli la sécurité, en oubliant d'ailleurs au passage de regarder ce que fait, ou plutôt ne fait pas, l'armée malienne.

Comment ce sentiment anti-français est-il instrumentalisé ? Par des usines à trolls, des fabriques de faux comptes. "Ce sont des comptes, des avatars qui vont participer à des discussions et qui viennent résolument pour perturber un peu les échanges, explique le général de division aérienne Didier Tisseyre, commandant de la cyberdéfense au ministère des armées. On parle d'usines à trolls, où en effet, il y a une génération semi-automatisée justement avec des humains derrière et parfois même de l'utilisation d'intelligence artificielle ou d'algorithmes pour pouvoir justement démultiplier l'impact et l'effet de ces comptes."

"On le voit très récemment sur les attaques qu'ont subi un convoi, disant que ces convois transportaient des armes pour les groupes terroristes. Ça paraît fou et à la limite, plus c'est fou, et plus ça va être colporté."

Le général Didier Tisseyre, commandant de la cyberdéfense au ministère des Armées

à franceinfo

Qui est aux manettes derrière cette stratégie anti-française au Sahel ? Là encore, pas de preuves directes, mais de forts soupçons pèsent sur un homme qui finance à la fois les mercenaires de Wagner et des usines à trolls : Evgueni Prigojine. Dans les années 1990, cet ancien prisonnier ouvre le premier stand de hot-dogs en Russie.

À Saint-Pétersbourg, il fréquente un ex-agent du KGB qui entre en politique, Vladimir Poutine. Avec cet appui, Evgueni Prigojine développe ses affaires dans la restauration, puis dans les médias. Aujourd'hui, le système Prigojine, c'est un trident : trois pointes qui ont déjà perforé d'autres pays africains. "À chaque fois qu'ils s'implantent sur des pays africains ou en Syrie, on suit plus au moins le même triptyque : présence militaire, présence d'entreprises d'extraction de matières premières et de médias dans l'appui informationnel, explique Colin Gérard, analyse géopolitique de la stratégie d'influence informationnelle russe en France. On l'a observé en Centrafrique. Les militaires de Wagner sont là pour former l'armée centrafricaine, des entreprises de Prigojine sont là pour extraire des diamants, et des médias sont financés par les Russes pour appuyer et légitimer toute cette présence là."

"Evgueni Prigojine agit en fonction des intérêts du Kremlin, mais surtout en fonction de ses propres intérêts et ce qui est certain, c'est qu'il a un accord tacite du Kremlin mais que jamais il ne pourra développer des activités qui seraient contraires aux intérêts de la Russie."

Colin Gérard, analyse géopolitique de la stratégie d'influence informationnelle russe en France

à franceinfo

En Centrafrique, Evgueni Prigojine et ses alliés ont aussi réussi à mettre la main sur les ressources douanières. Au Mali, pour l'instant, le gouvernement verse mensuellement dix millions d'euros à Wagner pour les 500 mercenaires, dont le nombre grossit un peu chaque jour.

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