Vidéo Séparés depuis 2015 de leur mère incarcérée en Iran, les enfants de Narges Mohammadi sont allés chercher son prix Nobel de la paix

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Séparés depuis 2015 de leur mère incarcérée en Iran, les enfants de Narges Mohammadi sont allés chercher son prix Nobel de la paix
Séparés depuis 2015 de leur mère incarcérée en Iran, les enfants de Narges Mohammadi sont allés chercher son prix Nobel de la paix Séparés depuis 2015 de leur mère incarcérée en Iran, les enfants de Narges Mohammadi sont allés chercher son prix Nobel de la paix (ENVOYÉ SPÉCIAL / FRANCE 2)
Article rédigé par France 2
France Télévisions
Narges Mohammadi, devenue une figure du mouvement iranien "Femme, vie, liberté", a reçu le prix Nobel de la paix 2023 depuis sa cellule de la prison d'Evin, à Téhéran. Ce sont ses enfants, exilés en France avec leur père, qui l'ont représentée lors de la remise du prix à Oslo. Ils se sont confiés à "Envoyé spécial".

Le régime iranien est prêt à tout pour la faire taire, mais Narges Mohammadi n'en est que plus déterminée. Depuis trente ans, elle lutte contre l'oppression des femmes en Iran et milite pour les droits humains. Ses combats lui ont déjà valu sept années dans les geôles de son pays, et c'est depuis sa cellule de la prison d'Evin, à Téhéran, où elle est incarcérée depuis 2021, que la journaliste et militante a appris qu'elle avait reçu le prix Nobel.

Ses enfants, Kiana et Ali, ont prononcé à Oslo un discours qu'elle avait réussi à leur faire passer clandestinement. Elle y fustige "l'oppression d'un régime religieux tyrannique et misogyne" et célèbre une "résistance vivante" et une lutte qui "ne faiblit pas" depuis l'automne 2022 (quand la mort de Jina Mahsa Amini, une jeune fille arrêtée par la police des mœurs pour ne pas avoir respecté strictement le code vestimentaire islamique, a déclenché des manifestations d'une ampleur inédite). Sans surprise, ledit régime a vu dans l'attribution de ce prix à l'opposante "une action partiale et politique".

Narges Mohammadi n'a sans doute pas vu les images de ses enfants si fiers de la représenter en Norvège, mais en apprenant qu'ils avaient lu son message, elle a été "submergée de bonheur… Un bonheur que, peut-être, [elle n'avait] pas ressenti depuis des années", a-t-elle écrit dans une lettre qu'elle a fait parvenir aux journalistes d"Envoyé spécial" (à lire ci-dessous).

Vingt-deux mois déjà sans même pouvoir téléphoner à leur mère

Le magazine lui consacre un reportage le 7 mars 2024, dans lequel ses jumeaux de 17 ans évoquent le combat de leur mère et la difficulté d'être séparés d'elle. Ils ont quitté l'Iran en 2015 et vivent depuis à Paris avec leur père, Taghi Rahmani, écrivain et réfugié politique qui a lui aussi connu la détention dans son pays. Ali et Kiana n'ont pas vu leur mère depuis leur exil. Ces deux dernières années, ils n'ont même plus le droit de communiquer avec elle par téléphone.

Quand elle était enfant, confie sa fille Kiana, elle souffrait beaucoup de son absence et pensait que sa mère devrait s'occuper de sa famille avant le reste du monde. Mais l'adolescente a aujourd'hui "compris que si tout le monde réfléchissait comme ça, le monde serait un désastre", et que Narges Mohammadi "se bat pour quelque chose de primordial qu'on n'a pas en Iran : le droit des femmes". Avec son frère Ali, à la tribune d'Oslo, elle a fait résonner les mots persans "Zan, zendegi, azadi" qui signifient "Femme, vie, liberté" et ont donné son nom au soulèvement populaire initié il y a un an et demi. Un soulèvement récompensé par le prix Nobel en même temps que Narges Mohammadi, l'un de ses visages.

Extrait de "Un prix Nobel derrière les barreaux", un reportage à voir dans "Envoyé spécial" le 7 mars 2024.

Narges Mohammadi a répondu aux questions d'"Envoyé spécial" et a fait parvenir au magazine cette lettre depuis la prison d'Evin où elle est incarcérée.

Envoyé spécial : Comment se déroule votre quotidien en prison ?

Narges Mohammadi : Lorsque l'on demeure en prison pendant de nombreuses années, on élabore inévitablement un emploi du temps quotidien, mensuel et annuel. Durant mes années d'incarcération, que ce soit dans des prisons politiques telles qu'Evin ou dans des établissements pour femmes condamnées pour des crimes de droit commun comme Qarchak et Zanjan, j'ai tenté d'entremêler ma vie de résistante et de militante.

Dans mon emploi du temps quotidien, j'ai consacré du temps à la lecture, aussi bien en solitaire qu'en groupe. Nous avons organisé des séances de discussion en groupe et pratiqué des activités sportives collectives. Depuis 2017, nous consacrons une journée par semaine à discuter de la situation des droits des femmes et des courants féministes. Actuellement, nous travaillons sur la question de l'apartheid de genre. Lors d'événements politiques et sociaux marquants de la société, nous organisons diverses actions : grèves de la faim, sit-in, publication de communiqués et rassemblements.

Naturellement, nous sommes sanctionnées et jugées devant les tribunaux pour nos activités en prison. Depuis le 29 novembre jusqu'à aujourd'hui, en raison de mes activités depuis la prison et de l'envoi de mes écrits à l'extérieur de l'établissement, mes appels téléphoniques et mes visites ont été interrompus. En parallèle de notre lutte et de notre résistance, nous essayons de donner une certaine vitalité à la vie en prison. Nous nous réunissons le soir pour chanter ensemble. Lors d'occasions spéciales comme les anniversaires de codétenus, de leurs enfants ou les mariages de proches, nous nous rassemblons pour accompagner nos codétenus de chants, de danses et de moments de bonheur. Le gouvernement tente de priver les prisonniers de la joie de vivre, mais nous nous efforçons de donner force et éclat à la vie en prison. Je vais très bien et j’ai beaucoup d’espoir pour l’avenir du peuple iranien.

Quel a été l’impact pour vous de l’obtention du prix Nobel de la paix ?

N. M. : L'impact du prix Nobel de la paix, l'un des prix mondiaux les plus prestigieux, est indéniable. Ce prix a permis à nos protestations et à nos revendications d'être encore plus entendues et de susciter une attention accrue à l'échelle mondiale. Bien sûr, la réaction du gouvernement à mon égard est devenue plus stricte. Je n'ai toujours pas parlé aux membres de ma famille, que ce soit en Iran ou à l'étranger, de la cérémonie du prix Nobel de la paix. Mes contacts téléphoniques et mes visites ont été interrompus depuis le 29 novembre, et la cérémonie a eu lieu le 10 décembre à Oslo. Je n'ai même pas entendu la voix de mon vieux père me féliciter ce jour-là.

Cependant, cette pression croissante exercée par le gouvernement montre à la fois les effets positifs de ce prix sur le mouvement de protestation du peuple et la pression croissante sur ce gouvernement autoritaire.

Vos enfants, Ali et Kiana, ont lu votre discours. Qu’est-ce que cela vous a inspiré ?

N. M. : Lorsque j'ai appris que Kiana et Ali avaient lu mon message, j'ai été tellement submergée de bonheur que peut-être je n'avais pas ressenti un tel sentiment depuis de nombreuses années. Je n'ai pas vu Kiana et Ali depuis le 17 juillet 2015, et après ma récente arrestation et emprisonnement, je n'ai pas le droit de leur parler. Entendre les noms de mes enfants me donne toujours un double sentiment. D'un côté, le sentiment d'occasions manquées d'être avec mes enfants, et de l'autre, le sentiment de satisfaction de rester en Iran et de continuer à me battre, même au prix d'abandonner mes êtres les plus chers. La présence de Kiana et Ali à la cérémonie du Nobel a été pour moi une source de satisfaction et de bonheur intense.

Votre combat a entraîné beaucoup de sacrifices, avez-vous parfois des regrets ?

N. M. : Je n'ai pas le moindre regret. Si j’avais dû supporter plus que ce que j’ai enduré, j’aurais pris le même chemin que je parcours maintenant. Le chemin vers la liberté, l'égalité et la démocratie dans le pays où je vis est précieux, et c'est sur cette voie que mon humanité, ma féminité et ma maternité trouvent leur sens et leur direction. Je maintiens mon engagement envers le peuple iranien dans la lutte pour la liberté et l'égalité. Les punitions, les menaces et la pression croissante du gouvernement ne font que renforcer ma volonté, ma détermination et mon engagement envers cette cause.

Quel regard portez-vous sur le mouvement "Femme, vie, liberté" ?

N. M. : Le mouvement "Femme, vie, liberté" représente la consolidation de la revendication nationale du peuple iranien en faveur d'une transition démocratique, passant d'un régime religieux autoritaire et misogyne à la démocratie, à la liberté et à l'égalité. Ce mouvement s'inscrit dans un processus historique, et ses réalisations durables et fructueuses peuvent être analysées et évaluées dans le contexte des luttes historiques du peuple iranien. À mon avis, la participation des femmes à ce mouvement est exceptionnelle, non seulement dans la région, mais aussi à l'échelle mondiale. Le pouvoir croissant et l'expansion de la portée des mouvements démocratiques en Iran constituent la force et la marque distinctive de ce magnifique mouvement, transmettant un message politique clair au gouvernement et au monde entier. Le peuple iranien ne se rendra pas tant que la démocratie, la liberté et l'égalité ne seront pas instaurées. Je suis convaincue qu'un changement majeur est imminent. Le gouvernement a perdu sa légitimité et son autorité. Le peuple iranien retournera dans la rue, s'appuyant sur sa conscience historique et ses luttes de longue date, et atteindra ses objectifs en poursuivant les luttes civiles et en créant une chaîne de mouvements démocratiques.

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