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Ils défient Sarkozy, épisode 4 : Alain Juppé, le vieux lion

Porté par les sondages, le maire de Bordeaux s'est déclaré candidat à la primaire UMP de 2016 et se dit prêt à affronter l'ancien président.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Alain Juppé, le 17 novembre 2010. (LIONEL BONAVENTURE/AFP)

Il est devenu le principal obstacle sur la route de Nicolas Sarkozy. Alain Juppé, 69 ans, continue de bénéficier de son image de vieux sage de la vie politique française. "Ce sera toi ou moi", a lâché Nicolas Sarkozy à son ancien ministre lors d'une récente rencontre entre les deux hommes. Candidat depuis le 20 août à la primaire 2016, Alain Juppé compte bien forcer Nicolas Sarkozy à l'affronter lors de ce scrutin qui désignera le candidat de l'UMP pour l'élection présidentielle de 2017.

"Il correspond à l’aspiration du peuple"

Alain Juppé a les sondages pour lui. Dans le baromètre Ifop pour Paris Match du 11 septembre, l'ancien Premier ministre domine le classement des personnalités politiques avec 66% d'opinions favorables auprès des Français, loin devant Nicolas Sarkozy (43%). Pour la primaire, le rapport de force s'équilibre auprès des sympathisants de droite (37% pour Juppé et pour Sarkozy, selon un sondage Harris Interactive pour LCP) et tourne à l'avantage de Nicolas Sarkozy auprès des sympathisants UMP (58% contre 28% pour Alain Juppé). Mais sondage après sondage, le maire de Bordeaux apparaît, pour l'instant, comme le seul à pouvoir battre l'ancien chef d'Etat dans une primaire ouverte.

"C’est le moment de Juppé, son caractère correspond à l’aspiration du peuple, aux besoins du pays", veut croire le député Benoist Apparu, qui soutient celui qui a été Premier ministre de 1995 à 1997. De leur côté, les sarkozystes raillent une popularité à la Simone Veil, considérant que ses bons sondages sont le fruit d'une relative absence dans le combat politique. Ils misent sur l'effondrement de la cote de popularité du maire de Bordeaux dès son entrée sur le ring. "Il est sûr que l'enjeu, pour nous, reste de transformer cette profonde attente en force politique, avec des propositions concrètes", avoue un proche d'Alain Juppé.

"Juppé compte uniquement sur son image"

Pour l'instant, en dehors du concept "d'identité heureuse" formulé dans un livre collectif intitulé Les douze travaux de l'opposition (éd. Flammarion, 2014), Alain Juppé est resté discret sur ses propositions. "Juppé fait du Juppé et compte uniquement sur son image", tacle un proche de Xavier Bertrand. Benoist Apparu admet un retard dans la préparation, mais tente de le tourner en avantage : "C’est l’inconvénient, mais aussi le charme d’Alain Juppé. Les choses ne sont pas organisées en fonction de la communication, il n’a pas sorti comme les autres sa petite mallette de présidentiable, avec le tour de France, le livre, le think tank..."

Pour certains de ses opposants, Alain Juppé risque de payer ce retard à l'allumage. "C’est très long de préparer un projet présidentiel, de sillonner la France pour comprendre l'état du pays. (...). Il va devoir mettre les bouchées doubles pour rattraper son retard", estime le bras droit de François Fillon, Jérôme Chartier. "Il ne faut pas croire qu'Alain Juppé s'est arrêté de penser ces dernières années, il a continué à bosser en étant toujours à l'affût de nouvelles idées", répond le député Hervé Gaymard, ancien fillonniste converti à la cause d'Alain Juppé.

"Talon d'Achille" : le manque de soutiens parlementaires

Les sarkozystes pointent surtout le manque de soutien parlementaire du maire de Bordeaux. Ils se moquent de sa déclaration de candidature, effectuée sur son blog, révélatrice, selon, eux, de sa solitude. Effectivement, Benoist Apparu, Edouard Philippe et Hervé Gaymard composent une courte liste de soutiens. Mais les juppéistes assurent que beaucoup de courriels de sympathie commencent à arriver et que, les sondages aidant, d'autres parlementaires vont rejoindre l'écurie. "C'est vrai que, pour l'instant, ça reste son talon d'Achille car il n'est plus dans le 'business' parlementaire depuis dix ans, contrairement aux autres", admet Hervé Gaymard, avant de relativiser : "En 1995, Balladur était gavé de parlementaires, ce qui ne l'a pas empêché de perdre contre Chirac." 

Les partisans d'Alain Juppé sont persuadés qu'ils peuvent inverser la tendance. Ils soulignent au passage que Nicolas Sarkozy a perdu de nombreux soutiens depuis son départ en 2012. "Quand je vois aujourd'hui que même Nadine Morano le critique, il ne lui reste plus grand monde", glisse un proche d'Alain Juppé en référence aux déclarations de dépit de l'ancienne ministre. Mais les amis d'Alain Juppé doivent bien reconnaître que l'ex-chef de l'Etat commence à rallier de nombreux soutiens. Jean-François CopéNathalie Kosciusko-Morizet, Laurent Wauquiez ont déjà rejoint le camp Sarkozy. "Ils ne représentent rien du tout", réplique un député juppéiste.

"Quelqu'un qui peut faire du bien au pays"

Le clan Juppé souligne la capacité de rassemblement de l'ancien Premier ministre. "Il est capable d’être sur un spectre politique très large, de Bayrou à la droite la plus dure", selon Gilles Boyer, conseiller politique d'Alain Juppé. Un proche en profite pour souligner une faiblesse de Nicolas Sarkozy : "Sarkozy ne pourra pas rassembler comme en 2007, il ne reproduira pas l'exploit de réunir Simone Veil et Patrick Buisson sous la même bannière."

Hervé Gaymard imagine déjà un rapprochement entre François Fillon et Alain Juppé : "Les deux hommes s'entendent bien, avec un peu de bonne volonté on trouvera une convergence." Pour son image de fédérateur, Alain Juppé a reçu une aide de poids avec le centriste François Bayrou : "J'ai pour Alain Juppé beaucoup d'estime (...). C'est quelqu'un qui peut faire du bien au pays", estime le président du MoDemMême si Alain Juppé a démenti, il se murmure que les deux hommes auraient conclu un pacte dans la perspective de 2017 : Juppé à l'Elysée, et Bayrou à Matignon.

Les sarkozystes dénoncent cette stratégie tournée vers le MoDem en affirmant qu'il s'agit de la pire des réponses pour contrer le vote Front national. "Avant d'aller chercher des voix au-delà de son camp, il faut déjà faire l'unanimité au sein de sa propre famille", brocarde un député sarkozyste. Mais les proches de Juppé n'en démordent pas : "Une présidentielle se gagne avec le centre." "Se passer de Bayrou c'est prendre le risque de rester à 48%", lâche Gilles Boyer. Toute la stratégie du maire de Bordeaux repose sur ce rassemblement du centre et de la droite.

"C'est la qualité et non pas l'âge des artères qui compte"

Outre les critiques de fond sur la stratégie politique, les supporters de Nicolas Sarkozy pointent un autre argument : Alain Juppé serait trop vieux. Le maire de Bordeaux fêtera ses 70 ans en août 2015. "C'est un faux argument, c'est la qualité et non pas l'âge des artères qui compte, et je peux vous dire qu'il est prêt à bouffer du lion", riposte Hervé Gaymard. Benoist Apparu considère même le poids des années comme une qualité : "Au-delà de l'expérience, son âge permet de penser qu'il ne fera qu'un seul mandat et qu'il sera donc désintéressé, il n'aura pas pour objectif sa réélection."

Un élément pourrait venir perturber le chemin d'Alain Juppé vers l'Elysée : sa condamnation en 2004 à quatorze mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité dans l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris. Pour beaucoup, l'ancien Premier ministre a payé à la place de Jacques Chirac (maire de Paris de 1977 à 1995). Ce qui fait dire à un responsable de l'UMP que cette mésaventure, qui aurait pu lui coûter sa carrière politique, lui a finalement apporté une image d'homme fidèle et dévoué.

"Il peut sortir le pays de la merde"

Ses proches assurent qu'il a également appris de ses erreurs lors de son passage à Matignon (1995-1997), qui s'est conclu par la dissolution de l'Assemblée, après des mouvements sociaux de grande ampleur. "Il reconnaît qu’il a été un peu brusque et qu’il a voulu faire trop de choses à la fois", concède Gilles Boyer. Mais la figure inflexible de l'homme "droit dans ses bottes" est aussi pointée par ses partisans comme une qualité indispensable. "Sa franchise parfois brutale peut lui permettre de sortir le pays de la merde", estime Hervé Gaymard.

"C'est un très grand brûlé. A-t-il vraiment envie de se rapprocher du feu de la cheminée ?" confiait récemment François Baroin au JDD, mettant en doute la résistance d'Alain Juppé. Trop tendre ? "Ceux qui susurrent que je ne sais pas me battre ne m'ont sans doute pas vu à l'œuvre en campagne", rétorque le maire de Bordeaux dans un entretien à Valeurs actuelles"On connaît la firme sarkozienne et ses boules puantes, nous ne céderons pas aux petites phrases faciles, mais nous sommes prêts à nous battre sur le fond", prévient un proche. Alain Juppé le répète, il compte aller au bout de cette bataille et se dit "chiche" d'affronter Nicolas Sarkozy.

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