Au Mali et en Centrafrique, le message politique de la France ne passe plus
Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qu'il se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui direction Bamako et Bangui où s'exprime une défiance contre les discours et l'intervention militaire de l'ancien colonisateur.
Emmanuel Macron a fait des relations avec le continent africain l'une des priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Un sommet UE-Afrique se tiendra les 17 et 18 février prochains alors que les relations de Paris avec le Mali et la Centrafrique se sont récemment tendues.
Au Mali, l'intervention politique et militaire de la France critiquée
La junte malienne appelle à la manifestation de la population, vendredi 14 janvier, après les sanctions cette semaine de la Cedeao, et les menaces de nouvelles restrictions de la part des États-Unis et de l'Union européenne. Sous l'impulsion de la France, des pressions sont aujourd'hui exercées contre les militaires maliens pour qu'ils respectent le processus démocratique. Mais le message politique envoyé par Paris en Afrique est-il toujours bien perçu par les populations ?
Rarement les relations diplomatiques entre la France et le Mali n’ont été aussi délétères. Les deux coups d’État militaires en neuf mois entre août 2020 et mai 2021 ont occasionné une rupture de confiance entre Paris et Bamako. Le non respect des engagements des autorités de transition vers un retour à un ordre constitutionnel via l’organisation d’élections générales en février 2022 ont, de plus, intensifié les divergences de vue entre les deux pays.
Le Président de la Transition, SE le Col @GoitaAssimi a reçu en audience ce mercredi, SEM @presgoodluck, médiateur de la CEDEAO dans la crise malienne . Au centre des échanges: l’évolution de la situation politique au Mali. pic.twitter.com/JN88QT4PM1
— Presidence Mali (@PresidenceMali) January 5, 2022
Le gouvernement malien estime que c’est sa stratégie de rapprochement avec la Russie qui est remise en cause. La France en première ligne ainsi que plusieurs pays occidentaux dénoncent depuis plusieurs semaines le possible déploiement de mercenaires de la société Wagner. Le Mali s’en défend en parlant de partenariats d’État à État avec la Russie. Pour la population malienne, le retour à la sécurité est fixé comme une priorité et pour beaucoup l’opération Barkhane a échoué à mettre fin aux conflits dans le pays. Ce qui entraîne un rejet et une défiance vis à vis de la présence militaire française chez une partie des Maliens.
Outre l’aspect sécuritaire, c’est aussi la politique française au Sahel qui est remise en cause. Les contradictions de la France au sujet de la défense des principes démocratiques dans le monde sont régulièrement pointées du doigt. Blaise Diarra, médecin à Bamako, résume cette défiance : "Je ne comprends pas, en Arabie Saoudite, au Qatar, il n’y a pas de démocratie. Leurs alliés, c’est la France et les États-Unis. Il n'y a pas de limitation des mandats des présidents en Europe et ça ne pose pas de problème, je ne comprends pas. Dans les pays asiatiques, la même chose."
"Est ce que c’est parce que nous sommes pauvres, ou que nous sommes noirs, qu’ils veulent nous imposer quelque chose qu’ils ont calqué sur leur population et qu’ils veulent nous imposer à nous ? Je dis non, la démocratie, d’accord, mais chaque pays a sa façon d’être gouverné."
Blaise Diarra, médecin malienà franceinfo
Au Mali, la France est perçue par une partie de la société civile comme ayant une politique agressive qui défend uniquement ses intérêts économiques en Afrique. Une large frange de la population milite pour des partenariats gagnant-gagnant entre les États, et fustige "France-Afrique" et ses rapports de domination. Les discours nationalistes ont de plus en plus d’écho dans le pays. Pour preuve, la manifestation de vendredi est considérée comme une mobilisation pour la défense de la souveraineté du peuple malien vis-à-vis de la France et des dirigeants de la communauté des états d’Afrique de l’ouest, la Cedeao qui ont durement sanctionné le Mali.
En Centrafrique, une rancœur contre la France
En Centrafrique, second pays le plus pauvre du monde, déchiré par la guerre civile depuis 2013, Paris a également adopté des sanctions et durci sa position diplomatique suite à des campagnes contre la France. Selon le correspondant de franceinfo à Bangui, il n’existe pas vraiment de sentiment anti-français au sein de la population centrafriquaine. Carol Valade a, en revanche, constaté une forme de rancœur au sein de l’élite politique. Un sentiment d’abandon vis-à-vis de l’ancien colonisateur qui a toujours joué un rôle politique et militaire depuis l’indépendance.
La France est intervenue lors de la guerre civile en 2013, c’était l’opération Sangaris qui a pris fin trois ans plus tard. Le pouvoir de Bangui s’est alors tourné vers la Russie pour assurer sa sécurité et combattre les groupes rebelles qui contrôlaient la quasi-totalité de son territoire. Et c’est à ce moment qu’apparaissent les premières actions hostiles à la France, parallèlement à la montée en puissance du groupe, comme au Mali, de Wagner, la société militaire privée russe dont les membres sont qualifiés de mercenaires par l’ONU. Ces miliciens sont accusés de graves exactions contre les civils.
Ces campagnes anti-françaises ont d’abord pris la forme d’une inflexion dans les discours politiques : des articles de presse, des petites manifestations et une activité surabondante de désinformation sur les réseaux sociaux. "Ce discours anti-français permet de légitimer une présence de mercenaires prédateurs russes", a déclaré au printemps dernier Emmanuel Macron. Le chef de l'État français a accusé son homologue centrafricain d’être "l’otage du groupe Wagner". Paris a alors suspendu son aide budgétaire et rappellé une partie des coopérants.
Cette défiance ne vise pas uniquement la France mais aussi les Nations unies en Centrafrique avec pour conséquence un isolement croissant de Bangui sur le plan international. Les États-Unis ont également cessé leur appui logistique, l’Union européenne a suspendu ses formations tandis que le FMI tarde à débloquer ses fonds pour les mêmes raisons. Le président Touadéra est aujourd’hui pris entre deux feux, pour ainsi dire. La Russie, d’un côté, qui lui fournit l’aide militaire indispensable à sa survie politique et la France et les occidentaux, de l’autre côté, qui tiennent les cordons de la bourse et de la reconnaissance sur le plan international.
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