"Complément d'enquête". Tati : une famille en or
C'est l'histoire d'une marque au logo vichy rose née à Barbès et de son fondateur, Jules Ouaki. En 1948, il ouvre le premier libre-service textile sur le boulevard Rochechouart : "Tati, les plus bas prix". Soixante-dix ans de succès, avant que l'empire ne s'effondre. "Complément d'enquête" le 9 août 2018 sur une saga familiale digne d'une tragédie grecque.
C'est à Barbès que tout commence, en 1948 : au numéro 2 du boulevard Rochechouart, en face du métro aérien. Jules Ouaki, un Juif tunisien venu d'un autre quartier populaire, la Goulette de Tunis, y ouvre ce qui va devenir le temple du textile bon marché. Dans une ambiance de souk, sur 50 mètres carrés, vêtements déstockés, culottes, collants à 1 franc, linge de maison, casseroles... le tout à prix cassés. Juste ce dont a besoin la population dans l'immédiate après-guerre.
Avec ses bacs à fouille, son slogan "Tati, les plus bas prix" et son logo vichy rose et blanc aux couleurs chères à Brigitte Bardot, le magasin de Barbès révolutionne le commerce et devient vite l'emblème du quartier. Et plus encore : un parfait symbole de la France des Trente Glorieuses, une institution. Jusqu'à 35 millions de visiteurs par an (dans les années 80)… plus qu'un monument parisien ! Tati figure même dans les guides touristiques japonais.
Age d'or
"Tati est l'enseigne pionnière de la vente de produits discount en France !" clame aujourd'hui le site de la marque. Mais son fondateur n'allait pas se contenter d'être un pionnier. Son ambition : devenir les Galeries Lafayette du pauvre. Le Tati de Barbès s'agrandit, colonise les immeubles voisins (surtout des hôtels de passe). Dans les années 1970, c'est une grande surface de 3 000 mètres carrés où se pressent chaque jour... 40 000 clients !
Puis deux autres Tati parisiens attirent les foules, l'un place de la République, l'autre rue de Rennes – c'est devant ses vitrines que, le 17 septembre 1986, un attentat à la bombe fera 7 morts et 55 blessés. L'enseigne conquiert la province (dix magasins, à Lille, Lyon, Marseille...) et l'outre-mer (cinq magasins). A l'époque, un fabricant de textile français sur quatre travaille pour Tati, qui emploie des milliers de salariés. C'est l'âge d'or de la marque.
Tati orphelin
Atteint d'un cancer, Jules Ouaki meurt en 1982, mais Tati reste en famille. Sa femme Eléonore reprend le flambeau, puis son fils aîné, qui décède dans un accident, puis un autre de ses six fils, Fabien. Celui-ci n'est pas un gestionnaire, mais il se lance dans une communication et une diversification tous azimuts. Cinq enseignes spécialisées voient le jour : Tati Or, Tati Mariage, Tati Vacances, Tati Optic et Tati Phone. "Folie des grandeurs", dénoncent les anciens du groupe.
"Avant, Tati c'était cheap, aujourd'hui c'est chic." Le PDG décrié a le sens de la fomule. Chic, et même branché : le couturier Azzedine Alaïa lui dessine une collection. Il y aura aussi une (éphémère) ligne de prêt-à-porter, "La rue est à nous !". Fabien Ouaki poursuit sa stratégie d'expansion à l'international : Europe et États-Unis en 1994, Afrique du Sud en 1996. Tati débarque à New York, et s'offre la Cinquième avenue avec un magasin de robes de mariées – un flop retentissant.
L'empire s'effondre
En France, les années 2000 voient l'arrivée sur le marché de concurrents sévères : face aux Zara, H&M, La Halle aux vêtements et autres Kiabi, Tati n'a plus le monopole de la fringue pas chère. En août 2003, c'est la cessation de paiement. L'année suivante, l'enseigne est rachetée par Eram, via sa filiale Vetura. Malgré les projets (ouvertures dans les pays du Maghreb et de l'Europe de l'Est) et un site internet aux 10 000 références, les ventes s'effondrent et les pertes se creusent.
Le groupe finit par être placé en redressement judiciaire le 4 mai 2017. Eram jette l'éponge. A Barbès, salariés et riverains redoutent la vie sans Tati… En 2017, après des mois de conflit social, un repreneur est désigné : le groupe Gifi, qui offre de conserver 1 428 des 1 700 emplois… avec tout de même 300 licenciements.
La saga Tati par ceux qui l'ont vécue
Autant le père, parti de rien pour devenir millionnaire grâce à une recette révolutionnaire (des stocks achetés hors mode et hors saison, sans intermédiaire, qu'il faisait tourner très vite) était visionnaire, autant le fils est critiqué pour une gestion hasardeuse qui a mis l'entreprise en péril. A-t-il vu trop grand ? Dans "Complément d'enquête", des membres de la famille Ouaki, des associés, d'anciens salariés et ceux qui ont vécu la saga Tati de l'intérieur ouvrent l'album de famille.
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